5c – la grèce historique 
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de leur chemin par la corruption du pouvoir et la faiblesse
des hommes. La gloire, personnelle ou celle de l’Etat, sert
d’excuse pour toutes les atrocités. Le film est écrit, produit
et réalisé par un libéral rooseveltien qui a récolté l’Oscar
avec
All The King’s Men (Les fous du roi)
en 1949, vio-
lent réquisitoire contre la politique fascisto-populiste amé-
ricaine d’après-guerre. Ex-membre déçu du parti commu-
niste, scénariste des films socialement les plus engagés des
années quarante, Rossen a été dénoncé deux fois au co-
mité des Activités anti-américaines entre 1948 et 1953,
s’est établi passagèrement en Europe, a d’abord refusé de
témoigner, subi deux années d’inactivité, puis s’est résigné
à collaborer avec McCarthy. Du traumatisme de la Liste
noire (qui fera que Rossen ne voudra dorénavant plus tra-
vailler à Hollywood) naît le projet à première vue atypique
d’
Alexander the Great
. Initialement d’une durée de trois
heures, l’œuvre est amputée de 45 minutes à l’exigence de
la United Artists qui craint un échec en salle. Si des épiso-
des comme celui du nœud gordien sont maintenus, la prise
de Babylone, la destruction de Persépolis et l’expédition
en Inde ne sont qu’effleurés : le film s’achève abruptement
peu après la mort de Darius, résumant la fin d’Alexandre
en quelques scènes. La portée politique du film, une ana-
lyse des fondements de l’impérialisme, est ainsi considéra-
blement affaiblie. En revanche, à Athènes, Démosthène
s’exprime par deux fois sur la perte des libertés démocrati-
ques, une allusion à la « chasse aux sorcières » et au climat
de la guerre froide. Vers la fin du film, les noces collectives
à Suse, unissant plus de 10000 Macédoniens à des Asia-
tiques, chantent la suprématie de l’intégration et de la di-
plomatie sur toute confrontation armée.
Le cinéaste brosse le portrait d’un homme psychologique-
ment complexe, à la fois rêveur et despote, ambigu et en-
thousiaste, qui cherche à unifier le monde par la force et,
se prenant finalement pour un dieu, ne réussit qu’à « se dé-
truire lui-même et ceux qu’il cherche à unifier » (R. Ros-
sen,
New York Times
, 24.4.55). Son Alexandre obéit aux
préceptes d’un Aristote qui, lui, ne rêve que de revanche
contre les Perses et affiche une philosophie raciste (la su-
périorité des Hellènes sur le Barbare). Darius, le monar-
que déchu, est montré avec respect et compassion. Reflétant
l’aliénation d’une certaine jeunesse des années cinquante
(le syndrome générationnel de James Dean), le film pré-
sente Alexandre comme le produit d’un dysfonctionnement
familial. Dans la première partie, la plus forte, Rossen in-
siste sur l’ivrognerie et la brutalité de Philippe que méprise
tant Alexandre, pour mieux accuser ensuite la troublante
symétrie des comportements entre père et fils car, en fin de
compte, les deux soumettent leurs proches à supplices et as-
sassinats avec une égale sauvagerie. Pris entre son ambi-
tion, son pressentiment de l’échec, sa difficulté à composer
avec ses proches et sa soif de puissance, Alexandre piaffe
d’impatience de peur que son père ne lui laisse « plus rien à
conquérir », puis s’attaque à Darius afin d’exorciser le sou-
venir de son géniteur auquel le liait une rivalité aussi in-
tense qu’obsessionnelle. Comme le relève Alan Casty, « dans
ce schéma de course au succès typique du cinéaste, les prin-
cipes et l’humanité sont sacrifiés » (
Robert Rossen
, Antho-
logie du cinéma, Paris 1968, p. 410).
Première superproduction de l’industrie américaine tournée
en Espagne (pour y récupérer des fonds gelés), aux studios
Chamartin et Sevilla-Films à Madrid, à Manzanares, Ma-
laga, Segovia et sur les plateaux de Castille : El Molar, Ras-
cafria, El Vallon (Athènes, Persépolis), La Cabrera (plaine
d’Axios), La Pedriza (Chéronée), Barajas (Granicos), sous
la supervision historique du prince Pierre de Grèce. Coût :
4 millions de $. Les trois batailles de Chéronée, du Gra-
Lors de la bataille de Gaugamèles, les phalanges d’Alexandre affrontent les chars à faux de Darius (
Alexander the Great
de R. Rossen, 1956)
Alexandre sur son lit de mort (
Alexander the Great
, 1956)
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