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 l'antiquité au cinéma
grimace Ustinov en se poignardant avec l’aide d’Acté.
Lorsque Néron promet d’exterminer jusqu’au dernier chré-
tien, ses mots font écho aux harangues racistes d’Hitler, l’en-
nemi d’hier, et la garde prétorienne porte des tuniques noi-
res qui rappellent la SS. Pour camper Paul de Tarse, LeRoy
a choisi Abraham Sofaer, célèbre interprète de Shylock sur
scène, en raison de son profil sémite très marqué, car il im-
porte de redonner leur dignité à ces traits vilipendés par des
siècles de caricatures occidentales.
Cette unique version hollywoodienne du roman, tournée
à l’ombre des procès maccarthystes (Robert Taylor comme
Louis B. Mayer étaient des anticommunistes viscéraux), est
marquée par le puritanisme messianique américain. L’An-
téchrist assimilé jadis à Néron est à présent Staline, le nou-
vel ennemi de l’Amérique. Les fondamentalistes protestants,
le révérend Billy Graham en tête, voient en ce
Quo Vadis
une arme providentielle pour la guerre froide et mobilisent
l’Apocalypse dans leurs discours, tandis que les catholiques
en profitent pour évoquer massivement la persécution de
leurs coreligionnaires dans les pays de l’Est (où le film est
évidemment banni). La grande civilisation que Marcus Vi-
nicius annonce à la fin du film pourrait bien être celle des
Etats-Unis chrétiens, détenteurs des valeurs démocratiques,
garants de stabilité politico-économique (le plan Marshall)
et libérateurs des peuples que la tyrannie conquérante et
athée de Moscou menace (à Rome, « personne n’est sûr de
sa vie, l’individu est à la merci de l’Etat, le meurtre rem-
place la justice », proclame le commentaire introductif ).
Une manière de s’approprier et de réinterpréter le subtexte
de Sienkiewicz dirigé jadis contre le tsar, autre César.
1984 (tv+ciné)
Quo Vadis ?
(IT / FR /CH/YU/GB / ES / 
AT /CA) Franco Rossi ; Elio Scardamaglia-Polyfon-
Leone-RAI-Antenne 2-Channel Four-TVE-Pathé Ca-
nada-RTSI-ORF (RAI Uno 24.2.-24.3.85 /ORF2
25-30.12.85), 6 × 105 min. / 6 × 55 min. + 100 min.,
cinéma : 150 min. – av. Klaus Maria Brandauer (Néron),
Francesco Quinn (Marcus Vinicius), Maria-Therese Re-
lin (Lygie), Cristina Raines (Poppée), Frederic Forrest
(Pétrone), Max von Sydow (saint Pierre), Marco Nico-
lic (Ophonius Tigellinus), Barbara de Rossi (Eunice),
Angela Molina (Claudia Acté), Radomir Kovacevic (Ur-
sus), Georges Wilson (Pédanius, préfet de Rome), Fran-
çoise Fabian (Pomponia, son épouse), Philippe Leroy
(Paul de Tarse), Leopoldo Trieste (Chilon Chilonidès),
Robert Spafford (Sénèque), Stojan Decermic (Marc
l’Evangéliste), Massimo Girotti (Aulus Plautius), Ga-
briele Ferzetti (Gaius Calpurnius Pison), Maris Soli-
nas (Polybia), Olga Karlatos (Epikaris). –
Franco Rossi,
auteur acclamé des péplums-feuilletons
L’Odissea
(1969)
et
L’Eneide
(1971) pour la RAI, signe cette adaptation
intéressante, à plusieurs égards même originale, de Sien-
kiewicz, tournée avec quelques grandes vedettes du cinéma
européen aux studios Kosutniak à Belgrade (Yougoslavie),
où les anciens quartiers de Rome sont reconstruits sur qua-
tre hectares. Auréolé de son succès dans le
Mephisto
d’Ist-
ván Szabó (1981), Brandauer compose le portrait d’un
empereur névrotique et ambigu, d’une beauté quasi lu-
ciférienne, aux antipodes des épouvantails lascifs proposés
par les versions antérieures. Un comédien rusé qui calcule
chaque parole et chaque geste en fonction de leur effet en
public. A ses côtés, la fille de Maria Schell, Maria-Therese
Relin, et Francis Quinn, le fils d’Anthony, font leurs dé-
buts (falots) à l’écran. Rossi qui, comme dans ses fresques
télévisuelles précédentes, s’éloigne du décorum kitsch à la
Hollywood, oriente son adaptation vers l’étude de caractères
et le contexte sociopolitique du roman, plutôt que de sim-
plement exploiter la théâtralité de ses rebondissements. Il
ne veut pas redire ce qui a déjà été dit en la matière, mais
traduire visuellement une histoire en lui apportant des clés
contemporaines, notamment faire sentir « la mutation, les
bouleversements, le malaise de la société romaine de l’épo-
que qui se sent infiltrée par une avant-garde du christia-
nisme qu’elle ressent comme subversive et déstabilisante ».
« Personne ne comprendra que nous nous protégeons », dit
l’un des ennemis de la nouvelle religion. Tournant le dos au
spectaculaire (petit écran oblige), bénéficiant d’une durée à
l’antenne de plus de sept heures, le film cherche ses racines
dans la littérature et les chroniques du premier siècle, d’où
un fréquent échange de lettres avec voix en off.
Rossi montre des faubourgs de Rome surpeuplés par un
demi-million de personnes, esclaves, affranchis et petites
gens entassés dans des habitations insalubres et miséreuses.
Il insiste aussi sur les velléités artistiques de l’empereur, qui
sait peindre, sculpter, graver, versifier et jouer de la lyre, et
souhaite même se retirer un temps pour vivre de son art en
Grèce. Son Néron ne bascule dans la folie homicide qu’en
63, après le décès de son enfant de quatre mois, Claudia
Augusta. Jaloux, il ordonne le meurtre du jeune Rufrius,
fils d’un premier lit de Poppée, tandis que l’affranchie sy-
rienne Claudia Acté, seule concubine amoureuse du tyran,
périt par erreur lors de la conjuration manquée de Pison,
ce qui ne fait qu’accentuer la fureur de l’empereur contre
les chrétiens. Le fameux complot du sénateur Caius Cal-
purnius Pison en 65 (épisode omis par Sienkiewicz), qui
coûta la vie à 18 Romains de haut rang (parmi lesquels
Sénèque et son neveu, le poète Lucain), met également fin
aux relations privilégiées entre Néron et Pétrone. L’arbitre
des élégances a cherché si longtemps à survivre à la cour
qu’il est devenu un infirme affectif. Rossi joue sur la dia-
lectique acteur manqué / auteur consacré, mais aussi artiste
neurasthénique / intellectuel lucide pour développer une ré-
flexion philosophique sur la notion de crise à l’échelle in-
dividuelle et étatique. Les scènes de supplice des chrétiens
sont plutôt crues et violentes pour un produit télévisuel, et
la conclusion n’offre point de happy-end triomphateur : à
la fin, Lygie et son époux embarquent sur le Tibre et fuient
Rome en compagnie d’autres survivants des persécutions.
Un feuilleton « différent » qui, en dehors de l’Italie, n’ob-
tient pas le taux d’écoute escompté.
2001 (tv+ciné)
Quo Vadis
(PL) Jerzy Kawalerowicz ; Chro-
nos Film (Miroslaw Slowinski)-Kredyt Bank-Telewizja
Polska-HBO Polska-Studio Filmowe Kadr-Agencja Pro-
Klaus Maria Brandauer en Néron dans la série tv
Quo Vadis
(1984)
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