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 l'antiquité au cinéma
destiné à attirer tous les publics, des classes populaires à la
bourgeoisie cultivée. Comme Pastrone (
Cabiria
), et même
avant lui, le peintre-cinéaste Guazzoni est un des premiers
à tirer des effets plastiques de la profondeur de champ ; leurs
péplums respectifs témoignent fortement de cette conquête
de l’espace dans l’art cinématographique naissant qui en-
thousiasma tant les spectateurs. Dans l’arène, la caméra
prend même le point de vue des lions qui aperçoivent leurs
futures victimes. Manieur de foules sans pareil, Guazzoni
« élargit la reconstitution historique aux dimensions d’une
vaste fresque et l’élève à la puissance épique » (Jean Mitry).
A défaut d’un fractionnement de l’espace par le montage
comme le fera D. W. Griffith, il sait dynamiser ses cadra-
ges par le mouvement des acteurs et la dramaturgie de la
lumière.
1924
Quo Vadis ?
(IT /DE) Georg Jacoby, Arturo Ambrosio
et Gabriellino D’Annunzio ; Unione Cinematografica
Italiana-Ambrosio, 3308 m. – av. Alfons Fryland (Mar-
cus Vinicius), Lillian Hall-Davis (Lygie), Emil Jannings
(Néron), Elena Sangro (Poppée Sabine), André Habay
(Pétrone), Raimondo Van Riel (Ophonius Tigellinus),
Bruto Castellani (Ursus), Rina De Liguoro (Eunice),
Gino Viotti (Chilon Chilonidès). –
Cet insuccès presque
total est un effort désespéré de l’Unione Cinematografica
Italiana (UCI) pour reconquérir le marché international
perdu depuis la guerre. Annoncé par Ambrosio en 1921
déjà, mais repensé après le coup d’Etat de Benito Mussolini
l’année suivante, le film est contraint de ménager les sen-
sibilités catholiques et fascistes, de célébrer simultanément
la grandeur du Vatican et de la Rome antique. La nou-
velle rhétorique instaurée par le régime mussolinien prône
une Rome impériale irréprochable, et Néron fait tache ! Le
Duce a réintroduit l’instruction religieuse à l’école primaire,
mais en même temps ses partisans harcèlent le Parti popu-
laire catholique, faits qui placent les responsables de cette
nouvelle mouture dans une situation inconfortable. Les Al-
lemands (dont le cinéma est sous perfusion et sera bientôt
sauvé grâce aux capitaux américains) s’imposent comme
coproducteurs avec Jacoby à la réalisation. Pour s’allier les
fascistes, Ambrosio approche Gabriele D’Annunzio, idole
des Chemises noires (il a dessiné leur uniforme) et admi-
rateur de Mussolini, mais le célèbre poète, après avoir en-
caissé son chèque, délègue son fils Gabriellino comme troi-
sième coréalisateur. Le triumvirat artistique va s’épuiser en
vaines querelles pour un film poursuivi par la malchance :
retournage partiel suite à la maladie d’un comédien, figu-
rante brûlée pendant l’incendie, un autre ... agressé par un
lion.
Saisissant chez Murnau et Lubitsch, le grand Emil Jannings
(qui domine le casting international) n’est ici qu’un cabotin
grotesque, un Néron bestial et vulgaire qui roule des yeux.
L’adaptation, comme la version de 1913, respecte de trop
près les méandres de l’intrigue originale, ce qui provoque
un ralentissement de l’action, produit des scènes théâtra-
les et passablement de lourdeurs. La société Ambrosio n’a
pourtant pas lésiné sur les frais : l’architecte Armando Bra-
sini, très en vogue sous Mussolini, construit des répliques
grandeur nature des bâtiments antiques sur le Pincio, dans
les jardins de la villa Borghese à Rome (lieux déjà utilisés
deux ans plus tôt pour le
Teodora
de Leopoldo Carlucci).
Neuf mois de tournage, 45 lions sous contrat sont lâchés
sur des pantins remplis de viande de cheval et animés par
des fils. La séquence de l’incendie de Rome est coloriée à la
main et projetée sur écran géant par une caméra spéciale.
Le film fait preuve d’une complaisance frappante dans la
description des tortures (les deux esclaves dévorés par les mu-
rènes dans la piscine du tyran, les crucifixions en chemises
Haut et bas : Emil Jannings (Néron) est la vedette de l'opulent
remake italo-allemand de
Quo Vadis
filmé à Rome en 1924
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