Introduction 
XI
Le passé revisité
Aux yeux des Athéniens sous Périclès, des Romains sous Auguste, plus tard de la hiérarchie ecclé-
siastique, l’évocation du passé n’est qu’un discours prétexte destiné à façonner l’actualité et à mobi-
liser les citoyens. C’est un passé aux contours mythiques qu’il ne s’agit à aucun moment de creuser,
d’élucider, de cerner dans sa vérité propre. La Renaissance redécouvre l’Antiquité « païenne » à
travers manuscrits et vestiges de pierre et s’en sert pour ébranler le dogmatisme sclérosé de l’Eglise,
tandis que l’Absolutisme utilise les apparats supposés de la civilisation gréco-latine pour chanter
la grandeur du souverain à Versailles ou à Sans-Souci. Dès le XVIII
e
siècle, le rapport à cette An-
tiquité se politise sous l’impact des idéologies libertaires, patriotiques ou impérialistes. En Europe
méridionale et autour du bassin méditerranéen, des traditions proprement nationales mobilisant
les Anciens se mettent en place afin d’expliquer aux contemporains qui ils sont, d’où ils viennent,
quels sont les modèles de vie et les leçons de conduite à imiter : mythes d’origine, récits de fonda-
tion et de légitimation, généalogies célébratrices, etc. Au XIX 
e
siècle, les découvertes sensation-
nelles d’une archéologie en plein essor en Egypte, à Pompéi, en Mésopotamie se superposent à ces
éclairages, infirmant certaines assertions ou conférant un semblant de cautionnement académique
à d’autres. Le souci d’exactitude historique croît avec le résultat des fouilles et la création d’une
science archéologique. Une épistémologie se développe, des musées s'ouvrent, mais l’historiogra-
phie de ces temps éloignés reste paralysée par la rareté, la partialité et la fragmentation des sources
écrites. Simultanément, l’enseignement scolaire de l’histoire devient l’instrument de la formation
civique et de la conscience nationale. De par sa nature même, cette nouvelle discipline encourage
partis pris, schématisations, vulgarisations.
La littérature, le théâtre, la musique et les beaux-arts n’ont évidemment pas attendu ces mises au
point savantes pour faire revivre de manière fictionnelle les épisodes les plus dramatiques du passé,
adaptant, coloriant la matière au gré de leurs propres impératifs, qu’ils fussent artistiques ou com-
merciaux. Vers la fin du XIX 
e
siècle, des peintres académiques ou « pompiers » comme Frederick
Leighton, Edward Poynter et Sir Lawrence Alma-Tadema se spécialisent dans la reconstitution
« fidèle » de scènes historiques : moyennant quelques concessions au goût du jour, ils transmettent
au spectateur avide d’exotisme la sensation de participer aux événements de jadis, de le plonger
dans un monde qui n’est pas le sien. Sur les tréteaux, en plein air, à l’opéra et même au cirque,
on assiste à une surenchère de mises en scène inspirées par
Salammbô
,
Aïda, Ben-Hur
,
Les derniers
jours de Pompéi
ou
Quo Vadis
. L’histoire est ici moins un espace d’expérience sociale ou politique
que le terrain de la légende et d’une iconographie « légendaire » véhiculée au fil des siècles. On y
préfère des sujets qui se sont pour ainsi dire détachés de la matière historique réelle et ont acquis
une vie propre dans l’imaginaire historisant du public.
Le cinéma, sa perspective et l’effet du réel
Au XX 
e
siècle enfin, le cinéma, puis la télévision 
4
reprennent le flambeau. Jusque-là, le passé était
un domaine réservé prioritairement aux cultivés, aux scolarisés. Avec le septième art, l’histoire
entre dans la vie des spectateurs, toutes couches sociales confondues ; elle devient vivante, tangible
comme jamais auparavant. On peut d’ailleurs s’étonner que ce phénomène, pourtant peu banal,
n’ait à ce jour guère retenu l’attention des représentants du savoir officiel. Thématiquement, les
contributions du cinéma ne sont que l’aboutissement particulièrement étoffé d’une longue tradi-
tion que John Ford, dans
The Man Who Shot Liberty Valance
(
L’homme qui tua Liberty Valance
,
4
Sans oublier la bande dessinée, quoiqu’en matière de représentation graphique sérieuse de l’Antiquité, il n’y ait guère que la production franco-
phone qui sorte du lot. On retiendra prioritairement les aventures classiques d’
Alix
dessinées par Jacques Martin (env. 25 albums depuis 1949,
Ed. Casterman) ainsi que les séries
Muréna
de Jean Dufaux et Philippe Delaby (6 albums depuis 2001, Ed. Dargaud) et
Les Aigles de Rome
d’Enrico Marini (dès 2007, Ed. Dargaud). Cf. à ce sujet
Antico-mix. Antike in Comics
, édité par Tomas Lochman, Skulpturhalle Basel, Bâle
1999 (196 p.).
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