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  l’antiquité au cinéma
LA ROME IMPÉRIALE
Le
«
triomphe
»
des légions victorieuses sur la Voie Sacrée (en réalité étroite et sinueuse) dans
Ben-Hur
de William Wyler (1959)
L’
Empire débute avec le règne d’Octave-Auguste, deux à trois décennies avant la naissance du Christ, et
va s’étirer sur presque cinq siècles (si l’on exclut l’Empire romain d’Orient à Byzance qui lui survivra
d’un millénaire). C’est une période que le cinéma – à l’instar des autres arts du spectacle, de l’image et
du récit en général – aborde abondamment, mais de manière aussi partiale que partielle, sans s’interroger jamais
sur la validité des sources ni remettre en question les stéréotypes. Et aux frais d’une idéalisation excessive de
« l'âge d'or » de la République. Le siècle des Lumières était fasciné par les vertus républicaines, mais la naissance
des Etats-nations dans le sillage de la Révolution française et les visées colonialistes dès le XIX
e
siècle firent que
l'Empire romain devint pour l'Occident moderne un modèle souvent inavoué, toujours ambigu. Car selon les
clichés en cours, l’Empire est à la fois grandiose et décadent, implicitement désigné comme un temps finissant.
Pour peu, on serait tenté de faire coïncider la disparition des vertus d'autrefois avec la Nativité à Bethléem car,
comme le souligne Michel Eloy, « par convenances théologiques, les Pères de l’Eglise voient dans la date de
la naissance du Christ le début de la décadence de l’ordre païen » 
1
. Dès lors, l’Empire devient en priorité un
univers de débauche dans lequel nos contemporains peuvent projeter leurs propres fantasmes et pulsions de
stupre.
Disons-le d’emblée : sans les excès attribués à ses premiers souverains et sans le christianisme naissant,
puis malmené, la filmographie qui suit se résumerait à peu de chose. On y aborde l’époque du Christ (cf.
commentaire 6b.3) – et celle des chefs d’Etat que les Pères de l’Eglise vont, selon l’humeur et l’actualité, qua-
lifier d’Antéchrist. Mais aux nouvelles tensions interreligieuses s’ajoutent aussi les déchirements politiques.
Des mémorialistes tels que Tacite
(Les Annales)
, Suétone
(Les douze Césars)
ou Dion Cassius
(Histoire de Rome)
focalisent leurs critiques sur la dynastie aristocratique des Julio-Claudiens (les descendants indirects de César)
qui régna pendant une centaine d’années : Tibère, Caligula, Claude et Néron. Or, si l’on se souvient que les
récits historiques de l’époque sont en priorité des œuvres de propagande destinées à justifier les membres de la
classe dirigeante, et que la majorité du Sénat était hostile aux Julio-Claudiens qui diminuaient leurs privilèges,
voire ignoraient leurs anciennes prérogatives républicaines en introduisant une forme de monarchie absolutiste,
il convient de relativiser les assertions des « rapporteurs » issus du patriciat lésé. Le système impérial des deux
premiers siècles reposait sur les ordres sénatorial et équestre, avec leurs acquis, leurs doctrines et leurs intérêts.
Certains empereurs (par ex. Caligula et Néron) ont cherché à humilier cette élite sociale, notamment en lui
faisant endosser des rôles indignes de sa haute condition et en bravant la morale traditionnelle, dont elle était la
garante et principale bénéficiaire, par une cascade de transgressions. Ceci pourrait expliquer cela.
Le cinéma et la télévision ne vont retenir de ce premier siècle impérial qu’une galerie de monarques plus
ou moins monstrueux qu’on ne voit curieusement jamais légiférer. Pas de Conseil impérial ni de pouvoir sé-
natorial. Seuls ont droit à l’image les pires aspects du système. Pas d’urbanisme, pas de travaux publics, pas
de fortifications des frontières, pas de législation ni d’améliorations sociales. Seuls comptent les intrigues de
boudoir au Palatin ou la préparation de la prochaine orgie, et la plèbe hébétée applaudit à qui procure le plaisir
le plus vil. Ce cliché est notamment étayé par la série télévisée anglaise
I, Claudius
d’Herbert Wise (1976),
une adaptation du fameux roman-fleuve de Robert Graves qui reprend à son compte tous les commérages de
s
6b
I...,346,347,348,349,350,351,352,353,354,355 357,358,359,360,361,362,363,364,365,366,...674