6a – rome : de romulus à césar 
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observateur à la défaite définitive de Marc Antoine à
Péluse, où ses alliés de Judée et de Cappadoce le trahissent.
De retour à Alexandrie contre l’avis d’Octave, le tribun
sauve les prisonniers romains et leurs sympathisants du
massacre général organisé par les grands-prêtres. Ecœuré
par la politique, Lucilius quitte l’armée et part vers l’in-
connu accompagné de Mariannae.
Une œuvre déconcertante, qui cache son pessimisme der-
rière une hilarité de façade. Au début, un badaud cocasse se
tourne vers le spectateur et s’interroge : «Qu’est-ce qu’ils ont
donc tous, ces étrangers, à venir se faire tuer en Egypte ? »
L’antithèse du
Cleopatra
de Mankiewicz : les personnages
historiques y sont relégués à l’arrière-scène, Cottafavi s’at-
tachant aux efforts d’un obscur messager qui cherche à em-
pêcher le carnage final entre Romains. Opération secrète
vouée à l’échec, car elle se heurte à l’orgueil et à la passion
des grands. Sombre et torturé, Marc Antoine vit dans le
déni, tandis que la souveraine, une mélancolique perverse
dont l’amour pour le Romain s’est tari, ruse jusqu’au déses-
poir (« elle a l’âme d’une prostituée », selon Lucilius). L’ul-
time bataille, une boucherie inutile, se résume visuellement
à un dérisoire ballet de cavalerie. Octave, dépeint comme
un autocrate retors et débordant de vanité, chasse Cléopâ-
tre qui est venue négocier sous sa tente (« Je ne fais jamais
de cadeau : tu m’offres ton lit quand ta maison m’appar-
tient déjà »). A la fin, devant les corps des célèbres amants,
Lucilius, témoin impuissant du drame, dit au vainqueur :
«Voilà deux morts qui contribueront à ta gloire », puis
prend congé de ses amis pour aller dans un endroit « où il
n’y a ni guerre, ni empereur ... ». «Tu as l’âme trop belle,
l’Histoire ne parlera jamais de toi ! », lui prédit le futur
Auguste.
Partant d’une situation identique à celle d’
Antony and
Cleopatra
de Shakespeare (tragédie qu’il présentera à la té-
lévision en 1965), Cottafavi en démythifie les protagonistes,
les réduit à leur dimension humaine en les confrontant à
la mort (« un jour, j’ai demandé à un prisonnier s’il préfé-
rait mourir en héros ou en lâche, raconte Marc Antoine, et
sa réponse fut des plus sensées : je préfère ne pas mourir »).
Parallèlement, il introduit dans son récit un personnage
semi-fictif (selon Appien, un dénommé Lucilius fut en ef-
fet le bras droit de Brutus, puis de Marc Antoine) qui est
à la fois la victime et le fil conducteur d’un discours paci-
fiste et utopique. Lucilius, c’est le dernier Républicain, le
représentant d’un humanisme qui disparaît avec la dic-
tature froide et cynique d’Octave-Auguste. En disciple de
Brecht, Cottafavi jette un regard critique sur ceux qui dé-
tiennent le pouvoir. Sa Cléopâtre a beau se déguiser pour
se mêler à ses sujets dans la basse-ville (elle n’apparaît en
reine que dans la seconde moitié du film), les princes ne
comprendront jamais la générosité naturelle du peuple,
pas plus que le peuple ne pourra partager le jeu des prin-
ces. Son seul privilège est de se faire tuer pour eux ... Quant
aux prêtres d’Amon-Râ, ils veulent accueillir les Romains
dans une Alexandrie noyée dans le sang en égorgeant pri-
sonniers et population hésitante, un projet qui rappelle les
derniers jours d’Hitler à Berlin. Quoique coincées entre les
stéréotypes du genre, avec les moyens limités d’une série B,
ces considérations alors très peu courantes enthousiasment
les jeunes-turcs de la critique française (les
Cahiers du Ci-
néma
, le clan des MacMahoniens), séduits en outre par le
ton décontracté, les idées, l’humour sous-jacent, les cadra-
ges recherchés, les compositions géométriques et la mise en
scène souvent élégante du cinéaste qui utilise la couleur avec
un rare bonheur. Ils y décèlent le tempérament d’un vérita-
ble auteur (il vient d’adapter l’
Antigone
de Sophocle pour
la RAI), soucieux d’utiliser le cinéma populaire pour faire
passer un message philosophique. Le film séduit les foules
et récolte 472 millions de lires. L’Argentine Linda Cristal
incarne la souveraine ptolémée (elle donnera la réplique
à John Wayne dans
The Alamo
, l’année suivante). Tour-
nage en Italie à Cinecittà, à Tor Caldara et entre Anzio et
Nessuno, en Espagne aux studios C. E. A. Ciudad Lineal
à Madrid et en Andalousie (Almería) pour la bataille de
Péluse. US :
Legions of the Nile
.
1962
Una regina per Cesare /Cléopâtre, une reine pour Cé-
sar
(IT / FR) Victor Tourjanski et Piero Pierotti ; Mer-
cury-Les Films S.R., 100 min. – av. Pascale Petit (Cléo-
pâtre), Rik Battaglia (Lucius Septimus), Gordon Scott
(Jules César), Corrado Pani (Ptolémée XIII), AkimTa-
miroff (Pompée), Giorgio Ardisson (Achillas), Franco
Volpi (Apollodore), Nando Angelini (Sextus Pompée),
Ennio Balbo (Théodote). –
Prisonnière de son frère et
époux Ptolémée XIII Denys, Cléopâtre, âgée de 16 ans, s’en-
fuit avec son geôlier Achillas, séduit Pompée grâce auquel
elle espère reconquérir son trône, puis, soutenue par les lé-
gions de Lucius Septimus, elle reprend le pouvoir en faisant
emprisonner son frère. Lucius Septimus fait assassiner Pom-
pée, vaincu à Pharsale, mais Achillas exécute le meurtrier.
Tandis qu’Achillas, amoureux secret de la reine, cherche et
trouve la mort au combat contre les Romains, Cléopâtre
se livre nue à César dans un tapis ... plan final narquois
justifiant le titre du film.
Unique péplum à envisager une liaison entre Cléopâtre, ga-
zelle rouée, manipulatrice et assoiffée de pouvoir, et Pom-
pée, un vieillard libidineux délicieusement campé par Akim
Tourmenté, Marc Antoine (G. Marchal) découvre une reine égoïste
(Linda Cristal) dans
Le legioni di Cleopatra
de V. Cottafavi, 1959
Cadrages recherchés (
Le legioni di Cleopatra
de V. Cottafavi, 1959)
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