584
          
        
        
           l'antiquité au cinema
        
        
          
            Attila instrumentalisé par la guerre froide
          
        
        
          Le cinéma – où Attila a été représenté une vingtaine de fois – prend bien sûr la relève, perpétuant naïvetés et
        
        
          propagande. Dans l’Italie des années dix, on pourrait s’attendre à un amalgame facile entre l’ennemi ottoman
        
        
          et les Mongols, mais l’
        
        
          
            
              Attila
            
          
        
        
          de Febo Mari (1918) montre les « nations latines » en lutte contre l’incarnation
        
        
          moderne des Huns, le Prussien ! Puis, à l’instar de Néron, Attila est mobilisé dans le cadre de la guerre froide. En
        
        
          1954, deux productions se font concurrence, l’une américaine avec Jack Palance, l’autre italienne avec Anthony
        
        
          Quinn. La première,
        
        
          
            
              Sign of the Pagan (Le signe du païen)
            
          
        
        
          de Douglas Sirk, est un modèle du genre, dans la
        
        
          mesure où, camouflée derrière une cascade de stéréotypes sur les Barbares véhiculés et transmis depuis l’Anti-
        
        
          quité gréco-romaine, elle s’adapte habilement au discours anticommuniste de Washington. Précisons toutefois
        
        
          que ces stéréotypes étaient si fortement ancrés dans l’imaginaire collectif que ni Sirk ni son public ne furent
        
        
          vraiment conscients d’un éclairage plaqué sur l’actualité (et favorisé par les producteurs).
        
        
          
            
              Sign of the Pagan
            
          
        
        
          fonctionne par la juxtaposition de concepts antagoniques : armées disciplinées (les lé-
        
        
          gions) contre hordes sanguinaires, latinité contre multi-ethnicité, steppes contre urbanisme sophistiqué (pa-
        
        
          lais, églises), laideur contre beauté, crasse contre hygiène, yeux bridés contre yeux clairs, superstitions contre
        
        
          religion, polygamie païenne (sexe) contre monogamie chrétienne (amour), etc. Dès le générique, le Hun est
        
        
          identifié à un péril primitif et létal : son enseigne est constituée de têtes de mort et de banderoles de cheveux
        
        
          humains (?) couleur rouge sang. Il s’agit sciemment, pour Hollywood, de provoquer chez le public une réaction
        
        
          de rejet, d’établir un parallèle entre la menace d’Attila jadis et la menace communiste aujourd’hui, menace plus
        
        
          proche et plus concrète encore en RFA, où le film sort en même temps qu’aux Etats-Unis 
        
        
          4
        
        
          . L’accoutrement du
        
        
          Hun à l’écran, le port de peaux de bête ou la nudité dénotent (déjà chez Jordanès) un manque de culture. Il
        
        
          en va de même pour l’habitat, des yourtes ou des chariots bâchés ; aux yeux des Romains, dont la civilisation
        
        
          était fondamentalement urbaine, la sédentarité et les prouesses architecturales étaient un signe de supériorité.
        
        
          A cela plusieurs remarques : comme les Peaux-Rouges, les Huns abhorraient les maisons « fermées ». Cependant,
        
        
          au V 
        
        
          e
        
        
          siècle, les Huns établis en Pannonie, dans la plaine de la Tisza (un affluent du Danube), étaient en voie
        
        
          de sédentarisation, et leurs divers alliés depuis longtemps sédentaires. La capitale était composée d’édifices en
        
        
          bois, mais aussi de thermes à la romaine construits en pierre et réservés aux proches du souverain. L’habillement
        
        
          de ce dernier était simple, fonctionnel et soigné (Priscus dixit). Il parlait le latin et le grec, ayant eu dans son
        
        
          adolescence un précepteur romain par l’entremise d’Aetius 
        
        
          5
        
        
          . La cour avait son étiquette, reprise en partie des
        
        
          Goths et des Iraniens sassanides, une chancellerie de lettrés étrangers (Onégèse, Oreste, Constantius, Edékôn,