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  l’antiquité au cinéma
épisodes individuels (la crèche, les Rois Mages, le massacre des Innocents, la fuite en Egypte, Lazare, le baiser
de Judas, Salomé, etc.) et jusqu’en 1911, on ne dénote pas moins de 45 saynètes néotestamentaires. Ces films
sont souvent projetés dans les Eglises lors de la prédication (jusqu’en 1912, quand la projection dans les lieux de
culte ne sera plus autorisée). Pour la cinématographie naissante, cette théâtralisation des épisodes évangéliques
s’avère très opportune, car elle permet aux premiers exploitants de répondre, preuves à l’appui, aux attaques de
ceux qui leur reprochent de corrompre la jeunesse par l’immoralité intrinsèque de leurs produits. Et les foules
d’acquérir une petite dose de religiosité indolore contre le prix d’un ticket d’entrée.
Toutefois, à mesure que le cinéma s’embourgeoise et que la durée des films augmente, l’intérêt du pu-
blic pour les sujets religieux baisse. Certains producteurs y deviennent carrément hostiles, à tort, comme le
démontre le cas du tout premier long métrage consacré au Christ,
From the Manger to the Cross
, filmé au
Proche-Orient en 1912 et qui fait un malheur au box-office avant d’être accaparé pendant des décennies par
les missions luthériennes. La guerre de 1914-1918 occupe les esprits ailleurs, mais en 1916, la réponse catho-
lique au long métrage précité fait un malheur sur les écrans européens :
Christus
, une fresque italienne en six
actes dont le comte Giulio Antomoro signe la réalisation. Tourné lui aussi en Terre Sainte, le film est financé
par un consortium issu de la haute aristocratie romaine et se réfère visuellement à Fra Angelico, au Pérugin,
au Corrège, à Raphaël, Mantegna, Michel-Ange et Léonard de Vinci. Culture et religion se cautionnent mu-
tuellement : «Voici une merveille telle qu’il n’en monta jamais de pareille, à beaucoup près, au firmament du
théâtre ... » s’exclame
Le Figaro
à Paris 
1
. Cette même année sort l’
Intolerance
de D. W. Griffith avec son épisode
controversé de la Passion, et ces deux œuvres focalisent l’attention des Eglises comme des censeurs. L’ampleur
de ces créations, le soin des reconstitutions, le choix de l’interprète principal, l’éclairage du récit forcent à re-
considérer l’ensemble du problème de l’Evangile à l’écran, bien au-delà des vignettes paroissiales qui ont inondé
le début du siècle pour l’édification des badauds. Le cinéma s’inscrit tout naturellement dans le courant initié
à la fin du Moyen Age, qui offre à l’adoration un Christ non plus symbolisé mais humanisé, dont la représen-
tation exprime amour, émotion, souffrance, douleur physique. Pour convaincre à l’écran, les cinéastes doivent
désormais se demander quel type de Jésus ils souhaitent montrer : le majestueux, le hiératique (à l’orientale), le
sensuel (style maniériste) ou le naïvement réaliste. Mais aussi, comment l’imager puisqu’on n’en trouve dans
Jésus (Robert Le Vigan) prêche devant la monumentale Porte Ephraim à Jérusalem, reconstruite en Algérie française (
Golgotha
, 1935)
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