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l'antiquité au cinema
auxiliaires orientaux de Marcien (le nouvel empereur à Constantinople), acceptaient de rebrousser chemin.
La négociation pontificale concernait la libération de captifs chrétiens, païens et juifs, car le rachat des captifs
entrait dans l’attribution classique du clergé. Attila rentrait victorieux en Pannonie avec un butin considéra-
ble, tout en promettant de revenir l’année suivante si on ne répondait pas enfin à ses exigences (la main de la
princesse Honoria). «Rien dans ses propos ou son comportement n’indique une particulière hostilité pour le
christianisme qui était, après tout, la religion de la plupart de ses vassaux », soulignent Katalin Escher et Iaroslav
Lebedynsky dans leur remarquable
Dossier Attila
. «Nous n’avons même aucune preuve que les chrétiens ariens
de l’armée hunnique (Goths, Gépides, etc.) se soient spécialement déchaînés contre leurs rivaux catholiques en
Gaule et en Italie. »
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« [Attila] n’était pas assez stupide pour s’attaquer à la religion officielle d’un empire qu’il
entendait exploiter et non détruire », concluent les auteurs. Des sources hongroises du XIII
e
siècle lui prêtent
même une conversion – intéressée, quoique peu probable – à l’arianisme.
L’authentique roi des Huns
Le portrait d’Attila apparaît donc fort différent du démon entériné par la tradition tant littéraire que cinéma-
tographique. On n’observe chez lui « aucun penchant sadique, aucune complaisance dans la cruauté »
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, même,
à l’occasion, une inhabituelle mansuétude (notamment envers les responsables du complot d’assassinat ourdi
par Constantinople). Priscus lui attribue un certain savoir-vivre, un comportement toujours convenable avec
les femmes. Il a laissé l’image d’un monarque orgueilleux, austère et sévère, accessible et apprécié par ses sujets,
généreux à l’égard de son entourage. Il ne régnait pas par la terreur et ne tuait que par nécessité : aucune source
d’époque ne le dépeint comme un tyran sanguinaire. Son armée longtemps réputée invincible – les Huns
étaient les meilleurs guerriers de leur époque – a certes ravagé et saccagé la Gaule et l’Italie du Nord, mais le
prix du sang fut sans comparaison avec, par exemple, celui de la destruction de Carthage par Scipion Emilien
ou de Jérusalem par Titus, voire le dépeuplement opéré par César en Gaule celtique. Il est vrai que ces derniers
opéraient au nom du monde civilisé.
Reste le cliché du barbare asiatique destructeur de la civilisation romaine. D’abord, à l’opposé d’un Gengis
Khan ou d’un Tamerlan auxquels il fut abusivement assimilé, Attila est né et a passé sa vie en Europe occiden-
tale, et la population de son empire était en majorité germanique. Ce ne sont pas la soif de conquête ou de
destruction ni une haine particulière envers Rome qui ont provoqué l’expansion des Huns. Calculateur oppor-
tuniste, diplomate subtil et rusé, maître chanteur hors pair mais stratège médiocre, Attila cherchait à exploiter
et non à anéantir l’Empire : la princesse Honoria, demi-sœur de Valentinien III, lui avait proposé le mariage et
le Hun visait l’immense « dot » territoriale qui en découlerait (la Gaule). On a du reste peu analysé les rapports
complexes entre Rome et les Barbares, tantôt alliés, tantôt ennemis, et le cinéma les a longtemps ignorés. En
409 déjà, l’empereur d’Occident Honorius appela en renfort dix mille Huns du roi Uldin pour repousser les
Wisigoths d’Alaric. Le cas d’Aetius est parlant : né en Mésie (Bulgarie) d’un père d’origine scythe (iranienne) et
d’une mère appartenant à la noblesse romaine, il est élevé à Ravenne, puis donné en otage aux Wisigoths, enfin
aux Huns dont il apprend la langue. On le dit très proche d’Attila, et son fils Carpilion sera également laissé en
otage. Chargé par Valentinien III de défendre la Gaule, Aetius dirige l’armée impériale avec un contingent de
fédérés huns dont il fait sa garde personnelle. Grâce à eux, il survit aux luttes de pouvoir intestines à Ravenne.
A partir de 434, et pour vingt ans, Aetius est l’homme fort de l’Empire d’Occident. Pourtant, lorsqu’il repousse
Attila aux Champs catalauniques, il renonce à harceler le reste de son armée et le laisse partir – un fait demeuré
inexpliqué. Enfin, rappelons pour mémoire que le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule,
fut le fils d’un ministre d’Attila, et qu’Odoacre, qui le renversa et devint le premier roi d’Italie, était le fils d’un
autre dignitaire d’Attila.
La connivence secrète entre Aetius et le roi des Huns n’est abordée à l’écran qu’après l’effondrement de
l’Union soviétique, une fois les rivalités idéologiques dépassées. Tourné en Lituanie en 2001, le téléfilm améri-
cain
Attila
de Dick Lowry présente deux antagonistes qui se comprennent, s’admirent mutuellement, chacun
avec ses ambitions démesurées, ses qualités et ses travers. Ils s’adonnent à un jeu de pouvoir impitoyable entre
Ravenne et la Pannonie, conscients cependant que tous les empires sont tôt ou tard voués à la disparition. Ils
meurent assassinés simultanément, séparés par des milliers de kilomètres. Quant à la représentation cinémato-
graphique d’Attila / Etzel dans
Die Nibelungen
, elle est, elle aussi, tributaire des temps. Chez Fritz Lang (1924),
Rudolf Klein-Rogge en fait un gnome hideux, propre à attiser le mépris des blonds Germains qu’Hitler cher-
che à fanatiser. Il n’y a guère qu’Herbert Lom, dans le remake sonore d’Harald Reinl (1967), qui accorde au
souverain hun une tenue et un comportement dignes de son rang. Enfin, à titre de curiosité, dans les aventures
de
Tarkan
, une bande dessinée turque portée plusieurs fois à l’écran dans les studios d’Istanbul (1969-1973),
Attila apparaît en grand seigneur des steppes, justicier noble et généreux, pourfendeur d’empereurs romains
vicieux. A chacun ses croquemitaines.