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 l'antiquité au cinéma
Siegfried contre les Saxons du roi Lüdegast. Mais le pre-
mier épisode est desservi par des décors et des costumes sans
inspiration et par un Siegfried niais et balourd (un obscur
lanceur du marteau olympique), peut-être voulu ainsi par
Reinl qui voit en lui non l’irréprochable adonis germani-
que chanté jadis par Fritz Lang, mais un gentil paquet de
muscles condamné à se faire mener par le bout du nez et
trucider. Les scènes en Islande où Gunther se mesure à la
reine guerrière émergent du lot. A la place du pathos, de
l’aura de mystère et de l’implacabilité du destin qui mar-
quent la fresque de Lang, Reinl met en avant la majesté
de la nature « vierge » (les étranges panoramas islandais,
l’éruption du volcan de Surtsey), patrie des
Eddas
nordi-
ques, monde disparu dans lequel s’ébattent ses protagonistes
d’un autre âge : un univers païen sur le point d’être évacué
par le christianisme.
Le second volet révèle un Reinl plus inspiré : son crépuscule
des héros possède une véritable ampleur, solidement rythmé,
baigné dans le rouge des tuniques, le bleu métallique et le
noir des palais carbonisés. (Le barde Volker, seul survivant,
accompagne l’holocauste final des vers originaux de l’épopée
du XII 
e
siècle.)Wischnewski fait un borgne terrifiant. Toute
trace d’idéologie douteuse ou de racisme qui entachaient
la version muette a disparu : les Huns de Reinl sont loin
des sous-hommes de Lang, et l’Etzel / Attila interprété par
le Tchèque Herbert Lom (il fut Napoléon dans
War and
Peace
de King Vidor) est un souverain digne, amoureux
et vulnérable. Généreux et loyal, il est grièvement blessé en
affrontant Hagen seul afin de venger le meurtre de son pe-
tit garçon, et son épouse s’empale dans l’épée du félon une
fois le dernier de son clan à terre. L’anneau des Nibelungs
roule dans une flaque de sang. Alors que le Troisième Reich
fêtait la «Nibelungentreue » (la loyauté jusqu’à la mort des
Nibelungs) comme vertu nationale-socialiste par excellence,
Reinl en dénonce la monstruosité. A travers les propos du
vieux margrave Rüdiger, vassal des Huns et par conséquent
contraint de combattre son gendre Giselher (ils se trucident
mutuellement), le cinéaste fait clairement allusion aux der-
niers jours d’Hitler : «C’est la fin des Burgondes. Ainsi pé-
rissent ceux qui restent fidèles à un assassin. » En 1976,
les deux parties sont remontées en un seul film :
Die Nibe-
lungen /Das Schwert der Nibelungen
(110 min.). US :
Whom the Gods Wish to Destroy
.
1967 (tv)
Die Nibelungen. 1. SiegfriedsTod – 2. Kriemhilds
Rache
(DE / AT) Wilhelm Semmelroth [d’apr. Fried-
rich Hebbel] ; Westdeutscher Rundfunk (ARD/ORF2
Raka et à Kovin (Yougoslavie) avec 3500 figurants, en Is-
lande et en Espagne (coûts: 5,5 millions de DM, alors le
film allemand le plus cher de l’après-guerre). Le dragon
Fafnir, long de 16 mètres et d’une hauteur de 2,5 mètres,
est animé par un moteur et des treuils. Comme de bien
entendu, l’accueil critique est dévastateur, mais Brauner
se console avec l’énorme succès commercial de sa fresque
(couronnée par « L’Ecran d’or » 1967). Revu quarante ans
plus tard, son film n’est pas indigne du cinéma populaire
américain, avec ses naïvetés, mais aussi ses qualités : l’épos
national germanique est détrôné.
Dans les grandes lignes, le remake suit l’original, en ajou-
tant des séquences spectaculaires que magnifient la couleur
et l’écran large, comme la bataille des Burgondes menés par
Le portrait positif d'Attila / Etzel (Herbert Lom), souverain généreux,
est proche de la tradition hongroise (
Die Nibelungen
, 1966 / 67)
Le roi Gunther et son âme damnée, Hagen von Tronje (1966 / 67) Reinl dénonce le crépuscule des dieux (
Die Nibelungen
, 1966 / 67)
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