6b – la rome impériale 
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(Eunice), Bruto Castellani (Ursus), Augusto Mastripie-
tri (Chilon Chilonidès), Giovanni Gizzi (saint Pierre),
Ignazio Lupi (Aulus Platius). –
Un méga-film sur les per-
sécutions des chrétiens dont la mise en chantier doit être re-
placée dans le contexte du conflit Eglise / Etat en Italie : les
Etats pontificaux ont été annexés par le royaume d’Italie en
1870. Dans le but de séculariser l’Italie, le Risorgimiento
en a appelé à la « Rome républicaine des triumvirs » et le
gouvernement libéral de 1898 persécute catholiques et so-
cialistes, dont certains chefs, jugés politiquement subversifs,
sont même emprisonnés. Refusant tout compromis avec les
« athées », le pape Pie IX se considère comme prisonnier au
Vatican et a interdit aux Catholiques toute participation
à la vie politique, une situation qui dure jusqu’en 1913
pour les élections législatives. Fondée en 1906 par la Banco
di Roma (le financier en est Ernesto Pacelli, oncle de Pie
XII), la Cines a pour but secret d’étendre par le cinéma
l’influence du Vatican dans le pays. Son
Quo Vadis ?
doit
contribuer à réaffirmer l’autorité politique du pape à tra-
vers l’image d’une Rome païenne et tyrannique vaincue par
le christianisme. Lygie, l’héroïne du film, représente l’Italie
catholique dont les valeurs triomphent à la fin.
Avec cette première adaptation complète du roman de Sien-
kiewicz, la Cines impose le (très) long-métrage dans les sal-
les de cinéma : on passe brusquement de 30 minutes à plus
de deux heures. Elle fixe pour l’avenir tous les stéréotypes
paradigmatiques du genre, moyennant une reconstitution
fastueuse et convaincante (l’arène, les lions, les orgies, l’in-
cendie) inspirée par les découvertes archéologiques les plus
récentes et en particulier la peinture pompier du XIX 
e
siècle.
Peintre lui-même, Guazzoni reprend notamment tels quels
les motifs des toiles de Jean-Léon Gérôme,
Pollice Verso
(le
salut des gladiateurs à Néron, 1972) et
La dernière prière
des martyrs chrétiens
(1883), tableaux vivants frénéti-
quement applaudis par les spectateurs. La publicité aligne
les chiffres et exagérations dorénavant coutumiers : 2000
figurants, 25 lions, deux mois de tournage, extérieurs sur
les « lieux authentiques » (via Appia, Catacombes, Coli-
sée, mont Janicule), intérieurs dans les ateliers Cines de la
Via Vejo et Via Macerata. Francesco Eugenio Bava, père
de Mario, exécute trucages et miniatures (l’arène, l’incen-
die de la cité), démultipliant optiquement par vingt l’uni-
que lion loué à un cirque local.
Produit pour la somme alors astronomique de 48 millions
de lires,
Quo Vadis ?
est le pion majeur de la Cines dans
sa stratégie pour conquérir le marché mondial. A Berlin,
la société l’utilise pour inaugurer sa première salle, le Ci-
nes-Theater. En France, il sort au Gaumont-Palace, alors
la plus grande salle de cinéma du monde, accompagné par
un orchestre et une chorale de 150 chanteurs. Auguste Ro-
din crie au chef-d’œuvre. En Angleterre (où les droits d’ex-
ploitation ont été vendus aux enchères), le roi George V
assiste émerveillé à une projection au Royal Albert Hall,
aménagé en cinéma pour l’occasion. Aux Etats-Unis,
Quo
Vadis ?
récolte une fortune et ouvre le marché aux produits
italiens. C’est le premier film projeté à Broadway (22 se-
maines), jusque-là fief exclusif du théâtre américain. En
Italie, son exploitation commerciale se prolongera jusque
dans les années vingt. L’alibi culturel que constitue un sujet
« sérieux » (la pénétration du christianisme) excuse la vio-
lence et l’érotisme des scènes, un phénomène qui s’accentuera
dans d’autres films au cours des années à venir, et contre
lequel la censure ne réagira que mollement, paralysée par
le message édifiant. Par l’implication morale du sujet, sa
caution littéraire et l’ampleur des moyens, ce cinéma-là est
Le célèbre tableau de J.-L. Gérôme est repris dans
Quo Vadis
(1913) Pas moins de 25 lions sont lâchés sur les chrétiens (
Quo Vadis
, 1913)
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