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Constantinople et l’Empire romain d’Orient
Le partage de l’Empire romain, on l’a vu, remonte initialement à Dioclétien. En 330, Constantin le Grand
choisit la ville thrace de Byzance pour capitale de l’Empire (« Secunda Roma ») et lui donne finalement son
nom, Constantinople. La division est consommée en 395, à la mort de Théodose I
er
. Constantinople devient la
capitale de l’Empire d’Orient, une mégapole chrétienne au carrefour des grandes routes commerciales entre la
Méditerranée et la mer Noire, entre l’Europe et l’Asie. Et désormais le pôle artistique et intellectuel de la civi-
lisation occidentale. Le fossé s’élargit rapidement entre les deux parties de l’Empire, qui vivent de plus en plus
comme deux Etats séparés. La cause de cet éloignement est essentiellement culturelle, car l’Orient est de culture
grecque alors que l’Occident est de langue latine (la langue officielle à Constantinople est d’abord le latin, mais
l’influence hellénistique commence à l’emporter au début du VII
e
siècle avec la dynastie d’Héraclius). L’univers
byzantin n’est appréhendé que par une poignée de films. Les pays producteurs les plus immédiatement concer-
nés, la Grèce, les Balkans, la Turquie musulmane n’ont ni les moyens, ni la tentation d’aborder sérieusement la
matière et les pays slaves se contentent d’illustrer les conflits de leurs ancêtres avec l’encombrant voisin (
Rouss
iznatchalnaïa / Les débuts de la Russie
de G. Vassiliev, 1985). Le cinéma bulgare met en scène la résistance
armée contre Byzance au VII
e
siècle (
Khan Asparuch
de Liudmil Staikov, 1981), celle de Khan Kroum au IX
e
(
Denyat na vladetelite / Le jour des souverains
de Vladislav Ikonomov, 1986), mais aussi l’alphabétisation du
pays par les moines Cyrille et Méthode vers l’an 850 (
Konstantin filosof
de Georgi Stoyanov, 1983) et la fon-
dation des premiers monastères par leurs disciples (
Boris Purvi / Boris I 
er
de Borislav Charaliev, 1984). Les
Grecs évoquent encore la destinée de la princesse Kassia, amoureuse de l’empereur-basileus Théophile et hym-
nographe au IX
e
siècle (
Kassiani
d’Elias Parskevas, 1960), tandis que le Liban filme les aventures préislamiques
d’
Antar fi bilad al-Romane / Antar et l’Empire romain
d’Ohan Mrad (1974). Cependant, tout cela ne concerne
plus l’Antiquité, mais le début du Moyen Age.
Quant aux pays latins, ils se penchent presque avec réticence et rancœur sur la civilisation byzantine,
comme s’ils lui reprochaient l’insolence d’avoir survécu mille ans à leurs propres rêves impériaux. La haine suc-
cède à la rivalité après le schisme de l’Eglise byzantine avec le Vatican en 1054, l’excommunication mutuelle, et
aboutit à la razzia de Constantinople par les croisés en 1204, saccage catastrophique dont la cité ne se remettra
plus et qui facilitera sa conquête par les Ottomans trois siècles plus tard. Nolens volens, ces sentiments de rejet
conditionnent la vision de Byzance transmise par les beaux-arts, la scène et l’écran. On y retrouve les stéréotypes
classiques d’un Orient intrigant, lascif, frelaté, qui n’a de chrétien que le nom. Byzance devient synonyme de
magnificence éhontée, de duplicité et de futiles mesquineries théologiques. La totalité des films italo-français
sur le sujet se déroulent au VI
e
siècle, sous Justinien I
er
, qui a au moins le mérite d’avoir reconquis passagère-
ment tout le bassin méditerranéen au nom de Rome et chassé les Goths de la Péninsule. Mais l’empereur dévot
apparaît surtout comme le faire-valoir de son épouse Théodora, l’unique femme « positive » et politicienne
de l’histoire romaine qui ait jamais interpellé les producteurs. Il est vrai qu’il s’agit d’une danseuse et courti-
sane repentie, devenue une des grandes protectrices de l’Eglise : du pain bénit pour le box-office. Et encore, à
l’instar de la médiocre pièce de Victorien Sardou (1884) qui se basait sur les médisances de Procope 
5
tout en
additionnant les absurdités historiques, on cherche d’abord à transformer la souveraine en Messaline orientale
(bis repetita placent). Tel est le cas du
Teodora
(1922) fort dispendieux de Leopoldo Carlucci, précédé de deux
autres moutures en 1909 et en 1912. A l’ère du muet, les thuriféraires machistes de la
romanità
supportent dif-
ficilement une femme mariée, intelligente et bonne chrétienne aux rênes du pouvoir. Il faudra attendre 1953 et
l’intéressant
Teodora imperatrice di Bizancio
de Riccardo Freda pour lui rendre justice, avec candeur et passion.
Freda fait de l’impératrice (Gianna Maria Canale, son égérie) une ex-championne de la faction plébéienne (les
Verts) à l’hippodrome, où elle parvient à coiffer celui qui deviendra son impérial époux. Bref, une impératrice
digne de sa renommée, qui sauve le trône de son conjoint lors de la sédition Nika (ce qui est exact) et restaure
à l’écran l’image de l’Empire romain déformée par Mussolini. Pour une fois, féminisme, socialisme et christia-
nisme se donnent la main.
1
Jacques Heers,
Le Moyen Age, une imposture
, Ed. Perrin, Paris 1992, p. 32.
2
Cf. Henri-Irénée Marrou,
Décadence romaine ou antiquité tardive ? II 
e
-VI 
e
siècles
, Seuil, coll. Points Histoire, Paris 1977.
3
Pour les diverses persécutions chrétiennes, cf. commentaire général sur l’Empire (6b).
4
Lucien Jerphagnon en tente une savante réhabilitation avec
Julien dit l’Apostat. Histoire naturelle d’une famille sous le Bas-Empire
, Ed. Tallandier, Paris
2008, p. 225 ss.
5
Procope de Césarée, historien byzantin contemporain de Justinien (et auteur d’une précieuse
Histoire des guerres de l’empereur Justinien
en huit livres),
se complut, tombé en disgrâce dans les dernières années de sa vie, à recueillir dans un étrange opuscule non publié de son vivant
(Histoire secrète)
tous
les bruits malveillants qui couraient sur le compte de ses souverains. Son contenu est aujourd’hui fortement contesté. – Cf.
L’Antiquité retrouvée. Rome
et Byzance – Histoire et fiction
, Ed. Arelap nº 11 (hors série), Colloque de Nouan-le-Fuzelier 6-8 octobre 2000 (contributions de René Martin, Jean-
Michel Poinsotte, Gérard Gengembre, Françoise Court-Pérez, Claude Aziza, etc.) ; cf. aussi Michel Eloy,
Théodora – Byzance dans le péplum
, Kolossal
(Bruxelles), juin 1985.
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