VII
Préface
de Jean Tulard
Membre de l'Institut de France
L’historien a toujours considéré d’un œil méfiant les reconstitutions du passé proposées par le sep-
tième art. Du Barnum, des paillettes, des anachronismes, en un mot du DeMille.
Ce qui est pardonné au roman, à l’opéra, à la peinture, arts nobles par excellence, ne l’est pas
au cinéma, sous-art destiné aux masses incultes. Mais c’est précisément ce qui devrait rendre la
critique indulgente et favoriser l’essor du genre comme mode d’éducation. Les dictatures l’ont
mieux compris que les démocraties. Tous les dictateurs du XX 
e
siècle ont été des cinéphiles et tous
ont encouragé le film historique pour forger l’âme des peuples qu’ils asservissaient par ailleurs.
Le dernier film nazi sera un épisodes des guerres napoléoniennes,
Kolberg
de Veit Harlan, déjà
auteur du
Juif Süss
et du
Grand Roi
, exaltation de Frédéric II qu’admirait tant Hitler. Staline
adorait
Pierre le Grand
de Vladimir Petrov, un tsar dans lequel il se reconnaissait et avec lequel il
voulait être confondu. Mussolini écrivit une pièce sur les Cent-Jours qui devint un film produit
par son fils et dirigé par Giovacchino Forzano. Napoléon y apparaissait comme le précurseur du
Duce. Autre personnage mythique de l’Italie fasciste : Scipion l’Africain, héros du film de Carmine
Gallone. Le film préféré de Franco s’intitulait
Agustina de Aragón
. Consacré au siège de Sara-
gosse par les troupes françaises, il délivrait un message : pas plus qu’elle n’avait cédé à Napoléon,
l’Espagne ne fléchirait devant le boycottage des démocraties. Enver Hodja, qui régna en maître sur
l’Albanie, eut son grand homme et son grand film:
Skanderbeg
, dirigé en 1953 par le réalisateur
russe Youtkevitch. Et pour ne pas être en reste, Ceausescu, le dictateur roumain, n’hésitait pas à
se réclamer de Vlad Tepes dit l’Empaleur, qui vécut au XV 
e
siècle et combattit les Turcs comme
Ceausescu les « impérialistes ». Le dictateur fit tourner en 1978 pour l’édification de son peuple
une biographie de Vlad mise en scène par Dori Nastase.
J’ai rappelé tous ces faits dans la carte blanche qui me fut confiée par la Cinémathèque française
en 2001. D’une façon générale, l’Histoire a été la providence des scénaristes à court d’imagination.
Les premiers films sont des films historiques, de la rencontre du Pape et de l’Empereur vue par
Lumière à l’assassinat du duc de Guise reconstitué par Calmettes. Les grands chefs-d’œuvre du
muet s’appellent
Napoléon
,
La passion de Jeanne d’Arc
ou
Naissance d’une nation
. Le succès du
film historique ne se dément pas avec l’avènement du parlant. Et quel historien pourrait contester
la vision de l’unité italienne offerte par Visconti dans
Senso
ou la représentation d’
Henry V
au
théâtre du Globe ressuscitée par Laurence Olivier ?
Une vue d’ensemble du film historique s’imposait, un répertoire était nécessaire. Nul n’était plus
qualifié qu’Hervé Dumont pour mener à bien ce travail. N’a-t-il pas fait, à la suite de Freddy
Buache, de la Cinémathèque suisse à Lausanne l’égale de celles de Paris, Londres, Bruxelles,
Berlin ou Moscou ? Rien de la production cinématographique ne lui est étranger. Il connaît tous
les films sur César ou Napoléon. Ses travaux sur des réalisateurs négligés par les histoires du
cinéma, Van Dyke, Dieterle, Siodmak, Borzage, font autorité.
Il lui revenait donc d’écrire cette synthèse attendue sur le film historique. Non une simple nomen-
clature mais une analyse des œuvres replacées dans leur contexte politique et économique. Voici,
de la préhistoire à la fin de l’Empire romain d’Occident, un panorama de l’histoire de l’humanité
vu par le cinéma. Chacun y fera son miel, le cinéphile comme l’historien.
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