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  l’antiquité au cinéma
1975
Il messia / Le messie
(IT/ FR) Roberto Rossellini ; Ori-
zonte 2000-Procinex-FR3-TéléfilmProd., 145 min. – av.
Pier Maria Rossi (Jésus-Christ), Mita Ungaro (Marie),
Carlos de Carvalho (Jean Baptiste), Antonella Fasano
(Marie-Madeleine), Jean Martin (Ponce Pilate), Tony
Ucci (Hérode Antipas), Vittorio Caprioli (Hérode le
Grand), Yatsugi Khelli (Joseph), Cosetta Pichetti (Sa-
lomé), Flora Carabella (Hérodiade), Raoul Ben Amor
(Judas), Luis Suarez (Jean), Hedi Zoughlamli (Simon
Pierre), Renato Montalbano (Matthieu), Raouf Ben
Yaghlane (André), Moncef  Ben Yahia (Thomas), John
Karlsen (Caïphe), Fadhel Djaziri (Nathanaël), Slim
Mzali (Jacques de Zébédée), Mohamed Ali Brikadhi
(Thaddée), Ridha Missume (Philippe). –
Agnostique
dont la vie et la filmographie sont dominées par la quête
d’une spiritualité authentique (
Francesco giuliare di Dio
,
Stromboli terra di Dio
,
Europa 51
), Rossellini aborde
à 69 ans une sorte de méditation distanciée sur la vie du
Christ qui désarçonne et / ou ennuie une grande partie de
son public. Un film pauvre, dépouillé, en apparence sans
mystère ni chaleur, aux antipodes d’un DeMille (1927),
d’un Stevens (1965) ou d’un Zeffirelli (1977), et ce mal-
gré un budget confortable de deux millions de $ avancés
par la Banco Santo Spirito (c’est au départ une œuvre de
commande du révérend américano-irlandais Patrick Pey-
ton). La grande inventivité poétique et l’originalité du
regard n’en sera perçue que des années plus tard.
Pas de mise en scène tapageuse (« je me fiche de faire de
l’art », dit-il), pas d’appels à la sensiblerie ou de commen-
taires agressifs, aucune sophistication intellectuelle. Pas de
propos personnels, tant appréciés par l’intelligentsia, sur
Judas ou Barabbas, ni même sur Jésus. Nulle interroga-
tion sur la véracité des Ecritures, nul souffle de religiosité,
mais un regard serein, un constat. Rossellini n’apprécie pas
la version Pasolini qu’il juge trop « fantasmagorique ». Il
choisit un Jésus fragile et d’aspect pieux, plus proche de la
tradition figurative. Convaincu que toutes les paroles de
Jésus sont des discours visuels et que « l’idée chemine à tra-
vers l’image », Rossellini choisit le discours le plus simple,
transmis par des acteurs inconnus (pour ne pas distraire
de l’essentiel) afin d’atteindre au réalisme poético-didac-
tique qui caractérise son style. Dans la bouche de ses in-
terprètes, le verbe ne devient jamais discours, mais le sim-
ple moyen de communiquer la Bonne Nouvelle. Même les
miracles s’opèrent sans trucages ni merveilleux. Les mira-
cles, affirme-t-il, n’expliquent pas la sainteté du Christ, ils
sont donc superflus. Le film s’achève au matin de la Résur-
rection, face au tombeau vide, la Vierge agenouillée (elle
est interprétée par la même adolescente de 16 ans, de la
naissance à la mort du Rédempteur, car « dans l’imagina-
tion populaire, les vierges ne vieillissent pas »). Les scènes
sacrées sont entourées de détails quotidiens, de saynètes fa-
milières illustrant les travaux et les peines du petit peuple
parmi lesquels le Christ, apparition impassible, sévère et
impénétrable, promène sa parole. On le voit occupé à la
charpenterie, il fait un sermon en travaillant le bois, tan-
dis que Marie cuit du pain. Pas de montée au Golgotha
avec pleureuses et grande figuration. Pour rester fidèle à
son vœu de «montrer, pas démontrer », le cinéaste n’utilise
que de longs plans séquences de quatre à six minutes (avec
zooms), ce qui le rapproche de l’observation naturelle de
l’œil (le montage le forcerait à l’analyse, lui qui n’admet
que la synthèse). En même temps, son Christ peu mystique,
héros rejeté (comme Socrate), tourne le dos au catéchisme
traditionnel « qui n’enseigne que le respect abstrait, pas la
compréhension ». Le Messie est un incendiaire, son histoire
celle d’une « formidable désobéissance », mais son visage
n’a pas cette gravité qu’Hollywood assimile à la sainteté :
Jésus sourit, un sourire de joie franche lors de la fête des
Rameaux.
Le projet est refusé d’emblée par la RAI (satellite audiovi-
suel de la Démocratie chrétienne) qui prèfère miser sur le
feuilleton plus chatoyant de Zeffirelli (cf. infra). Comme
pour
Les actes des apôtres
(1968), Rossellini tourne enTu-
nisie (Sousse, Monastir, Hammamet, Gabès, Nefta, Kai-
rouan) et en Italie (Montecassino, Sienne), sans studios.
Lorsque les producteurs menacent de s’emparer de la pelli-
Une approche sereine et des acteurs inconnus (
Il messia
, 1975)
Pier Maria Rossi, le Jésus de
Il messia
de Roberto Rossellini (1975)
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