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  l’antiquité au cinéma
Europe. Les extérieurs sont photographiés à Matera (Italie
du Sud), les intérieurs à Cinecittà, où chaque journée de
tournage est précédée d’une messe en latin. En toute mo-
destie, Gibson affirme que « le Saint Esprit s’est manifesté »
en lui.
Parlé araméen et latin (avec sous-titres),
The Passion of
the Christ
veut susciter des conversions par le choc d’une
représentation hyper-naturaliste. Le moyeu dramaturgi-
que, sinon la raison d’être du film, se résume à la torture
physique de Jésus, évoquée en quelques mots dans l’Evan-
gile et que Gibson se complaît à étaler sur vingt longues
minutes, dans les détails les plus écœurants, les plus expli-
cites, filmés au ralenti avec giclement continu d’hémoglo-
bine (une escalade de sévices d’ailleurs insensée, un dixième
suffirait à tuer un homme). Plus encore que des Evangi-
les, son Golgotha s’inspire des Passions postmédiévales, avec
leurs épisodes brodés par la piété populaire, ainsi que des
visions doloristes d’Anne-Catherine Emmerich (mystique
allemande stigmatisée du XVIII 
e
siècle). Mais le cinéaste,
recourant à la violence masochiste qui teintait déjà sa fres-
que médiévale
Braveheart
(1995), dépasse ces modèles en
brutalité sanguinolente. Son Jérusalem est un enfer, lieu
hostile, en proie à la déraison. Des enfants pestiférés trans-
formés en furies harcèlent Judas jusqu’au suicide. Même
l’image physique du Christ (Jim Caviezel, le GI déboussolé
de
The Thin Red Line
de Terrence Malick) est malmenée :
enchaîné, couvert d’hématomes, le corps disloqué, un œil
fermé par les coups, l’autre brillant à travers un verre de
contact doré. Le jardin de Gethsémani est un lieu lugubre
où Jésus, transi de peur et d’angoisse, repousse le démon.
Un climat et une esthétique de film d’horreur habilement
dosés (avec des éclairages à la Caravage) qui suscitent des
réactions épidermiques, mais aucun enseignement.
Gibson a ignoré les instructions de retenue du Vatican de
1965 quant aux passages de l’Evangile susceptibles de ré-
veiller l’antisémitisme. Le Sanhédrin forme ici un collège
odieux, et l’instigateur du supplice, Caïphe, un Shylock dé-
moniaque, finit par s’écrier : «Que son sang soit sur nous
et sur nos enfants » (Matthieu 27 : 25), phrase controversée
dite en araméen mais prudemment oubliée par les sous-ti-
tres. La croix est fabriquée dans le Temple (erreur : le châ-
timent hébreu était la lapidation). Rome n’est que l’exécu-
teur de la sentence, comme l’explique Jésus à Ponce Pilate,
Hamlet androgyne et bienveillant sous la coupe des Grands
Prêtres (alors que l’authentique Pilate était réputé pour sa
cruauté) : «Celui qui m’a livré à toi a le plus grand pé-
ché » (Jean 19 : 10-11). Au vu de son accueil tumultueux,
le film de Gibson, avec son racisme rampant, a au moins
Jim Caviezel dans
The Passion of the Christ
de Mel Gibson (2004)
Ponce Pilate consulte ses sujets juifs : qui faut-il libérer, le Christ ensanglanté ou le brigand Barabbas ? (
The Passion of the Christ
, 2004)
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