6b – la rome impériale 
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les Evangiles aucune description physique et qu’aucun historien de l’époque n’en parle (le fameux
Testimonium
flavianum
de Flavius Josèphe étant une interpolation du III
e
ou IV 
e
siècle) ?
Quel Jésus, et sous quel éclairage ?
Jean-Luc Douin distingue avec humour trois méthodes pour traiter le personnage du Christ à l’écran : celle de
« l’homme invisible », celle de « Jésus superstar » et celle de « la revanche du Sicilien »
2
. La première consiste à ne
pas montrer son visage ou seulement à suggérer sa présence (par ex. les deux
Ben-Hur
de 1925 et 1959,
The Big
Fisherman
en 1959). La deuxième utilise un comédien moyennement connu dont la silhouette, les traits et le
regard rappellent l’iconographie religieuse courante (Grigori Chmara, H. B. Warner, Robert Le Vigan, Jeffrey
Hunter, Max von Sydow, Robert Powell, Chris Sarandon, Willem Dafoe, Jeremy Sisto, Jim Caviezel, etc.). « Le
triomphe du beau blond angelot, un rien sirupeux, de l’aryen mièvre », estime Douin, qui y décèle l’héritage du
Quattrocento mal digéré, tandis que l’historienHenri Agel, catholique courroucé, parle de «Tarzan surnaturel » 
3
.
C’est en effet bien de la Renaissance que s’inspire ce cinéma-là (mais que dire alors des Jésus doucereux de Botti-
celli ou Raphaël ?), revu par les Nazaréens et Préraphaélites du XIXe siècle ainsi que par la peinture victorienne,
sans oublier Gustave Doré et James Tissot. Enfin, la troisième approche mobilise un quasi-anonyme de type
méditerranéen, noiraud, fougueux et contestataire : l’homme du peuple, le défenseur des pauvres (
Il Vangelo
secondo Matteo
de Pasolini en 1964,
Il messia
de Rossellini en 1975) dans une perspective plutôt franciscaine.
De ces options découle la manière d’illustrer l’Evangile, soit sous forme d’un scénario juteux, flattant le goût du
spectacle, soit dans un style plus austère et plus attentif à la portée spirituelle du récit.
Les rapports ambigus entretenus par le christianisme avec les images sont exacerbés par l’extrême réalisme
du cinéma, par sa tentative de captation photographique de l’ineffable, mais aussi par l’appel à des acteurs
professionnels censés personnifier le « Fils de Dieu » (on les choisira de préférence pas trop connotés dans l’in-
dustrie). En tournant
King of Kings
(1927), Cecil B. DeMille prit maintes précautions afin de protéger son in-
terprète des regards et contacts de l’extérieur, et le tournage des scènes importantes était précédé de prières. Une
convention non écrite a longtemps prohibé les plans trop rapprochés du Christ, tandis qu’en Grande-Bretagne,
Lors du Sermon de la Montagne, Jésus (Jeffrey Hunter) répond aux questions de la foule, dans
King of Kings
de Nicholas Ray (1961)
I...,373,374,375,376,377,378,379,380,381,382 384,385,386,387,388,389,390,391,392,393,...674