6a – rome : de romulus à césar 
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Ciarán Hinds, un César énergique et impitoyable avec les Gaulois de Vercingétorix dans la série télévisée
Rome
de Michael Apted (2005)
meurtrier qu’ait connu l’Occident avant les guerres mondiales du XX
e
siècle » 
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. Bref, la colonisation tant vantée
par les manuels fut en réalité une suite de campagnes de rapines, l’œuvre civilisatrice imposée ayant toujours
servi primordialement les intérêts des colonisateurs. Rome, dont la petite paysannerie était ruinée, avait besoin
de terres, de main-d’œuvre, de débouchés commerciaux (notamment pour écouler son vin). Très endetté, César
revendit des populations entières aux négociants romains qui suivaient ses troupes, sans oublier sa commis-
sion.
Ce chapitre n’intéresse évidemment pas les cinéastes américains, qui ont leur propre Far West à digérer. (En
1818, le sénateur Henry Clay, assez seul de son espèce, reprocha au général et futur président Andrew Jackson
de se comporter envers les Indiens de Floride avec la même brutalité que César en Gaule.) Quant aux Italiens,
ils se contentent d’illustrer non sans naïveté – ou roublardise – la conquête virile et musclée de ces régions loin-
taines, une expansion territoriale vue un peu comme une glorieuse aventure dans la perspective du vainqueur :
les Gaulois sont des Sioux de westerns auxquels César, toujours souverain, noble et vertueux, apporte enfin la
civilisation (
Giulio Cesare, il conquistatore delle Gallie
d’Amerigo Anton ou
I giganti di Roma / Fort Alésia
d’Antonio Margheriti, 1963). Sauvages, les Indiens scalpaient leurs victimes. Les Gaulois, eux, pratiquent des
sacrifices humains sous la houlette de leurs druides (
La schiava di Roma
de Sergio Grieco, 1960), un cliché que
l’archéologie moderne réfute : d’une part, les druides n’existaient presque plus au temps de César et, d’autre
part, il s’agissait du massacre de prisonniers après le combat, une pratique courante chez les Grecs comme chez
les Romains ! Au niveau de l’argumentaire et des justifications, César n’avait guère plus d’excuses d’envahir la
Gaule qu’Hitler d’entrer en Pologne. Quand il se vante de l’avoir fait pour « la gloire de Rome », ses contempo-
rains ne s’offusquent guère. Aujourd’hui, glorifier ces mêmes exploits sans questionnements relève de l’incons-
cience, mais il est vrai que les films précités n’ont d’autre but que de divertir, ce qu’ils font selon les schémas
éprouvés du cinéma colonial (
The Lives of a Bengal Lancer
ou
Gunga Din
). Il va par conséquent de soi que les
seuls bons barbares sont des barbares romanisés, et que l’occupant légifère toujours avec une générosité sans ar-
rière-pensée, selon les recommandations d’Anchise à Enée imaginées par Virgile : «Toi, Romain, souviens-toi de
régir les peuples sous ton empire : tes arts à toi seront d’imposer les conditions de la paix, d’épargner les vaincus
et de dompter les superbes » (
Enéide
, livre 6, 852-5). On est hélas loin du compte. En passant, on oublie que les
chefs gaulois de 50 av. JC étaient tous rasés de près, coiffés avec soin et dépourvus de tresses : les fameuses mous-
taches étaient depuis longtemps démodées. Mais à l’écran, la sauvagerie passe mieux avec les cheveux longs. En
réalité, la romanisation était déjà largement à l’œuvre dans l’ensemble des pays gaulois, et c’est justement elle
qui suscita la crise de la société traditionnelle, préparant ainsi le terrain à l’avance des armées de César 
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