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 l’antiquité au cinéma
du nourrisson trouvé dans les roseaux par la fille du pha-
raon, la jeunesse de Moïse (dont la Bible ne souffle mot)
est entièrement inventée : ses succès comme prince égyptien,
bâtisseur de cités et vainqueur des Ethiopiens, favori du
souverain Séthi I 
er
, jalousé par son demi-frère Ramsès, pré-
tendant légal au trône et rival pour l’amour de la princesse
Néfertari, son ignorance de ses origines juives, la découverte
de sa réelle identité à Goshen, etc. DeMille affirme avoir
potassé pour cela Philon d’Alexandrie, Eusèbe de Césarée,
Flavius Josèphe et les commentaires rabbiniques du Mi-
drash (textes écrits mille ans plus tard), alors qu’en réalité,
il s’est surtout inspiré des romans
The Pillar of Fire
(1859)
de J. H. Ingraham et
Prince of Egypt
(1949) de Dorothy
Clarke Wilson.
Le reste suit assez fidèlement les textes sacrés, mais la dra-
matisation ainsi opérée permet de maintenir l’intérêt d’un
large public : Moïse abandonné dans le désert après avoir
tué un tortionnaire égyptien, son mariage avec une fille
du pays de Madian, Séphora. Sur le mont Sinaï, Dieu lui
ordonne de délivrer le peuple juif et il retourne en Egypte,
où son vieil ennemi Ramsès est devenu pharaon ... (le texte
de la Genèse ne permet pas d’identifier le souverain égyp-
tien, mais DeMille est mieux renseigné !). Néfertari, qui
fut bien une des huit épouses de Ramsès II, est le seul per-
sonnage psychologiquement nuancé, donc intéressant, de ce
scénario ultra-manichéiste : une femme humiliée dans son
amour, vengeresse, tragique. Un long prologue qui illustre
la création du monde en « sept jours » n’est pas tourné.
Il est hors de question de recréer l’Exode dans les sables
blancs de Californie comme en 1923. La production to-
talise cette fois un coût de 13,2 millions de $, sept mois de
tournage, dont trois en Egypte, à Jebel Musa au mont Si-
naï, dans les villages de Fayoum et Kharga, dans la Vallée
des Reines à Louxor et sur les rives de la mer Rouge (Abu
Rudeis, Abu Rawash). A Beni Youssef, au sud du Caire, on
édifie sur 250 hectares de sable le complexe de Per-Ram-
sès avec les portes géantes de Tanis (35 mètres de haut) et
l’Allée des Sphinx, selon le modèle qui avait déjà servi en
1923 (lui-même inspiré par le temple d’Horus à Edfou).
L’exode mobilise jusqu’à 12 000 fellahs et bédouins égyp-
tiens et 15000 chameaux tandis qu’un contingent de l’ar-
mée du colonel Gamal Abdel Nasser conduit les chariots de
guerre du pharaon (le jeune Youssef Chahine dirige une des
deuxièmes équipes avec ses collaborateurs des Studios Misr).
Nasser, arrivé récemment au pouvoir, a besoin de devises et
reçoit amicalement DeMille, dont il avait apprécié jadis
The Crusades (Les croisades)
, fresque médiévale où le sul-
tan Saladin était dépeint avec respect (1935). Le raïs fera
toutefois interdire
The Ten Commandments
en Egypte,
fatalement jugé pro-israélien, et ce malgré la haute consi-
dération dont jouit Moïse, Seyyidna Musa en arabe, dans
le Coran. Le film fête d’ailleurs sa première mondiale pen-
dant la semaine où la Grande-Bretagne, la France et Israël
envahissent l’Egypte (et le Sinaï) suite à la nationalisation
du canal de Suez, coïncidence que DeMille utilisera pour
sa publicité. Notons que pendant le tournage de l’exode,
DeMille est victime d’une crise cardiaque et est rapatrié
d’urgence en Californie. Sa petite-fille Cecilia DeMille et
l’opérateur Loyal Griggs terminent les scènes égyptiennes.
DeMille combine avec maestria des prises de vues authen-
tiques et un éventail de trucages (peintures sur verre, ma-
quettes, doubles expositions, incrustations optiques, anima-
tion), des procédés compliqués encore par l’utilisation de
l’écran large VistaVision et récompensés par un Oscar. L’ef-
fet le plus mémorable reste la traversée de la mer Rouge, fa-
briquée à partir de remous hydrauliques obtenus dans une
piscine de 660 m 
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des studios Paramount et RKO où l’on
déverse 15480 hectolitres d’eau. Costumes et accessoires
proviennent en partie de
The Egyptian (Sinouhé l’Egyp-
tien)
de Michael Curtiz. Charlton Heston (pas toujours
à l’abri du ridicule selon la longueur de sa barbe blanche,
à l’image du Moïse de Michel-Ange) et Yul Brynner en
Ramsès ombrageux dominent théâtralement l’affiche de ce
gigantesque catéchisme illustré où Dieu parle d’une voix
Haut : Pharaon (Yul Brynner) pourchasse les Hébreux.
Bas : la traversée de la mer Morte imaginée par Cecil B. DeMille.
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