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 l'antiquité au cinema
CLÉOPÂTRE, REINE D’ÉGYPTE
41 / 30 av. JC
Naissance de Cléopâtre VII Philopator en –69, fille de Ptolémée XII Aulète (cf. 3.4.2). A 17 ans, Cléopâtre
et son jeune frère Ptolémée XIII montent sur le trône du dernier royaume hellénistique (–48). Contrainte à
l’exil par les ministres de son frère, elle reprend le pouvoir grâce à Jules César, venu à Alexandrie à la poursuite
de Pompée. Elle lui donne un fils, Césarion Ptolémée XV (–47), suit le dictateur à Rome où elle séjourne
pendant deux ans et rentre en Egypte après l’assassinat de ce dernier (–44). Cléopâtre rencontre le triumvir
Marc Antoine à Tarse en –41 alors qu’il s’apprête à combattre les Parthes. Leur liaison coïncide avec leur
projet d’unir l’Orient romain et la dynastie égyptienne. Pour lui, c’est un moyen d’achever les plans de César,
pour elle, une occasion de procurer aux Ptolémées Lagides la souveraineté sur l’Ouest. Il se distancie de plus
en plus de l’Italie et de l’Occident, et en –33, la rupture avec Octave est officielle. Marc Antoine répudie
son épouse Octavie, sœur de ce dernier, et le Sénat déclare la guerre à Cléopâtre. La flotte égyptienne est
défaite à Actium, dans l’Adriatique (–31). Les légions d’Octave s’emparent d’Alexandrie, l’Egypte devient
une province romaine. Croyant la reine morte, Marc Antoine se suicide. Cléopâtre n’obtient pas la clémence
d’Octave. Pour éviter de figurer enchaînée dans le triomphe de son ennemi à Rome, la dernière descendante
des pharaons se donne à son tour la mort en se faisant mordre au bras par un aspic (–30).
L
a femme la plus célèbre de l’Antiquité – et celle qui aura le plus fait rêver. Sous un angle purement popu-
laire et moderne, Cléopâtre domine l’unique chapitre romantico-passionnel de l’histoire romaine. Celui-ci
offre un mélange détonant d’érotisme, d’exotisme, de guerre et de personnalités au-dessus de la mêlée, le tout
brossé sur une toile de fond enivrante : la fin d’un règne, la naissance d’un empire, le deuxième rendez-vous
manqué de l’Orient et de l’Occident (après Alexandre le Grand). Tous les ingrédients sont réunis pour faire de
cette femme fatale une héroïne de spectacle, de sa présentation à César, cachée dans un tapis, jusqu’à sa mort
si théâtrale. Pourtant, la véritable Cléopâtre se dérobe à une description rigoureuse, car les documents et les
témoignages contemporains, qui permettraient des confrontations et la vérification des sources, font défaut. Sa
personnalité est transmise à la postérité par des textes voulus par Octave-Auguste et utilisés comme propagande
en vue de légitimer son pouvoir (les documents égyptiens sont quasi inexistants). Victime d’une véritable cam-
pagne de dénigrement orchestrée par le vainqueur, la dernière des Ptolémées devient une légende sulfureuse, la
cible de toutes les insultes proférées par les poètes ou chroniqueurs du temps inféodés à la stratégie politique de
leur protecteur. Pline l’Ancien parle de « courtisane couronnée », Properce de « putain », Virgile de « reine dé-
mente », Cicéron de « souillure ». Sous leurs stylets vitriolés, elle rétrograde du rang de descendante des généraux
d’Alexandre à celui de traînée vautrée dans la débauche, incarnation de toutes les tares qui pouvaient guetter la
jeunesse romaine : luxure, ouverture d’esprit à d’autres civilisations, à d’autres moeurs ou à d’autres spiritualités.
(Octave interdira aux sénateurs l’accès à l’Egypte afin d’éviter d’inutiles tentations.) Par la « corruption de ses
charmes amoureux », raconte Flavius Josèphe, elle transforma Marc Antoine en « ennemi de la patrie ». Un rôle
donc largement négatif et malfaisant, dont la série télévisuelle
Rome
se fera curieusement l’écho (2005-07, cf.
6a.5.1). Pour des historiens comme Suétone ou Dion Cassius, elle n’est jamais que le faire-valoir de ses célèbres
amants. Cette condamnation n’est pas seulement politique, elle est également conditionnée par la misogynie
foncière d’une société romaine qui faisait emmurer vivantes les Vestales infidèles à leurs serments de chasteté.
Toute femme manifestant des velléités de pouvoir ou d’indépendance subissait l’opprobre général et, quels que
soient leurs manquements respectifs, une Messaline, une Agrippine, une Poppée sous les Julio-Claudiens, plus
tard Théodora de Byzance auront à pâtir de cet antiféminisme ancré dans la mentalité de l’oligarchie conserva-
trice et conforté peu après par les austères Pères de l’Eglise. (Marqués par saint Paul, les copistes chrétiens du IX
e
ou X
e
siècles n’allaient certes pas contredire Virgile ou Cicéron en la matière.) L’humiliation était à son comble
quand une reine « barbare » comme Boadicée, Zénobie ou, précisément, Cléopâtre se permettait de résister à
l’hégémonie civilisatrice de la Péninsule.
Plutarque, dans sa
Vie d’Antoine
, semble toutefois convaincu de l’amour sincère que la souveraine d’origine
macédonienne portait à Marc Antoine. Sa vision critique mais plus nuancée est reprise par Shakespeare, quinze
siècles plus tard, qui décrit les ravages de la passion sur deux êtres d’exception (
Antony and Cleopatra
, 1607).
Auparavant, Etienne Jodelle aura fait de l’Egyptienne la première héroïne du théâtre français (
Cléopâtre captive
,
s
6a.6
I...,320,321,322,323,324,325,326,327,328,329 331,332,333,334,335,336,337,338,339,340,...674