2 – les hébreux 
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israélienne de Jérusalem à se rendre.
David and Bathsheba
(1951) d’Henry King transmet une vision
chrétienne du péché (l’adultère du monarque), mais célèbre aussi les fondements d’Israël : c’est indirectement
un film d’encouragement pour le jeune gouvernement de ChaïmWeizmann qui affronte ses voisins arabes dans
le Néguev, et de rappel de la gloire d’antan. En 1959,
Solomon and Sheba
de King Vidor détourne carrément
l’Histoire en inventant de toutes pièces une agression armée de l’Egypte, menace de Nasser oblige, après la
crise de Suez (en vérité, Salomon était le gendre du pharaon Psousennès II) 
5
. Alliés à ce pharaon hostile, les
Moabites jurent de « jeter les Israélites à la mer », tandis que le Salomon du film, porte-parole de la propagande
de Tel-Aviv, promène la reine de Saba à travers son royaume florissant en lui demandant : « Peux-tu imaginer
qu’il y a quatre ans à peine, tout ceci n’était qu’un désert ? » Quant aux tourments de la chair de ce « roi aux
mille épouses », ils ont des relents calvinistes qu’on ne retrouve guère dans le «Cantique des cantiques ». Dans les
deux films cités, David comme Salomon arborent en toutes circonstances l’étoile de David (dit aussi le « sceau
de Salomon »), l’hexagone étoilé qui est la somme de la pensée hermétique. Celui-ci n’est devenu un symbole
sioniste qu’au XIX 
e
siècle, mais les combattants héroïques de la cause juive à l’écran doivent racheter l’image
d’un peuple qui fut humilié par le port de l’infamante étoile jaune dans les ghettos et anéanti pratiquement sans
résistance entre 1933 et 1945. Il s’agit ici d’effacer l’accusation de « lâcheté » proférée par les antisémites de tout
poil. Le Loth de
Sodom and Gomorrha
(1961) de Robert Aldrich est un héros anti-esclavagiste (une absurdité
pour l’époque), à mi-chemin entre Spartacus et Lincoln. Fondamentalement pacifique, il réagit toutefois à
la provocation et il est capable d’actes de guerre flamboyants. Sa tribu écrase un ennemi anti-démocratique
dix fois supérieur en nombre (lisez l’Egypte, la Syrie et la Jordanie) grâce à son savoir-faire « technologique ».
Samson, David, Salomon et Loth pourraient bien être les Moshe Dayan de l’écran. Et l’anéantissement de la
cité impie par un champignon nuageux laisse penser que Jéhovah a la fibre nucléaire.
Mais l’exemple le plus frappant de cette relecture de l’Ancien Testament reste le remake de
The Ten Com-
mandments
de DeMille en 1956. Pour le public américain, Moïse, tout comme Jésus, représente celui qui
apporte « le salut et la liberté parfaite ». A en croire DeMille dans le prologue de son film, Moïse, Ramsès et
les Israéliens, « c’est l’histoire de la naissance de la liberté ». Son film pose la question de savoir si l’homme
doit être régi par la loi divine ou par celle d’un dictateur païen ou athée comme Ramsès (Staline). L’homme
est-il la propriété de l’Etat ou a-t-il une « âme libre » soumise à Dieu seulement (et aux lois américaines, cela
va sans dire) ? La « liberté », concept flou par excellence mais mot sacré dans le vocabulaire idéologique de la
Maison-Blanche, sert la lutte anticommuniste. Les prodiges de Jéhovah étalés en format VistaVision se veulent
une démonstration du pouvoir de la foi, de quoi ébranler les incrédules à l’Ouest et paralyser les blindés sovié-
tiques à l’Est. Hollywood corrobore ainsi ce qu’observait déjà Alexis de Tocqueville en 1835 : « en Amérique,
c’est la religion qui mène aux lumières ; c’est l’observance des lois divines qui conduit l’homme à la liberté » 
6
.
Cette démocratie-là est naturellement inspirée par les puissances célestes. En tant que garant du monde libre
après 1945, « les Américains sont plus que jamais le peuple élu par Dieu » 
7
. Quant aux dix commandements
à proprement parler, ils sont livrés dans leur acception chrétienne et puritaine plutôt que judaïque. Toutes les
prescriptions rituelles, alimentaires, sexuelles et sociales du Pentateuque, les sanctions et les jeûnes obligatoires
qui les accompagnent ont disparu. Les tabelles sacrées ont subi un « nettoyage ethnique ». Cet éclairage impli-
que aussi que tous les aspects génocidaires de la conquête de Canaan par les Israélites (selon le « Livre de Josué »)
sont systématiquement passés sous silence ou camouflés. D’une manière globale, on peut dire que le cinéma a,
sans s’en douter, pris avec la Bible hébraïque des licences similaires à celles que les textes bibliques eux-mêmes
ont prises avec la réalité historique.
L’actualité suscite les premières remises en question
On perçoit un léger changement de ton à partir du milieu des années soixante, alors que les Etats-Unis s’em-
bourbent au Vietnam et que la contestation de la jeunesse gagne du terrain. L’Abraham campé par George C.
Scott dans
The Bible ... in the Beginning
(1966) peut être perçu comme légèrement psychopathe, ce qui n’éton-
nera pas, venant d’un cinéaste agnostique comme John Huston ! Le Moïse intransigeant que joue Burt Lancas-
ter dans le film de Gianfranco De Bosio cité plus haut (1974) applique sans sourciller les sanctions de la Loi en
condamnant à mort un homme pour n’avoir pas respecté le sabbat, puis terrorise les enfants trop ludiques. De
Bosio se garde bien d’illustrer la transmission de cette Loi par Jéhovah, ce qui signifie que Moïse est seul à en
assumer l’inhumanité et explique aussi ses tourments nocturnes. Dans
King David
(1984) de Bruce Beresford,
le souverain (Richard Gere) doit affronter le prophète Nathan dont le fanatisme et l’intolérance ébranlent sa
foi en les institutions religieuses, tandis que les Philistins se plaignent auprès de lui de la partialité de la Loi
mosaïque. A la fin, les ennemis d’Israël, prisonniers, femmes et enfants, sont massacrés sans merci pour la gloire
de Jéhovah : la loi de Moïse l’emporte sur celle de David. Le film sera un lourd échec public.
L’épisode de la Genèse relatif à Jacob et à ses frères est le seul où l’Egypte est dépeinte positivement à l’écran.
Cité plus d’une fois dans le Coran, il a aussi fait l’objet de films turcs, iraniens ou égyptiens (comme du reste
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