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 l'antiquité au cinéma
– Cléopâtre : «C’est gentil de ta part de m’inclure »). Et
lorsque, dans un ultime sursaut, Marc Antoine redevient
le guerrier audacieux d’antan, la souveraine amoureuse se
jette à ses genoux, se range, se soumet, oublie ses propres in-
térêts pour défendre « son homme ».
Le récit est immergé dans une débauche baroque d’acces-
soires de pacotille, de surcharge décorative que DeMille, en
conteur né, sait admirablement intégrer à sa narration ra-
pide et fluide. Il tourne dans les studios Paramount et en
extérieurs dans les dunes californiennes d’El Segundo et de
Muroc. Le comédien britannique Henry Wilcoxon fait ses
débuts à l’écran dans le rôle de Marc Antoine (à défaut de
Fredric March, occupé ailleurs). Le budget est serré, suite
à deux fiascos successifs de DeMille : les décors romains
proviennent de
Sign of the Cross
(1932), les cavalcades
dans le désert sont extraites de
The Ten Commandments
(1923), on renonce à filmer la bataille navale d’Actium
et des miroirs sont utilisés pour multiplier optiquement le
nombre des figurants (ils sont à peine une centaine).
Le film récolte un immense succès populaire et l’habituelle
avalanche de ricanements dans la presse. Une scène est in-
surpassable dans le registre kitsch grandiose : la séduction
de Marc Antoine à Tarse, chargé de ramener Cléopâtre à
Rome en chaînes et que la reine a attiré dans l’antre de sa
galère-alcôve géante, un palais flottant transformé en véri-
table cocktail Art déco. Un majestueux travelling arrière,
partant de l’Egyptienne et d’un Marc Antoine aviné sous
une tente, révèle progressivement une salle de banquet aux
voilures de soie, où pleuvent pétales de rose, danseuses dé-
vêtues, musiciens, esclaves nubiens, animaux et, dans les
étages supérieurs de la trirème, des dizaines de rameurs
fouettés en rythme. Une orgie sado-maso qui dénote un
humour certain (quoique parfois involontaire). Cette ap-
proche barnumesque de Plutarque ou Suétone ne manque
pas de charme mais, dans l’ensemble, le spectacle est aussi
proche de l’authentique souveraine ptolémée que ses décors
de music-hall le sont de l’architecture égyptienne. La ré-
ception du film en Italie fasciste est houleuse, la critique
L'intérieur délirant du palais flottant qui emmène Cléopâtre et Marc Antoine en Egypte (
Cleopatra
de Cecil B. DeMille, 1934)
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