2 – les hébreux 
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L
e conflit apparent entre mythes, légendes et faits historiques a toujours été particulièrement frappant
dans le cadre de la représentation populaire ou littéraliste des épisodes de l’Ancien Testament. Même
s’il n’y a pas de raisons objectives de douter de l’existence des grands prophètes, juges et rois d’Israël, le
déroulement précis des péripéties qui les entourent doit être relativisé à l’aune des connaissances scientifiques.
On sait aujourd’hui qu’une grande partie du Pentateuque («Torah », « Prophéties » et «Hagiographies » selon
le canon hébraïque) ainsi que le Talmud, commentaire de la Loi mosaïque, ont été rédigés pendant les deux
siècles que les Hébreux passèrent à Babylone (721-586) après la première destruction de Jérusalem, ou même
plus récemment, entre le V 
e
et le II 
e
siècle av. JC, au cours des périodes de l’occupation perse et hellénistique.
Ce qui explique dans ces textes sacrés les thèmes récurrents du retour à la Terre promise, de l’exil, de la quête
d’identité. Mais aussi l’exaltation d’un royaume unifié, la geste des monarques légendaires David et Salomon,
des fastes de leur cour, etc. Ces événements n’ont toutefois laissé aucun témoignage écrit en hébreu ancien, ni
aucune trace dans les royaumes voisins.
Des certitudes ébranlées par l’archéologie
Aucun document découvert par les égyptologues ne mentionne la migration des Juifs en Egypte sous Jacob, ni
leur séjour dans le delta du Nil ou l’exode sous Moïse. La stèle de Méneptah (fils de Ramsès II), qui contient
la première mention du nom d’Israël dans un texte de l’Antiquité encore intact, décrit seulement la campagne
militaire victorieuse de ce pharaon contre Canaan et un peuple nommé Israël. Enfin, contrairement à une
croyance encore fortement répandue, l’Egypte des pharaons n’a connu l’esclavage que neuf siècles après Moïse,
et les images du peuple juif construisant les édifices de la Vallée des Reines sous les coups de fouets relèvent
de la plus pure fantaisie. On sait aujourd’hui que ces travaux monumentaux, nécessitant une haute technicité,
étaient réalisés par des hommes libres, l’élite des ouvriers du royaume 
1
. L’exclusion qui caractérise l’esclavage
n’avait d’ailleurs pas de raison d’être dans une société qui pratiquait au contraire l’intégration à tous les niveaux,
sociale, ethnique et religieuse (Moïse accédant aux plus hautes fonctions de la cour, comme l’imagine DeMille
dans
The Ten Commandments
, eût été chose possible même pour un Hébreu). Ce sont les pharaons grecs, les
Ptolémées, successeurs d’Alexandre le Grand, qui introduisirent l’esclavage sur les rives du Nil, vers 310 seu-
lement avant JC. Quant aux 600 000 Juifs qui auraient fui l’Egypte selon le récit biblique («Nombres » 1:46),
leur nombre ne peut être que symbolique : l’exode, s’il avait eu lieu tel quel, aurait vidé le royaume de plus d’un
quart de sa population et laissé une saignée impossible à cacher (sans parler de la survie d’une telle population
dans le désert). L’Egypte de Ramsès II était une puissance considérable, qui contrôlait étroitement les cités-
Etats de Canaan: des forteresses égyptiennes balisaient la frontière, d’autres étaient bâties en Canaan. Il aurait
été hautement improbable qu’un groupe important parvienne à fuir sans se heurter à des troupes égyptiennes.
L’immigration graduelle des Hyksos, peuple sémitique en provenance de Canaan, dans le delta du Nil et son
expulsion de force hors du pays par les rois égyptiens vers la fin du XIII 
e
siècle, faits mentionnés par divers
documents archéologiques et historiques, pourraient bien être à l’origine de la saga de Joseph, puis de l’Exode.
Le « Livre de Josué », qui fait suite à l’Exode, décrit la conquête violente de Canaan. Or, comme l’attestent
à présent les fouilles israéliennes, la chute de Jéricho (cité qui n’était pas fortifiée !) et celle d’autres localités de
la région ne peuvent être prises à la lettre. La protection de l’Egypte, qui veillait sur la sécurité de la province,
dispensait de murailles défensives et les lourds impôts dus au pharaon par les princes de Canaan interdisaient
au petit dirigeant local d’entreprendre de gros travaux publics. Selon Israël Finkelstein (directeur de l’Institut
d’archéologie de l’Université de Tel-Aviv), et Neil Asher Silberman, tout porte à croire que les Hébreux étaient
non pas des envahisseurs venus d’Egypte, mais en réalité des peuplades indigènes de Canaan même, surtout des
éleveurs et des bergers, qui, à travers leur religion, auraient développé progressivement une identité ethnique
israélite, puis colonisé les hautes terres de Judée et les montagnes de Samarie 
2
. De toute évidence, la traversée
du désert des Hébreux sous la direction de Moïse est un récit prioritairement symbolique et initiatique, celui
d’un cheminement spirituel à forte connotation identitaire.
Comme le démontrent Finkelstein et Silberman, l’épopée de David et Salomon, souverains d’une mo-
narchie israélite unifiée vers l’an 1000 av. JC, relève, elle aussi, de la fiction ou, pour le moins, de l’exagération.
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