Introduction 
XIX
ne sont que des silhouettes sans relief. Il en va de même pour les pharaons et leurs innombrables
dynasties. Le nom de Rome, en revanche, évoque, à tort ou à raison, un lieu et des situations qui
nous paraissent plus familiers. Ses signes extérieurs de domination, ses symboles, son architecture,
son codex juridique perdurent. Ses antagonismes se laissent plus facilement transposer – ou tra-
vestir. Les pièges de l’expansion impérial(ist)e, l’exploitation des territoires conquis, l’immigration
massive des populations frontalières, le désengagement des élites, le délabrement des mœurs, la
crédulité ou la superstition des masses, l’intégration à risques d’autres ethnies, la mondialisation,
la banqueroute de l’Etat, la cupidité des classes dirigeantes, le culte de la personnalité et l’hyper-
trophie des ego sont des thèmes anciens qui nous interpellent plus que jamais.
Le choix des scénarios et leur traitement dépendent aussi du pays producteur. Pour le spectateur
moyen américain, on l’a dit, l’Antiquité se résume pendant des décennies aux épisodes religieux
(la Bible, Jésus, les persécutions chrétiennes) et, à la rigueur, aux sujets traités par Shakespeare
(César, Cléopâtre). Un drame dans l’ancienne Egypte (
Il sepolcro dei re
) sera rebaptisé
Cleopatra’s
Daughter
pour l’exploitation locale. Les immigrants slaves, scandinaves, germaniques, anglo-
saxons et juifs n’ont pas d’attaches avec la civilisation romaine. Seuls des détours fantasmagoriques
ou idéologiques liés à l’histoire même des Etats-Unis (la guerre d’Indépendance, les puritains, les
pionniers du Far West, la quête de la terre promise, la guerre froide) rendent cette Antiquité pré-
hensible. Tout film de cette catégorie est obligatoirement une entreprise isolée, à très gros budget,
aux contours boursouflés et au ton parfois pompeux : à Hollywood, la série B « antique » n’existe
pas. Pour le port de la toge, on engage facilement des comédiens versés dans le théâtre « noble »,
shakespearien, comme Sir Laurence Olivier, Richard Burton ou Charlton Heston. Mais selon
un vieux réflexe protestant, plonger dans le passé afin d’y scruter des mondes païens, fussent-ils
voués à la malédiction divine, est un périple répréhensible, ou du moins périlleux, qu’il s’agit
de circonscrire par des comparaisons moralisantes avec le présent. Ainsi, pendant l’ère muette,
les superproductions bibliques d’origine anglo-saxonne ou germanique encadrent-elles souvent
leurs séquences antiques par un récit moderne (
The Ten Commandments
,
Sodom und Gomorra
,
Samson und Delila
,
I.N.R.I
.
,
Noah’s Ark
), comme s’il fallait justifier cet égarement coupable dans
le stupre et le spectaculaire. On retrouve un réflexe similaire, mais articulé de manière plus subtile,
dans les films historiques à épisodes qui se déroulent à plusieurs époques (
Intolerance
de Griffith,
Satanas
de Murnau,
Veritas Vincit
de May,
Pages arrachées au livre de Satan
de Dreyer, etc.).
En revanche, ces précautions semblent inutiles dans les pays latins, où l’Antiquité classique (qui
fait pour ainsi dire partie du paysage) est abordée abondamment, sans complexes ni affectation.
Toutefois avec une conscience historique aiguë : en Italie, seuls les thèmes flattant ouvertement
ou indirectement la fierté nationale sont pris en considération, tandis que ceux qui embarrassent
(l'holocauste à Carthage, la Gaule celtique, l’écrasement de la Grèce, l’invasion des Goths) sont
juste effleurés ou carrément tronqués, quand ils ne sont pas soumis à une réécriture radicale de
l’histoire. Les embellissements et les distorsions semblent calculés, et non le fruit de l’illettrisme.
Enfin, à Cinecittà, le péplum n’est pas, comme à Hollywood, une sous-catégorie occasionnelle du
film épique, mais une catégorie en soi, avec ses œuvres de prestige, d’une part, et son cinéma-bis
à portée de toutes les bourses, de l’autre. Quant à la cinématographie du reste des pays européens,
elle n’a que très sporadiquement abordé les temps antiques, soit pour des raisons budgétaires (la
Grèce), soit parce que leur propre Antiquité est peu documentée (les pays slaves) ou qu’elle corres-
pond à une période de colonisation étrangère. En matière de passé, la Grande-Bretagne préfère en
effet traiter du Moyen Age (Walter Scott oblige), la France se penche facilement sur l’époque de
Louis XI, puis sur le Grand Siècle, l’Espagne sur les Rois catholiques et l’Allemagne débute
véritablement sa rétrospective cinématographique avec la Réforme (le cas isolé des
Nibelungen
mis
à part).
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