6b – la rome impériale 
361
croyances : philosophie, gnose, hermétisme, néoplatonisme, syncrétismes divers. La visibilité accrue de la com-
munauté chrétienne l’a rendue vulnérable. Déterminé comme Dèce à laisser à ses pairs un empire religieusement
unifié, dont la théologie sacralise le pouvoir, Dioclétien, après vingt ans de règne avisé, engage une campagne
qui vise littéralement à éradiquer le christianisme jugé incompatible avec la survie de Rome. Il fait également
persécuter les tenants du manichéisme, religion propagée par les Perses ennemis. L’oracle d’Apollon de Milet,
dont Dioclétien est un dévot, aurait d’ailleurs accusé les chrétiens d’être un danger politique 
6
. D’où interdic-
tion des cultes et du prosélytisme, églises rasées, bibliothèques brûlées, évêques et clercs exécutés tout autour du
bassin méditerranéen. Parfois, les autorités font torturer les intransigeants pour les forcer à sacrifier aux dieux et
leur éviter la mort. En bonne logique, on pourrait espérer à l’écran des boucheries dans l’arène autrement plus
spectaculaires que celles attribuées à Néron dans
Quo Vadis ?
, assaisonnées de clameurs, de chairs sanguinolentes
et de cantiques. Las, le terne Dioclétien n’a ni la complexité ni l’aura diabolique de son lointain prédécesseur.
Pas assez « sexy » pour séduire les caméras. Ainsi, le persécuteur le plus acharné de l’Empire sera paradoxalement
aussi le plus ignoré, démontrant la justesse de l’adage hitchcockien selon lequel le nombre des victimes importe
peu pourvu que le tueur soit intéressant. Seul
Fabiola ou l’Eglise des Catacombes
(1854), le roman du cardinal
Wiseman, se déroule à cette époque, mais l’empereur lui-même – qui réside en Nicomédie, en Asie Mineure –
reste absent de l’image. Il est vrai aussi que la réputation de César, de Caligula ou de Néron a été amplifiée par
des écrivains très médiatiques (César lui-même, Tacite, Suétone), alors que les chefs d’Etat subséquents n’ont
pas eu cette « aubaine ».
« La représentation des premiers chrétiens au cinéma ne s’est pas dégagée des influences littéraires et pictu-
rales qui en ont fait une espèce d’objet figé, enrobé de gloses hagiographiques et de bons sentiments », rappelle
Claude Aziza. «Avec cependant un dessein dissemblable. S’il fallait autrefois attirer les néophytes à la foi, il faut
ici flatter les tendances ambiguës, pour ne pas dire malsaines, du spectateur. » 
7
Les interminables tourments des
premiers saints rapportés par la
Légende Dorée
de Jacques de Voragine au Moyen Age, la peinture édifiante des
XV 
e
-XVII
e
siècles et les représentations croustillantes du pompiérisme au XIX
e
ont aussi nourri le voyeurisme
(voire la concupiscence) des fidèles, ébranlés par l’étalage de nudité et de cruauté. Les artistes étaient du reste
souvent secrètement fascinés par la libéralité des mœurs romaines qui contrastaient avec la rigidité des mœurs
chrétiennes de leur propre époque. De même, au cinéma, le gore, qu’il soit suggéré ou crûment illustré, est de
mise. Pour les marchands de pellicule, une certitude : la torture des innocents sanctifiés par l’Eglise fait vendre
et, par conséquent, tout gouvernement impérial, c’est-à-dire dépravé, va nécessairement organiser sa petite
persécution. Cet état d’esprit, associé à l’inculture probable du milieu, peut provoquer des situations carrément
cocasses, comme celle signalée par Michel Eloy 
8
 : dans
Il crollo di Roma
(
Les derniers jours d’un empire
, 1963)
d’Antonio Margheriti, le héros doit passer par l’arène pour sauver ses coreligionnaires chrétiens (cf. 6c.3). Or,
le film se déroule fort imprudemment en l’an 365, soit sous les empereurs chrétiens Valentinien I
er
et Valens. Il
ne peut donc s’agir de persécutions mises sur pied par un gouvernement païen (après la mort de Constantin),
comme l’affirme le film, mais d’une dissension entre chrétiens catholiques et ariens ! Notons que les empereurs
chrétiens ont massacré au nom de l’hérésie beaucoup plus de chrétiens que de païens.
Un dernier point mérite attention : à la lecture des
Actes des Apôtres
, on est frappé par l’absence de conflits
entre les disciples de Jésus et l’Empire. En fait, les persécuteurs des premiers chrétiens sont des juifs orthodo-
xes, un à deux siècles avant que les Romains ne prennent la relève. Saint Paul sauve sa vie en demandant la
protection des tribunaux de Néron et, selon les Evangiles, Ponce Pilate ne comprenait pas la condamnation du
Christ par le Sanhédrin. C’est une apologétique chrétienne plus tardive, suivie par Hollywood au XX
e
siècle, qui
mettra en avant (ou inventera si nécessaire) les premières discordes avec l’Empire. Cette inversion des « allian-
ces » au cinéma s’explique par le fait que la dramatisation est plus aisée entre la foi chrétienne et le paganisme
romain. Ce dernier est toujours montré sot et superstitieux. Le Juif tend alors à disparaître de la scène. Dans le
souci – en l’occurrence fort compréhensible – de ne pas attiser l’antisémitisme, ou de ne pas irriter les puissantes
organisations juives aux Etats-Unis, le judaïsme est pratiquement invisible dans les grands péplums des années
cinquante qui se déroulent à Rome 
9
.
1
Michel Eloy, « La décadence de l’Empire inspire le cinéma », in :
Historia Spécial
n
o
45, janvier-février 1997, p. 116.
2
Simon Claude Mimouni, Pierre Maraval,
Le christianisme des origines à Constantin
, Nouvelle Clio, éd. PUF, Paris 2006, p. 337.
3
Jean-Pierre Martin, in :
Histoire romaine
de J.-P. Martin, Alain Chauvot, Mireille Cébeillac-Gervasoni (« Le Haut-Empire », partie III) Armand Colin,
Paris 2003), p. 312.
4
Cf. Lucien Jerphagnon,
Les Divins Césars – Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale
, éd. Tallandier, Paris 2004 (remerciements à Michel Eloy et
Lucien J. Heldé).
5
Cf. Aline Rousselle, « La persécution des premiers chrétiens », in :
L’Histoire
n
o
181, octobre 1994, p. 33.
6
Jean-Pierre Martin,
op. cit.
, p. 347.
7
Claude Aziza, «Les premiers chrétiens : les lions ne sont jamais loin», in :
CinémAction
n
o
spécial «Le film religieux» (dir. Guy Hennebelle), n
o
49,
octobre 1988, p. 30.
8
Cf. site internet :
9
Cf. Bruce Babington et Peter William Evans,
Biblical Epics. Sacred Narrative in the Hollywood Cinema
,
op. cit.
, pp. 200-201.
I...,351,352,353,354,355,356,357,358,359,360 362,363,364,365,366,367,368,369,370,371,...674