5a – la grèce mythologique 
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LA GRÈCE MYTHOLOGIQUE
A
lors que les origines mythiques de Rome sont à peine traitées à l’écran, deux tiers des films sur la Grèce
concernent sa mythologie. Celle-ci s’avère d’emblée un cadre idéal pour des films à trucages (métamor-
phoses, disparitions, créatures extraordinaires) selon la voie inaugurée par Georges Méliès, puis reprise en par-
ticulier par Louis Feuillade à la Gaumont. Le genre est très en vogue dès l’invention du cinématographe, avec
un
Cupid and Psyche
produit par Thomas A. Edison déjà en 1897, suivi en 1899 par une
Naissance de Vénus
signée Zecca ainsi que
Neptune et Amphitrite
de Méliès. On dénombre ainsi une cinquantaine de brèves scènes
mythologiques aux scénarios à peine esquissés, des saynètes candides brassant dieux de l’Olympe, nymphes,
centaures, satyres, Pandore, Pygmalion, Prométhée, Orphée, etc., toutes de fabrication à majorité franco-ita-
lienne. Feuillade rivalise avec ses confrères de la Pathé jusqu’en 1911-12, lorsque des sujets plus épiques pren-
nent la relève et que le long-métrage s’impose progressivement dans les salles.
Dès les années vingt, la naïveté fait place à l’ironie et au pastiche. Tous les films successifs maltraitent
l’Olympe (anachronismes, gaudrioles, parodies), les plus jolies réussites du genre restant l’
Amphitryon
(
Les
dieux s’amusent
, 1935) de Reinhold Schünzel et, après-guerre,
Arrivano i titani
(
Les titans
, 1961) de Duccio
Tessari, auquel collabore Ariane Mnouchkine. Les Amazones reviennent périodiquement à l’écran, prétexte à
montrer des guerrières aux seins nus où, en mode comique, à bousculer le « sexe fort » (le désopilant
La regina
delle Ammazoni
de Vittorio Sala, 1960), mais, bien sûr, en rétablissant la domination du mâle en guise de
« happy end ». Les exploits de Thésée ou de Persée sont sujets à frayeurs (le Minotaure, la Méduse). C’est tou-
tefois l’aventureuse expédition de Jason à la recherche de la Toison d’Or qui remporte la palme du picaresque à
l’antique, en particulier avec
Jason and the Argonauts
(1963) de Don Chaffey qu’animent les effets spéciaux en-
chanteurs de Ray Harryhausen. Les échecs ou les fins tragiques des héros sont bien sûr escamotés, car le cinéma
métamorphose les récits mythologiques en film d’aventures, simple prétexte à aligner des « travaux » et un bes-
tiaire référentiels. Il faut classer dans un registre à part les adaptations littéraires des tragédies antiques d’Euri-
pide et de Sophocle basées sur les mythes d’Œdipe, d’Antigone, de Médée ou de Phèdre, et revus parfois par les
classiques français (Racine, Corneille). Des cinéastes plus élitistes s’en sont occupés (Pasolini, Straub /Huillet,
Lars von Trier) ou plus généralement le petit écran, avec quelques téléfilms ou dramatiques notables réalisés par
Vittorio Cottafavi, Philip Saville, Ingmar Bergman, Abraham Polonsky et William Dieterle.
Reste le cas d’Hercule (cf. 5a.6). Au fil des siècles, la figure d’Heraclès est devenue le plus haut emblème
de l’héroïsme grec. Homère, le Cycle épique, Pisandre de Rhodes (
Héraclès
), Hésiode (
Le bouclier d’Hercule
),
Stésichore (
Odes
), Pindare (
Épinicies
) ou les stoïciens ont célébré en Hercule le type du bienfaiteur de l’hu-
manité, l’exemple idéal de vertu. Une interprétation mystique de ses « travaux » y voit même le cheminement
purificateur de l’âme par les épreuves jusqu’à l’accès à l’immortalité. Les faiblesses du personnage ont, elles,
surtout trouvé place dans le théâtre grec plus tardif et romain : Sophocle (
Les Trachiniennes
), Euripide (
Héraklès
furieux
,
Alceste
), Aristophane (
Les grenouilles
), Sénèque (
Hercule furieux
,
Hercule sur l’Oeta
) ont tantôt évoqué
son accès de folie meurtrière, sa rudesse, ses infidélités ou se sont gaussés de sa gloutonnerie, de sa vanité et
de sa vantardise. La Renaissance revivifie la tradition du mythe, puis l’opéra prend la relève avec, entre autres,
Haendel (
Hercules
en 1745), Vivaldi et Saint-Saëns.
Au cinéma, Hercule se fait longuement attendre, jusqu’au succès surprise de
Le fatiche di Ercole
(
Les tra-
vaux d’Hercule
) et d’
Ercole e la regina di Lidia
(
Hercule et la reine de Lydie
) concoctés en Italie en 1957 / 58 
1
.
Un phénomène à part dans la culture de masse du XX 
e
siècle, qui, à quelques jolies exceptions près, relève moins
du domaine de la création cinématographique que de l’économie de marché et de la sociologie. Dans la pénin-
sule italienne, la percée de Steve Reeves qui, avec sa musculature impressionnante, incarne le premier à l’écran
l’invincible fils de Jupiter et d’Alcmène, réveille un autre mythe, propre au cinéma celui-ci : l’« homme fort » et
secourable hérité de l’âge d’or du muet et illustré en particulier par le bon géant justicier qui dynamise les vingt-
cinq aventures de
Maciste
avec Bartolomeo Pagano, entre 1915 et 1927 
2
. Au moment où le cinéma d’une Italie
en plein boom économique s’internationalise et s’intellectualise (apparition du film d’auteur, Antonioni, Vis-
conti, Fellini), la série des
Hercule
renoue avec la production nationale des origines. L’Héraclès de la céramique
grecque porte une peau de lion et manie l’arc ou la massue. A l’écran, il se bat torse et mains nus. Cet homme
fort, ami des opprimés, des faibles et du petit peuple, n’est pas un héros mythologique : il n’a pas une mission
surnaturelle à remplir, sa fonction première étant l’affrontement et la victoire par le biceps. Dès ses premiers
exploits en celluloïd, l’Hercule de Steve Reeves affirme renoncer à son immortalité pour réaliser un fantasme de
s
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