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 l'antiquité au cinéma
En 1802, Georg Friedrich Grotefend est parvenu à déchiffrer les trois écritures cunéiformes de Persépolis
et par conséquent la langue de ces Assyriens si longtemps anathématisés par les prophètes d’Israël. Cet exploit
a fait découvrir la civilisation mésopotamienne (les premières fouilles à Ninive datent de 1842) et considéra-
blement progresser l’archéologie comme l’historiographie mais, faute de repères identificatoires, les arts du
spectacle n’en ont tiré ni profit ni leçon. A tous les niveaux, c’est la conception romantique de l’Histoire, fêtant
la décadence et la chute des monarques qui l’emporte, en écho à la tragédie de Lord Byron (
Sardanapalus
, 1821)
comme au célèbre tableau d’Eugène Delacroix (
La mort de Sardanapale
, 1827). En conclusion, Babylone est un
grand décor vide, voué à la destruction pour la joie des foules.
Quant à l’empire perse, il n’existe qu’à travers l’image déformante qu’en donnent ses ennemis grecs
(Thu-
cydide ou Hérodote d’Halicarnasse, uniques sources de l’historiographie classique). Aucun film n’est consacré
aux souverains achéménides 
2
, ceux-ci n’apparaissant à l’écran qu’à l’occasion de campagnes militaires désas-
treuses ou d’événements concernant des pays voisins (les guerres médiques avec Marathon et les Thermopyles,
Alexandre). Ils sont presque tous dépeints comme des individus sadiques, retors, vénaux et mégalomanes,
selon les critères racistes que le cinéma occidental applique systématiquement aux ressortissants du Proche-
et du Moyen-Orient afin de mieux justifier
a posteriori
leur colonisation culturelle, politique ou militaire 
3
.
On se garde bien d’évoquer la magnanimité de Cyrus le Grand, qui rendit la liberté aux Hébreux et finança
même la reconstruction du Temple. Une seule exception dans cette galerie peu reluisante : Assuérus, noble
époux d’Esther et protecteur du peuple juif, dont on tait opportunément la réelle identité, à savoir Xerxès I 
er
,
l’adversaire honni des nations civilisées aux Thermopyles !
1
Ed. du Seuil, Paris 1980 (
Colonialism
, Pantheon Books, New York 1978).
2
La seule rencontre entre le septième art et le passé de la Perse tient à un rendez-vous manqué: en août 1971, le Shâh d’Iran Mohammed Reza Pahlavi
envisagea Abel Gance pour organiser un défilé historique à Persépolis lors de la grande fête « son et lumière » en l’honneur du 2500 
e
anniversaire de la
dynastie achéménide. Gance discuta longuement avec l’impératrice Farah Diba à Téhéran, mais le projet n’eut pas de suite.
3
Cf. Zachary Lockman,
Contending Visions of the Middle East. The History and Politics of Orientalism
, Cambridge University Press, Cambridge 2004,
pp. 8-19 ; Jack G. Shaheen,
Reel Bad Arabs. How Hollywood Vilifies a People
, Arris Books, Gloucestershire 2003, pp. 7-33.
Dans
Intolerance
(1916), D.W. Griffith s’improvise archéologue pour soigner les détails du quotidien dans la Babylone du roi Nabonide
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