Introduction 
IX
«Une erreur tombée dans le domaine public n’en sort jamais ; les opinions se transmettent
héréditairement. Cela finit par faire l’Histoire. »
(Rémy de Gourmont)
«Un homme, un jour, rencontra un lion. Les deux individus entrèrent dans une discussion sur
leurs mérites respectifs, et le lion se targua de sa force et de son impétuosité, qu’il assurait incomparables.
Ils passèrent à ce moment-là devant une peinture qui représentait un homme étouffant un lion dans
ses mains. L’homme se mit à rire en montrant la peinture. "Ah, dit l’animal, si seulement il y avait
des peintres chez les lions ..." »
( Jean-Claude Carrière,
Le cercle des menteurs
, Ed. Plon, Paris 1998)
1
Entretien de S. Kubrick avec Michel Ciment,
The Stanley Kubrick Archives
, dir. Alison Castle, Ed. Taschen, Köln, London, Los Angeles, Madrid,
Paris, Tokyo 2005, p. 441.
INTRODUCTION
Stanley Kubrick affirmait qu’« une des choses que le cinéma sait mieux faire que tout autre art,
c’est de mettre en scène des sujets historiques », c’est-à-dire représenter le passé 
1
. Ce ne sont ni
John Ford ni S. M. Eisenstein ni Luchino Visconti qui l’auraient contredit. Créer l’illusion de
remonter le temps, ce rêve vieux comme l’humanité, est un privilège que seul l’écran est à même
d’offrir pleinement, par la symbiose parfaite de l’image en mouvement, des déplacements spatiaux
et géographiques, du son, des couleurs, en conjuguant simultanément description, action, émo-
tion et réflexion. Pour le créateur, l’exploration d’une époque révolue constitue « un défi visuel sans
commune mesure avec les sujets contemporains », dit Kubrick, et ce d’autant plus que, comme
pour la science-fiction, ce défi, faisant appel tant à l’érudition qu’à l’imagination et à la magie des
trucages, implique de « fabriquer des univers inexistants. »
(ibid.)
Mais l’entreprise n’est pas innocente, et de surcroît elle est semée d’écueils. Il y a différentes maniè-
res d’appréhender le passé. Un cinéaste peut aller chercher son inspiration dans une réalité « vrai-
semblable » et acceptable par les historiens. Ses efforts méritoires restent toutefois tributaires des
connaissances scientifiques du moment, car, on l'a constaté, la représentation de l’ancienne Egypte
en 1920, en 1960 ou en 2000 est tout sauf identique. D’autres considèrent le passé comme un
alibi : de tout temps, écrivains et artistes s’en sont servis pour parler de problèmes contemporains,
par mesure de précaution face aux princes, ou par choix esthétique. Certains l’utilisent à dessein
afin de déguiser un discours propagandiste. Quant aux joyeux épicuriens (ou marchands de soupe)
qui se contentent de faire du cinéma de divertissement en costumes, ils doivent, eux aussi, répon-
dre aux attentes de leur propre époque, prendre en considération ses représentations mentales sté-
réotypées, ses goûts, ses modes, les attentes du public et son degré d’inculture. Bref, quelle que soit
l’approche choisie, le résultat ne peut être qu’un leurre plus ou moins relatif, puisque, comme nous
allons le voir plus bas,
la mise en scène du passé est forcément aussi un miroir du présent
. Toute ma-
nière d’aborder des événements ou des personnages historiques véhicule en priorité des éléments
de connaissance et de compréhension de la société qui abrite et qui produit ce discours.
I,II,III,IV,V,VI,VII,VIII X,XI,XII,XIII,XIV,XV,XVI,XVII,XVIII,XIX,...674