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 l'antiquité au cinéma
réalisant la vacuité d’un rêve fourvoyé par le destin, rejoint
son amant dans l’espoir illusoire d’arrêter le temps (obses-
sion bien mankiewiczienne), puis, vivante dans son mau-
solée, s’éteint à ses côtés après avoir berné Octave dont elle
a reconnu la duplicité (il porte l’anneau de son fils Césa-
rion assassiné). La mort dépourvue de toute théâtralité,
presque silencieuse de la reine est un des grands moments
de l’œuvre dont la gravité et la rigueur dramatique cumu-
lent dans le commentaire final, par lequel les amants tra-
giques se retirent de l’Histoire pour entrer dans la légende
(processus visualisé par l’image qui se fige en fresque mu-
rale). Un ultime tableau que la souveraine lagide a su or-
ganiser pour la postérité. Octave, lui, ne connaît ni rêve
ni passion : c’est un jeune loup agressif, un carriériste sans
scrupules ni grandeur d’âme, qui reste alité pendant la ba-
taille d’Actium : c’est son amiral Agrippa qui remporte la
victoire. La mise en scène permet ainsi de décortiquer à la
fois les mécanismes événementiels et leurs concomitances
psychologiques.
Cleopatra
– «mes trois films les plus difficiles », dira Man-
kiewicz – est d’abord le portrait d’une femme ambitieuse et
complexe, réunissant en elle la nature de ses deux amants.
Une magistrale étude de caractère dans laquelle les « clous »
spectaculaires sont présentés pour ce qu’ils sont : des amuse-
badauds, un moyen infaillible de manipuler émotions et
opinions. Ce qui chez DeMille et ses nombreux émules
n’est qu’un spectacle gratuit devient ici la démonstration
de l’habileté politique et la capacité de séduire les foules.
Avec l’amarrage de la galère royale àTarse, mais encore plus
avec l’entrée de Cléopâtre à Rome (historiquement contes-
tée mais dont la surcharge est bien au diapason des fêtes
décrites par Suétone ou Plutarque), Mankiewicz place le
spectateur du film sur le même plan que la plèbe romaine
qui, bouche bée, admire cette parade grandiloquente et
ostentatoire de danseurs watusi, d’animaux exotiques et
autres richesses d’Orient et d’Afrique. Rythmée par la mu-
sique d’Alex North, l’extravagance atteint son comble avec
l’apparition d’un sphinx géant sur roues d’une hauteur de
15 mètres et tiré par 300 esclaves nubiens, une métaphore
dorée au sommet de laquelle se tient, hiératiquement, la
souveraine avec son petit Césarion, fils de César (incarna-
tions d’Isis et de Horus). Le peuple jubile, le Sénat se lève,
ébahi. Portée aux pieds de César, elle le fixe du regard, sou-
rit et lui fait un clin d’œil ... «On n’a pas assez remarqué la
profonde originalité de ce film intimiste réduisant au mi-
nimum les séquences spectaculaires, pour mieux décrire les
drames intérieurs de ses héros », diront Bertrand Tavernier
et Jean-Pierre Coursodon dans
50 ans de cinéma améri-
cain
(1991). Les protagonistes sont du reste rarement in-
tégrés aux plans de foules ou de batailles, comme si cela ne
les concernait qu’accessoirement. Si le massacre de Zanuck
empêche
Cleopatra
d’être le chef-d’œuvre absolu dont rêvait
Mankiewicz, c’est néanmoins un film d’auteur exigeant,
à la mise en scène souveraine, aux dialogues étincelants.
Sans conteste le péplum le plus adulte et le plus intelligent
de l’histoire du cinéma.
1964
Carry On Cleo
(O.K. Cléo! / Arrête ton char, Cléo)
(GB) GeraldThomas ; Peter Rogers-Adder Films /Anglo-
Amalgamated, 92 min. – av. Amanda Barrie (Cléopâtre),
Kenneth Williams (Jules César), Sidney James (Marc
Antoine), Jim Dale (Horsa), Kenneth Connor (Hen-
gist), Charles Hawtrey (Sénèque), Joan Sims (Calpur-
nie), Brian Oulton (Brutus), Julia Stevens (Gloria). –
Le
film visuellement le plus luxueux de la série britannique
Carry On
 ... qui détourne les clichés de l’Histoire avec un
humour de potache. Et pour cause : il est tourné en East-
mancolor dans les restes de l’immense décor de
Cleopatra
à
Pinewood, où Rouben Mamoulian s’escrima vainement en
1960 (cf. supra). Gerald Thomas signe 31 films de cette sé-
rie à succès commencée en 1958 avec
Carry On Sergeant
.
Amanda Barrie campe une reine d’Egypte un peu idiote,
coiffée à la Jackie Kennedy, écarquillant de grands yeux et
passant son temps à prendre des bains de lait d’ânesse : elle
parodie Elizabeth Taylor en train de jouer Cléopâtre. Le
sujet – deux esclaves brittons sauvent César d’un assassinat
comploté par Marc Antoine et la souveraine lagide – est
un simple prétexte à une suite de gags et de réparties écu-
lées (les légionnaires marchent en criant « Sinister, dexter,
sinister, dexter » ... ). Les Monty Python n’ont pas encore
sévi.
1964 (tv)
Antony and Cleopatra
(US) Grey Lockwood ;
William O. Harbach, «The Hollywood Palace » nº 23,
saison 1 (ABC 6.6.64), 60 min. – av. Buster Keaton
(Marc Antoine), Gloria Swanson (Cléopâtre), Jack Car-
ter, Juliet Prowse, Gene Barry. –
Sitcom parodique avec
deux supervedettes du cinéma muet.
1964
Il figlio di Cleopatra / Ibn Kliyûbâtrâh / El Kébir, fils
de Cléopâtre
(IT / EG/ FR) Ferdinando Baldi ; Seven
Film-Tiki Film-Egyptian General Company-Intern,
80 min. – av. Mark Damon (El Kébir [=Ptolémée XV
Césarion]), Scilla Gabel (Livia), Alberto Lupo (Octave
Auguste), Arnoldo Foà (Varron), Livio Lorenzon (le
préfet C. P. Petronius), Samira Ahmed (Meroe), Pa-
olo Gozlino. –
A la tête de son armée de bédouins, El Ké-
bir défend la population contre les exactions de Petronius,
préfet d’Egypte à Alexandrie. Par son père adoptif, il ap-
prend qu’il est en réalité Césarion, le fils de Jules César et
de Cléopâtre, officiellement mis à mort sur ordre d’Octave
Auguste à l’âge de 17 ans. Prudente, sa mère avait confié
l’enfant à des prêtres et hébergé un sosie au palais ... El Ké-
bir capture Livia, la fille de Petronius, qui s’éprend de lui
et adhère à sa cause. La vengeance du satrape est si cruelle
qu’Auguste intervient avec ses légions. Il somme Petronius
de se faire justice, celui-ci se rebelle et est exécuté. El Kébir
révèle à l’imperator son identité (« notre père Jules César »),
promet de ne plus prendre les armes contre les Romains si
ceux-ci laissent vivre les Egyptiens « en paix et en liberté »,
puis s’enfonce dans le désert avec Livia. – L’authentique
C. P. Petronius, gouverneur nommé par Octave (de 25 à
21 av. JC) fit campagne contre la reine éthiopienne Kan-
dake et écrasa une insurrection à Alexandrie. Petit film
hautement fantaisiste (le dénouement relève carrément du
La reine teste un serpent (
Carry On Cleo
de Gerald Thomas, 1964)
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