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  l’antiquité au cinéma
muet : il ouvre la voie aux films de Stevens, Pasolini, Ros-
sellini, Zeffirelli, etc. Le film marque aussi le début dans
la superproduction de Samuel Bronston, un nabab amé-
ricain établi à Madrid où, soutenu par la banque Du
Pont, il montera quelques méga-spectacles légendaires (
El
Cid
,
55 Days at Peking
,
The Fall of the Roman Empire
)
avant de s’effondrer tout aussi spectaculairement, ruiné, en
1965. Quelques années plus tôt, au cours d’une brève re-
traite chez les Jésuites, Bronston s’était penché sur l’art re-
ligieux, avait pris contact avec le Vatican de Jean XXIII
et initié un projet intitulé
*The Man from Nazareth
. Il
songe à ce vieux lion de John Ford pour la mise en scène,
mais choisit finalement Nicholas Ray, un des cinéastes culte
des
Cahiers du Cinéma
, qui a tourné le dos à Hollywood
et s’est installé en Europe. Bientôt à court de liquidités,
Bronston sollicite la participation de la Metro-Goldwyn-
Mayer qui va s’immiscer sérieusement dans la réalisation
(le budget grimpe à 8 millions de $), exigeant d’emblée plus
de 40 pages de dialogues supplémentaires. La MGM veut
une fresque qui soit l’égale de son
Ben-Hur
récent, ce qui
n’est pas du tout le but visé par Ray. Le film garde néan-
moins un aspect parfois plus européen qu’hollywoodien de
par son tournage quasi exclusif en Espagne avec un cas-
ting international, réunissant des interprètes de qualité,
mais peu connus du grand public. Ray filme dans les stu-
dios madrilènes de la Sevilla-Films et Chamartin, puis à
Manzanares el Real (Nazareth), Venta de Frascuelas près
de Chinchón (sermon), Aldea del Fresno, Rio et Lago Al-
berche (Jourdain, lac de Galilée), Navacerrada (Golgo-
tha), enfin quelques scènes additionnelles aux studios de
Culver City, Hollywood, et de Boreham Wood à Londres.
A Madrid, le palais de
Solomon and Sheba
(Vidor) sert
de décor de base pour Jérusalem, après avoir subi quelques
transformations originales dues à Georges Wakhevitch.
Comme personne avant lui, Ray ancre son Christ dans le
contexte socio-politique très violent de l’époque, et l’on est
d’emblée frappé par la présence de batailles à immense fi-
guration dans une « vie du Christ », qui, parcourant trois
décennies, débute non par la Nativité, mais en l’an – 63
par l’entrée brutale des légions de Pompée dans une Jéru-
salem jonchée de cadavres, par la profanation du Saint
des saints et le massacre de tous les prêtres sadducéens dans
le Temple. Ce n’est pas à l’ancienne Judée que ce réfère ce
film, mais à l’Israël né de l’Holocauste. Barabbas fait la
guérilla aux Romains tandis que Jean-Baptiste annonce le
messager de la Paix. Plus tard, le jour des Rameaux à Jé-
rusalem, le soulèvement avorté des Zélotes aboutit à une
atroce boucherie à l’intérieur de la forteresse romaine d’An-
tonia transformée en piège mortel pour les agresseurs, tués
par centaines. Cette tragédie (inventée par le scénariste)
Une composition insolite pour représenter la Sainte-Cène, avec le Christ au centre d'une tablée qui préfigure la croix (
King of Kings
, 1961)
Ron Randell et Hurt Hatfield (Ponce Pilate), représentants d'une
Rome sans états d'âme, dans
King of Kings
, 1961
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