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– rome : de romulus à césar 
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la droite républicaine. Il importe de prendre de vitesse un
projet parallèle de United Artists et Alciona Productions
intitulé *
Spartacus and the Gladiators
, tiré du roman
d’Arthur Koestler. Martin Ritt et son scénariste Abraham
Polonsky (lui aussi un « blacklisté » de l’ère McCarthy) y
travaillent d’arrache-pied, avec Yul Brynner prévu dans le
rôle-titre et Anthony Quinn en Crassus. Mais Kirk Dou-
glas gagne la course. Il sollicite d’abord le cinéaste britan-
nique David Lean, qui décline, étant trop occupé à mettre
sur pied
Lawrence of Arabia
. La Universal impose An-
thony Mann, auteur des plus beaux westerns de la firme.
Le film est préparé pendant quatre mois et commencé par
Mann qui signe les premières dix minutes très « épiques »
(l’achat de Spartacus, les cours de gladiature) puis se dis-
pute avec sa vedette, soucieuse, elle, de placer ses tirades à
message et de développer l’histoire d’amour avec Varinia.
Mann, lui, fait plus confiance aux images. Estimant ce
dernier trop « sage », Douglas le remplace par Stanley Ku-
brick, 31 ans, qui vient de le diriger dans le très contro-
versé
Paths of Glory (Les sentiers de la gloire)
, une atta-
que féroce contre le militarisme et la morgue des officiers en
1914-18. Kubrick se trouve soudain à la tête d’un budget
de 12 millions de $, confronté à un scénario qu’il juge non
seulement bancal mais carrément stupide (et que Douglas
interdit de modifier), à des acteurs, décors et costumes déjà
choisis (on remplace seulement Sabine Bethmann par Jean
Simmons) et à un découpage établi jusqu’à la séquence du
soulèvement à Capoue.
Kubrick aurait souhaité se distancier de l’adulation de
Trumbo pour la classe ouvrière en démontrant que les ré-
volutions échouent souvent par la faute des erreurs tactiques,
des faiblesses morales ou de la corruption des insurgés eux-
mêmes. Selon lui, c’était l’incapacité des esclaves de gérer
leur liberté nouvellement acquise qui précipitait leur chute
(la prétendue « immaturité des masses » de Koestler), et non
la supériorité militaire de l’adversaire. En désaccord avec
leur chef, les gladiateurs n’avaient-ils pas renoncé par deux
fois à quitter la péninsule italienne, préférant s’adonner
au pillage facile des cités sans défense ? Trumbo et Douglas
font la sourde oreille. Kubrick proposait notamment une
insertion relative à Crixus, un des généraux de Sparta-
cus dont la défection tragique (ses 30000 hommes furent
massacrés par les légions) eut des conséquences fatales pour
toute l’insurrection. Chez Kubrick, Crixus (John Ireland)
complotait pour scinder l’armée en deux et Spartacus, mis
au courant, le faisait pendre devant ses hommes. Les produc-
teurs opposent un veto catégorique à cette version. Autant
de raisons qui feront que le cinéaste considérera toujours
Spartacus
comme son film le moins personnel. Il parvient
toutefois à faire céder Douglas sur un point : introduire
une grande bataille, alors que Trumbo ne prévoyait que
des images symboliques (la rivière baignée de sang, etc.).
Kubrick concentre tous ses efforts pour donner à son film
un style visuel particulièrement original, des images inci-
sives et très graphiques qui contrebalanceront les dialogues
ternes du script.
Et pourtant : avec Trumbo pour les envolées vengeresses ou
idéalistes sur la condition humaine (« la mort est la seule
liberté d’un esclave ») et Kubrick pour le fracas d’un ré-
cit puissant et froidement maîtrisé, ce
Spartacus
n’est pas
loin d’atteindre les sommets du genre. A l’instar de
Clock-
work Orange
et d’autres œuvres de Kubrick, le film peut
être considéré comme un essai visuel sur la cruauté et ses
origines. Les terribles scènes d’humiliation au ludus de Ca-
poue, le refus rageur de Spartacus d’être traité comme un
animal possèdent une émotion rare, servis par des cadra-
ges et un éclairage admirablement étudiés. Ces images ra-
cées contrastent malheureusement avec d’autres moments
en faux extérieurs, des raccords de studio qui trahissent un
tournage tendu. Le début de la bataille finale de Silarus
contre les cohortes romaines, figures géométriques inhu-
maines symbolisant la discipline de fer des légions face au
chaos chaleureux des révoltés, est hallucinant, une longue
séquence tournée depuis une tour de 30 mètres de haut,
conçue par Saul Bass sur le modèle d’
Alexandre Newski
d’Eisenstein et filmée à Colmenar Viejo (Espagne) avec
l’appui de 5700 soldats de Franco. Elle est malheureuse-
ment affaiblie par une seconde moitié brève et convention-
nelle tournée à Hollywood par Irving Lerner (combats au
corps à corps avec paysages de studio), des affrontements
supplémentaires photographiés par Yakima Canutt et une
conclusion bâclée. Les plans insérés de Kirk Douglas avec
son état-major à cheval sont réalisés à San Simeon, en
Californie. Le film exige deux ans d’efforts, étant tourné
Crassus (Laurence Olivier) spécule sur la défaite des gladiateurs pour devenir dictateur à Rome (
Spartacus
de Stanley Kubrick, 1960)
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