400
  l’antiquité au cinéma
David Imboden (André), Clayton Packard (Barthélemy),
Majel Coleman (Claudia Procula), Charles Belcher
(Philippe), Robert Ellsworth (Simon), Charles Requa
(Jacques le Jeune), John T. Prince (Thaddée), William
Boyd (Simon de Cyrène), Julia Faye (Marthe), Jose-
phine Norman (Marie de Béthanie), KennethThomson
(Lazare). –
L’apothéose muette de la christologie made in
Hollywood, mêlant tableaux Art déco, surcharge kitsch et
compositions inspirées par la peinture du baroque (le Cara-
vage et Rubens pour les tourments en chiaroscuro de la cru-
cifixion), de la Renaissance et du XIX 
e
siècle (en particulier
les gravures romantiques de Gustave Doré, le dessinateur de
chevet du cinéaste, et les Préraphaélites) dans une cascade
d’images pieuses. Le film (dont l’action débute en l’an 30)
tourne définitivement le dos aux vignettes primitives po-
pularisées par le cinéma forain depuis les frères Lumière et
Pathé pour appréhender le Messie adulte, en gros plan, avec
l’intrusion d’épisodes carrément fictifs et en appliquant un
traitement mélodramatique qui culmine dans la sublima-
tion toute métaphorique des « clous » de la Passion. Mis au
service du spectaculaire, le merveilleux remplace le sacré. Le
Jésus de DeMille, sorti alors que l’Amérique industrieuse
peine sous la chape de plomb de la prohibition, n’apporte
ni enseignements, ni paraboles, ni commandements : il se
contente d’accomplir des miracles.
A ce propos : si leur représentation à l’écran correspondait
vraiment à la réalité, des épisodes tels que la mort du Christ
relatée par DeMille et ses épigones, avec l’obscurcissement
des cieux, le cataclysme apocalyptique provoquant morts et
destructions (très Gustave Doré), ou le jugement de Ponce
Pilate rendu devant la moitié de la Judée, une foule aussi
innombrable que survoltée (cf. aussi
Ben-Hur
), auraient
immanquablement été signalés par les chroniqueurs de
l’époque comme Pline L’Ancien, Sénèque, Plutarque ou
Flavius Josèphe dans ses
Antiquités juives
– ce qui n’est
pas le cas. Pour la mort du Christ, la colline de Golgotha
a été édifiée sur deux plates-formes mobiles qui permettent
au sol de se fissurer en une large crevasse engloutissant Juifs
impies, soldats romains, arbres et rochers. DeMille enca-
dre son récit de deux séquences en Technicolor bichrome :
celle qui ouvre astucieusement le film avec la fête au pa-
lais de Marie-Madeleine, maîtresse vénale de Judas, et celle
de la fin, montrant le Christ ressuscité qui quitte son tom-
beau pour survoler un paysage qui ressemble furieusement
à New York. Le choix de la couleur n’est plus symbolique
(le
Ben-Hur
muet n’utilisait la couleur que pour les pas-
sages sacrés), il fait contraster les attraits du péché avec la
flamboyance silencieuse du miracle.
Financée par le philanthrope new-yorkais Jeremiah Mil-
bank (Cinema Corporation of America), le film est entiè-
rement réalisé aux studios Paramount de Marathon Street,
Hollywood, et en extérieurs à Fresno et à Catalina Island
(paysages galiléens), pour un budget de 1,2 million de $.
Très croyant, le cinéaste a imposé une moralité stricte du-
rant le tournage, installé un orgue dans l’atelier et distri-
bué des Bibles à tous les collaborateurs (il ne parvient tou-
tefois pas à éloigner l’interprète du Christ de la bouteille
de whisky). La scène du Calvaire est filmée le jour de Noël
afin que l’émotion parmi les figurants soit à son comble,
et pour l’expulsion des marchands du Temple, le cinéaste
utilise d’authentiques banquiers et industriels en visite sur
le plateau. Le décorateur Paul Iribe est renvoyé, ses décors
sont trop réalistes : dans l’atrium extravagant où se prélasse
la « pécheresse » Marie-Madeleine, DeMille veut un étang,
des paons, des lotus.
Carrément ridicule au niveau de l’archéologie historique,
ultra-simpliste dans sa psychologie, outrancier dans son sen-
timentalisme pompier (des constantes chez DeMille), son
film est toutefois d’une superbe efficacité narrative et d’une
mise en scène fort inventive, capturant la ferveur d’une dé-
votion naïve. On découvre le Christ par la guérison qu’il
effectue sur un enfant aveugle : le Christ dit « quiconque
croit en moi ne restera pas dans la nuit ». La caméra filme
cette nuit, vue subjective de l’enfant. Puis en ouvrant les
yeux, celui-ci aperçoit une merveilleuse lumière qui (par
fondu enchaîné) se transforme en visage du Messie. Le Jésus
« aryen » de H. B. Warner est statufié comme une effigie
sainte, une figure rigide, paternaliste et pacifique, une
sorte de patriarche victorien surtout entouré de femmes et
Marie-Madeleine troublée aux pieds du Christ, selon DeMille
Le Judas très typé de Joseph Schildkraut provoque la colère du lobby
juif aux Etats-Unis (
King of Kings
de C. B. DeMille, 1927)
I...,390,391,392,393,394,395,396,397,398,399 401,402,403,404,405,406,407,408,409,410,...674