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  l’antiquité au cinéma
croire au Sénat qu’« une retraite bien ordonnée équivaut
à une victoire » ! Mais dans son pessimisme foncier, le film
de Freda tranche avec Marx et Garibaldi. Sa naïveté de
roman-photo est compensée par l’impétuosité du récit. Le
Spartacus de Freda n’est pas le contestataire messianique
de Kubrick, mais un Romain déclassé, pantin déchiré en-
tre deux femmes, la patricienne et l’esclave thrace (selon
Plutarque, Spartacus avait bel et bien une épouse thrace).
Un antihéros rebelle qui cherche la liberté sans être capa-
ble de l’assumer, doute, bat la campagne napolitaine et se
laisse séduire par la fille de son pire ennemi tandis que ses
compagnons meurent de soif sur le Vésuve. Un chef fan-
tôme qui laisse son siège vacant (il le confie à Amytis), ce
qui aboutit au massacre final. Loin de tout manichéisme
psychologique, le film montre Massimo Girotti fasciné par
la somptueuse Gianna Maria Canale (hégérie de Riccardo
Freda). Son Spartacus serait une nature plutôt conciliante,
et le sabordage final de ses pourparlers avec Crassus par son
propre lieutenant et sa compagne rappelle non seulement
les dissensions, l’indiscipline et la soif de pillage qui furent
effectivement à l’origine de la défaite des gladiateurs, mais
aussi les divisions politiques de la gauche et la marginali-
sation progressive du PCI au début des années 1950.
Le cinéaste déploie beaucoup d’ingénuosité pour masquer le
manque (tout relatif ) de moyens, utilisant des cadrages très
composés (les grilles et barreaux omniprésents pour signa-
liser l’enfermement), des angles de prise de vue en contre-
plongée, des éclairages noir-blanc violemment contrastés (le
soulèvement à la lueur des flambeaux, le plongeon dans le
Tibre), et joue avec beaucoup d’habileté sur la dynami-
que des foules, électrisée par un montage serré. La destruc-
tion nocturne du campement romain au pied du Vésuve,
comme l’affrontement fatal à Silarus (filmé en extérieurs
dans le Latium avec près de 1000 figurants) où les gladia-
teurs sont décimés par la cavalerie sont plastiquement très
réussis. Quant aux impressionnantes scènes de cirque, elles
sont tournées dans l’amphithéâtre de Vérone avec 20 lions
en liberté, filmés par Mario Bava (protégé dans une cage),
et une birème de 30 mètres de long flottant sur un lac ar-
tificiel au centre de l’arène et sur laquelle danse l’étoile des
ballets de Monte-Carlo, Ludmilla Tcherina ! Des quartiers
de Vérone ont été maquillés à l’antique tandis que les inté-
rieurs sont photographiés au Centro Sperimentale di Cine-
matografia à Rome. En cours de tournage, le film est stoppé
sur ordre de Nicolas De Piro, censeur qui travaillait déjà
sous Mussolini, puis mutilé en raison de l’image bien trop
négative qu’il donne des Romains. Interdiction d’évoquer
la crucifixion des esclaves captifs. Dix minutes sont coupées,
notamment les scènes brutales de l’ergastule, la prison où
sont torturés les insoumis : on peut critiquer Rome, mais il
y a des limites qu’un bon Italien ne doit pas franchir ! Aux
USA, Kirk Douglas fera racheter et détruire les négatifs du
film (rebaptisé
Sins of Rome
) pour empêcher toute concur-
rence avec sa propre production (cf. infra). Un *
Spartacus
franco-italo-américain en trois versions avait été annoncé
par Synimex Films Paris pour mars 1951, projet demeuré
sans suite.
1960
Spartacus
(Spartacus)
(US) Stanley Kubrick [et An-
thony Mann] [d’apr. Howard Fast] ; Edward Lewis-
Bryna Prod. [Kirk Douglas]-Universal, 196 min. / 184
min. – av. Kirk Douglas (Spartacus), Jean Simmons
(Varinia), Laurence Olivier (Marcus Licinius Crassus),
John Gavin (Jules César), Charles Laughton (Tiberius
Sempronius Gracchus), Peter Ustinov (le laniste Len-
tulus Batiatus de Capoue), Paul Lambert (Gannicus),
Tony Curtis (Antoninus), Nina Foch (Helena), Herbert
Lom (Tigranus, le pirate), John Ireland (Crixus), John
Dall (Varinius Glaber), Charles McGraw (Marcellus),
Woody Strode (Draba). –
Racheté par Batiatus en Libye
pour servir dans son école de gladiateurs à Capoue, Spar-
tacus est amené un jour à se battre contre son compagnon
noir Draba afin de distraire le futur dictateur Crassus. Il
se révolte et lève une armée contre Rome. Ses premiers suc-
cès font le jeu de Crassus, qui obtient le pouvoir absolu, au
grand dam de ses ennemis politiques comme Gracchus, le
sénateur de la plèbe. Spartacus est rejoint par l’esclave Va-
rinia qui lui donne un enfant, mais sa tentative de quit-
ter l’Italie par la mer échoue lorsque la flotte prévue des pi-
rates ciliciens est rachetée par les Romains. Les gladiateurs
sont écrasés à Silarus et les survivants crucifiés le long de la
voie Appienne. Auparavant, Crassus tente en vain d’iden-
tifier Spartacus, puis, pris d’un soupçon, force ce dernier à
combattre à mort contre son fidèle lieutenant Antoninus :
le perdant échappera au supplice de la croix. Spartacus tue
Massimo Girotti livre son ultime combat (
Spartaco
, 1953)
Le sort des gladiateurs désobéissants (
Spartacus
de Kubrick, 1960)
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