470
 l'antiquité au cinéma
L
e cas de Claude et Messaline est, lui aussi, caractéristique de la distorsion que des siècles de représentations
tendancieuses ont fait subir à certaines personnalités historiques, et de la difficulté à distinguer la part de ca-
lomnie de celle d’une recherche sérieuse. Dans ce qui aurait pu être le chef-d’œuvre absolu du péplum s’il avait
été achevé,
I Claudius
(1937), Josef von Sternberg montre un Claude qui développe à la stupéfaction générale
un intérêt primordial pour le droit et la justice. Il a simulé l’idiotie pour mieux survivre. Sous les traits du génial
Charles Laughton, l’empereur apparaît non seulement comme un érudit, mais l’auteur avisé d’importantes ré-
formes économiques et fiscales. C’est bien la seule fois. Partout ailleurs, dans la littérature comme dans l’audio-
visuel, il reste l’imbécile cocu, le bouffon bégayant, l’infirme aux penchants sadiques tel que l’a décrit Suétone,
qui le haïssait. L’historien latin consacre plusieurs pages à évoquer ses handicaps, et il cite diverses lettres de
l’empereur Auguste dans lesquelles ce dernier se demande si son petit-neveu est normal, ou bien s’il lui manque
quelque chose ! Les patriciens, il est vrai, ne lui ont jamais pardonné d’avoir pris le pouvoir sans passer par le
Sénat (grassement payés, les prétoriens l’ont imposé à dessein), et, ô horreur, d’avoir confié des responsabilités
impériales à des esclaves affranchis. Dans toutes les questions importantes, le Sénat – dont une partie voulait
restaurer la république – s’est vu réduit à l’impuissance. Claude dirige avec efficacité l’organisation territoriale
de l’Empire, crée cinq provinces, conquiert la plus grande partie de l’Angleterre (qui devient la province de
Bretagne) et se montre très préoccupé de l’approvisionnement de Rome (agrandissement du port d’Ostie).
Il étend le droit de cité en faveur des provinciaux (les Gaulois nobles entrent au Sénat), restaure les anciens
cultes, combat les superstitions étrangères, expulse de Rome les astrologues et les Juifs et interdit le druidisme.
Comme ses réussites d’homme d’Etat sont incontestables, c’est à travers Messaline qu’on est parvenu à le salir.
Le mythe est ici plus réel que l’existence effective du personnage, devenu le symbole même de la luxure, d’une
féminité effrénée ne vivant que par le sexe et pour le sexe. Dans son drame
Messalina
, Pietro Cossa célèbre les
déréglements de la chair (1875), Alexandre Dumas fait de l’impératrice le symbole de l’insatisfaction féminine
(
La femme de Claude
, 1873) et Alfred Jarry la transforme en prêtresse du culte phallique (1901).
Le cinéma fait revivre cette supposée nymphomane sous les courbes de l’opulente diva italienne Rina De
Liguoro (Guazzoni, 1924), de l’Anglo-Indienne Merle Oberon (Sternberg, 1937), de l’ensorceleuse mexicaine
Maria Félix (Gallone, 1951), de la rousse new-yorkaise Susan Hayward (Daves, 1954) ou de Belinda Lee, la
pulpeuse vamp britannique (Cottafavi, 1959) dans des films qui égrènent les lieux communs fantasmatiques :
séductions, meurtres, orgies ... Au fil des décennies, les scénaristes surenchérissent dans l’illustration de mœurs
dissolues, de machiavélisme crapuleux. En réalité, l’arrière-petite-fille de Marc Antoine semble n’avoir été ni
plus dépravée ni plus licencieuse que ses contemporaines, elle qui, jeune vierge écervelée de 14 ans, fut forcée
(sur ordre de Caligula) d’épouser Claude qui en avait 48. Elle lui donna deux enfants. Sa participation répétée à
des bacchanales, fêtes religieuses nocturnes en l’honneur de Bacchus (les « liberalia »), ses caprices infantiles, ses
infidélités pardonnables (son mari n’était guère en reste sur ce point, entouré de ses nombreuses et très jeunes
concubines) n’avaient rien d’original 
1
. Mais en incarnant la liberté sexuelle de la femme, Messaline cristallisa
l’hostilité des écrivains de son temps, car elle renversait les rôles à l’intérieur du couple. « Echappant au contrôle
de Claude, rappelle G. Puccini-Delbey, elle représente la mauvaise épouse. C’est d’autant plus grave que l’époux
est le
princeps
autour duquel est organisé l’Etat tout entier. » 
2
Pour les Romains, la liberté sexuelle féminine était
CLAUDE et MESSALINE
41 / 54
Tiberius Claudius Drusus Nero Germanicus, dit Claude (neveu de Tibère), né en 10 av. JC à Lyon.
Epileptique, bègue et boiteux, mais lettré et grand expert en civilisations étrusque et carthaginoise, il est
proclamé empereur à l’âge de 51 ans par la garde prétorienne, après le meurtre de son neveu Caligula.
Epouses : Plautia Urgulanilla ; Aelia Paetina ; Valeria MESSALINE (épousée en 38), qui lui donne deux
enfants, Britannicus et Octavie. Timide, de caractère faible, Claude se laisse diriger par sa femme et ses
affranchis fonctionnaires (Pallas, Narcisse et Callistus). Mais, remarquable gestionnaire, il transforme l’ad-
ministration centrale de l’Empire en une grande chancellerie, rétablit les finances publiques et consolide
les frontières de l‘Empire jusqu’en (Grande-)Bretagne méridionale (conquise par Aulus Plautius en 43-47).
Excédé par les débauches de Messaline, il la fait mettre à mort en 48 et épouse Julia AGRIPPINE la Jeune
(en 49), sa nièce, qui, cinq ans plus tard, le fait à son tour empoisonner avec l’aide de Locuste pour placer
son propre fils Néron sur le trône, dépossédant ainsi Britannicus, son demi-frère.
s
6b.5
I...,460,461,462,463,464,465,466,467,468,469 471,472,473,474,475,476,477,478,479,480,...674