Introduction 
XXI
Péninsule, en Allemagne et en Autriche au début des années vingt, le monde antique s’exile à Hol-
lywood. Il est pratiquement inexistant durant le second conflit mondial, pour des raisons d’éco-
nomie. A partir de 1950, lorsqu’il s’agit d’endiguer la fuite des spectateurs enchaînés à leurs postes
de télévision, les «mondes d’autrefois » refont surface, bientôt enjolivés par le Technicolor et le Ci-
nemaScope, et programmés – en apparence – pour distraire de la guerre froide, du maccarthysme.
Plusieurs films sont tournés en Europe
(
Quo Vadis
,
Helen of Troy
)
, en particulier aux studios de
Cinecittà remis sur pied grâce aux capitaux américains. L’industrie du film italien recourt, elle
aussi, sporadiquement au cinéma historique afin de contrebalancer la production hégémonique
du vainqueur, empruntant même à l’occasion une star d’Hollywood :
Ulisse
interprété par Kirk
Douglas pulvérise tous les records au box-office de la saison 1954/55. Le cinéma de la Péninsule est
alors le seul en Europe qui soit encore capable de résister à la concurrence de l’auto familiale, des
vacances, du football et de la télévision 
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. Dès 1956, la fréquentation des salles connaît toutefois
une baisse brutale. Le nombre de récepteurs de télévision passe de 150000 en 1955 à deux mil-
lions en 1960. La crise provoque le vote d’une loi d’aide au cinéma très favorable, suivie d’accords
de coproduction, en particulier avec la France et l’Espagne. La réalisation du film américain
Ben-
Hur
à Cinecittà (1958-59) crée une grande effervescence locale et incite les Italiens à se replonger
dans leur lointain passé, alors que le boom économique sous Aldo Moro bat son plein.
Les subventions publiques et la possibilité de revente aux télévisions régionales américaines sont
à l’origine d’une surprenante floraison de péplums à l‘italienne entre 1958 et 1965, avec la sortie
de plus de 150 longs métrages ressuscitant pêle-mêle Hercule, Thésée, Persée, Enée, Pâris, Ulysse,
Romulus, Hannibal, Brennus, César, Ponce Pilate, Messaline, Poppée, Constantin, Alaric ainsi
qu’une pléiade de body-buildés en jupettes baptisés Maciste, Taur, Ursus, Samson ou Goliath.
Déguisés en superproductions, ces films sont en réalité fabriqués à la chaîne, dans des décors de
polystyrène interchangeables, avec des extérieurs en Croatie, en Roumanie ou dans la sierra anda-
louse (où la main-d’œuvre et la figuration sont peu chers). Quelques films-locomotives s’offrent
des batailles spectaculaires, des incendies ou des destructions de cités, scènes ensuite revendues
comme stock shots à quantité d’autres productions moins bien loties. Cette déferlante déraison-
nable de péplums des «Golden Sixties » (M. Eloy) – plus de 30 films mythologico-historiques rien
qu’en 1961 – ne peut se mesurer sérieusement au rouleau compresseur d’outre-Atlantique, mais
elle constitue un microphénomène cinématographique en soi. Las du néoréalisme et de la mise en
scène des sans-grade de la société, découragé par l’intellectualisme monacal à la mode et avide de
merveilleux, le public italien (puis méditerranéen) fait, le temps de quelques années, un triomphe
au péplum bon marché. Ce dernier est hypercodé, possède ses séquences obligées – un ballet-orgie
(en guise de pause narrative), une scène de torture, une bataille – et mélange humour bon enfant
et nonchalance avec une pincée de sadisme et d’érotisme suggéré (la semi-nudité fréquente des
protagonistes). On aurait pu souhaiter que les auteurs de ces bandes fassent « appel à l’orphisme
plutôt qu’au pentathlon » et qu’on ne doive pas se contenter d’y « saisir la poésie par éclats » (G. Le-
grand). Car, rafraîchissant au départ, ce jeu de citations de mythes devient vite paresseux et méca-
nique dans ses répétitions. La médiocrité l’emporte, le public se lasse. Cette vague inflationniste
réserve pourtant quelques excellentes surprises et retient l’attention d’une frange de la critique de
l’Hexagone (par ex. Bertrand Tavernier) rattachée notamment aux
Cahiers du Cinéma
, à
Positif
et à l’éphémère mais irremplaçable
Présence du Cinéma
. Moins conformistes et moins étriqués
idéologiquement que leurs confrères, ces jeunes-turcs font la différence entre le navet décérébré
et la perle cachée (
Les titans
de Duccio Tessari assisté d'Ariane Mnouchkine, ou
La regina delle
Amazzoni
de Vittorio Sala), films teintés d'ironie sinon, parfois, de réflexions philosophiques.
Cette production a ses réalisateurs spécialisés, dont un auteur (Vittorio Cottafavi, responsable
du jouissif
Ercole alla conquista di Atlantide
) et une poignée d’artisans talentueux et imaginatifs
(Mario Bava, Riccardo Freda, accessoirement Sergio Leone à ses débuts) qui ont aujourd’hui leurs
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Cf. Pierre Sorlin, « Les deux périodes antiquisantes du cinéma italien », in :
Antike im Kino
,
op. cit.
, p. 93 (bibliographie en fin de texte).
I...,XI,XII,XIII,XIV,XV,XVI,XVII,XVIII,XIX,XX XXII,XXIII,XXIV,XXV,XXVI,XXVII,XXVIII,XXIX,XXX,XXXI,...674