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 l’antiquité au cinéma
1916
Δ
Lord Loveland Discovers America
(US) Arthur
Maude. – av. George Clancey (Alexandre le Grand).
1919 [épisode grec :]
Die Geächteten/Der Ritualmord
(DE)
Joseph Delmont ; Max Nivell-Nivo Film-Comp. Ber-
lin. – av. Leopold von Lederbur (Alexandre le Grand),
Eugen Eisenlohn (Peisistratos), Alfred Abel, Sybil Mo-
rel, Rita Clermont, Rita Artz, Heinz Seligmann, Leon-
hard Haskel, Wilhelm Diegelmann.
1941
Sikandar / Sikandar aur Porus / Alexander the Great
(IN/ IR) Sohrab Merwanji Modi ; Minerva Movietone
(parlé urdu), 146 min. – av. Prithviraj Kapoor (Alexan-
dre le Grand), SohrabModi (Pôros /Paurava, roi du Pen-
djab), Vanamala (Roxane), Shakir (Aristote), Zahur Raja
(Amar, fils de Pôros), Meena (Prarthana), K. N. Singh
(Raja Ambhi), Sheela, Sadiq Ali, Zahur Raja, Jilloo. –
En
–326, après la conquête de la Perse et de Kaboul, l’avan-
cée d’Alexandre en Inde est stoppée par les troupes du roi
Pôros / Pûru / Paurava, dans le Pendjab. Oubliant les pré-
ceptes d’Aristote qui lui conseille de « se tenir éloigné des
femmes s’il veut conquérir le monde » ( !), Alexandre s’est
épris d’une Persane, Roxane, qui, craignant pour la vie
du Macédonien, intercède en sa faveur auprès du puissant
souverain pendjabi. Dans la bataille sur la rive du Jhe-
lum (l’Hydaspe), Pôros oppose aux Grecs 30000 fantassins
et 200 éléphants de combat. Il perd son fils Amar dans le
carnage et se heurte à Alexandre. Celui-ci est frappé par la
noble stature et le courage du Kshatriya vaincu. Admiratif,
il le traite en roi, lui laisse son trône et retire son armée. –
face à un Darius poltron, incapable, roi d’une Perse décadente. A l’instar des romans de Mary Renault (
Le Feu
du Ciel
,
L’Enfant perse
,
Les Jeux funéraires
, 1970), le scénario participe de la geste mythique mais suspecte du
premier héraut civilisateur de l’Occident (confondu ici avec les Etats-Unis) face au monde perfide des basanés.
C’est oblitérer le fait que la Perse achéménide fut le moins répressif et le plus tolérant de tous les empires, que
Darius III privilégia toujours la négociation à la lutte armée et qu’il usa de son immense pouvoir pour favoriser
le mélange des cultures au détriment du fanatisme. C’est enfin oublier que ce ne furent pas des rustres persans
qui incendièrent les précieux parchemins et papyrus des bibliothèques de Babylone et de Persépolis, mais la
soldatesque d’Alexandre.
Vingt ans plus tard, dans
Alexander
, superproduction germano-franco-britannique qu’interprète Colin
Farrell, le cinéaste américain Oliver Stone, bête noire de la Maison-Blanche, choque public et critiques en
brossant un portrait plus ambigu encore que celui de Rossen, imprégné de psychanalyse : il montre Alexandre
névrosé, traumatisé par un père dominateur et une mère manipulatrice, homosexuel grisé par les faveurs du des-
tin
2
, enfin corrompu par le pouvoir. Stone accentue la dimension prométhéenne d’un Alexandre qui se réclame
autant d’Hercule que d’Achille, parfois brutal, souvent imprévisible, acharné à « libérer les peuples oppressés par
les Perses ». Un rêve de grandeur et de noblesse – l’union de l’Orient et de l’Occident à travers l’influence hel-
lène – qui s’achève dans l’ivresse du sang. Les spectaculaires victoires des phalanges macédoniennes ne peuvent
effacer un sentiment de malaise.
Tout autre est le discours du cinéma de Bollywood, derrière son clinquant bariolé, ses chansons dansées
et ses reconstitutions pour le moins approximatives. La représentation du conquérant y fait étrangement écho
aux portraits occidentaux des rois perses Darius I 
er
ou de Xerxès dans les films sur les guerres médiques. Dans
Sikandar-e-Azam
(
Alexandre le Grand
)
de Kedar Kapoor en 1965, le Macédonien (Dara Singh) est le rouleau
compresseur d’une invasion impitoyable qui doit faire des Grecs les maîtres du monde, au risque d’y perdre leur
âme. Les femmes rajpoutes se suicident en masse pour échapper aux viols. « Pour quelle raison tuez-vous des
milliers de gens ? N’avez-vous pas assez à manger en Grèce ? Avez-vous besoin de plus de terres pour vos cimetiè-
res ? » lui demande Pôros, le roi du Pendjab. Et c’est au contact de l’ancienne civilisation indienne qu’Alexandre
alias Sikandar et ses généraux égarés sur les rives de l’Indus acquièrent enfin la sagesse, la magnanimité – et
retournent d’où ils sont venus.
1
Jérôme Bimbenet, «De la représentation du pouvoir antique à l’invention de la propagande moderne », chap. 2 de
Film et histoire
, éd. Armand Colin,
Paris 2007, p. 25.
2
La thèse – ancienne mais glorifiée en particulier par Roger Peyrefitte dans son volumineux triptyque
Alexandre le Grand
(Albin Michel, Paris 1977-81)
– de l’amitié homosexuelle entre Alexandre et Héphaestion repose pour l’essentiel sur le fait que le conquérant fit dresser un bûcher de six étages pour
incinérer le corps de ce compagnon, distinction extraordinaire qui a fait supputer une relation plus qu’amicale.
* * *
Un Alexandre devenu conciliant dans
Sikandar
de S. Modi (1941)
s
5c.6.1
I...,226,227,228,229,230,231,232,233,234,235 237,238,239,240,241,242,243,244,245,246,...674