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 l'antiquité au cinéma
le film utilise dans un sens inversé. Cette liberté scénaris-
tique est manifestement conditionnée par l’actualité : de-
puis 1957, Israël, en conflit avec ses voisins arabes, occupe
le canal de Suez ... et Nasser ronge son frein. Quant à la
ruse des boucliers-miroirs, elle ne figure nulle part dans la
Bible. Il n’y eut jamais de soulèvement du peuple, de lapi-
dation de la reine, ni de duel mortel entre Salomon et son
demi-frère, fils de Haggit, car Salomon fit exécuter Ado-
niyya peu après son intronisation. Enfin, la reine de Saba
vint pour éprouver sa sagesse par des énigmes et non pour
le séduire, voire organiser de frénétiques orgies rituelles en
faveur du dieu Ragon (en réalité Ishtar), puis se conver-
tir au judaïsme. Ce n’est qu’après le départ de la reine que
Salomon servit un temps les divinités sidoniennes, moabi-
tes et ammonites de son légendaire harem (700 princesses
et 300 concubines), provoquant la colère divine et la di-
vision de son royaume.
Compte tenu des talents à l’affiche, on pouvait s’attendre à
quelque chose de plus consistant que cette banalité rédui-
sant la rencontre mythique du Seigneur des Djinns avec la
Souveraine des Aromates à une confrontation aussi puérile
qu’hypocrite entre le « sexe païen » et Jahvé, la libido et l’es-
prit (Vidor a le protestantisme «Christian Science » vrillé
dans l’âme), le tout mâtiné de propagande sioniste. «Voici
la frontière entre Israël et l’Egypte, telle qu’elle existait déjà
mille ans avant la naissance de Jésus de Nazareth ... » af-
firme-t-on au début du film. L’étoile de David qu’arborent
les soldats sur leurs boucliers pour signaler la pérennité de
l’Etat d’Israël ne deviendra d’ailleurs le symbole ethnico-
religieux des Juifs qu’à la fin du XIX 
e
siècle avec Théodore
Herzl. Quant à Salomon, c’est un monarque aux idées du
XX 
e
siècle qui prône que « tous les hommes sont égaux et
qu’aucun ne doit être esclave ». Un crédo très peu bibli-
que. Certains passages invitent à une sorte d’état des lieux
de la crise israélo-palestinienne. Mourant, David affirme
que ce n’est que dans la paix qu’Israël deviendra prospère
et puissant. Les voisins sabéens refusent de discuter avec ce
nouveau royaume dont l’armée ne cesse de se renforcer, et
la désunion politique entre Salomon et son frère, belliciste
intransigeant, n’est pas sans rappeler l’opposition entre tra-
vaillistes et le Likoud. Fastueuse, maîtrisée avec maestria
et visuellement impressionnante, l’œuvre de Vidor est dra-
matiquement desservie par ses deux interprètes principaux
dont n’émanent ni conviction ni authentique sensualité,
mais des poses théâtrales : Yul Brynner exhale une force
virile sans nuances (Power aurait été plus sensible, plus
déchiré et angoissé), tandis que Gina Lollobrigida fait une
espionne de Pharaon au regard vide et aux moues de pim-
bêche lascive. On retrouve pourtant la flamboyance épi-
que, le souffle lyrique et le sens de l’espace propres au grand
cinéaste texan de
Duel in the Sun (Duel au soleil)
dans
les tableaux spectaculaires de la fin : la bataille des bou-
cliers-miroirs, par exemple, est un morceau d’anthologie.
C’est le dernier long métrage de King Vidor et la dernière
grande superproduction biblique d’Hollywood (sauf les vies
du Christ), huée par la critique mais néanmoins rentable
au box-office.
1966
Hazreti Süleyman ve Saba Melikesi [Le prophète Sa-
lomon et la reine de Saba]
(TR) Muharrem Gürses ;
Atilla Film. – av. Atilla Gürses (Salomon), Esen Püsküllü
(Balkis, reine de Saba), Sami Ayanoglu, Devlet Devrim,
Mine Soley, Tevhid Bilge, Esref Vural, Gülgün Erdem.
Une vision musulmane de la fameuse rencontre, égale-
ment évoquée dans le Coran et célébrée dans la poésie soufie.
Considéré comme prophète par l’Islam, Salomon incarne
l’Amour mystique, sait parler « le langage des oiseaux » et
possède des pouvoirs qui s’étendent au monde subtil.
1970 Ø
The Joys of Jezebel
(US) A. P. Stootsberry. – av.
Woody Lee (Salomon). –
cf. 2.5.1.
1975 (tv)
La reine de Saba /Malekeh Seba /Die Königin von
Saba
(FR / IR /DE) Pierre Koralnik ; ORTF-Techniso-
nor-Telfilm Iran (FR3 21.9.75), 93 min. – av. Ludmilla
Tchérina (Balkis, reine de Saba), Frédéric de Pasquale
(Salomon), Vali Shirandami, Mary Apik, Behrouz Beh-
nejad. –
Une lecture très différente de la légende, mar-
quée par le catholicisme de Maurice Clavel (dialogues) et
la psychanalyse. Ne comprenant ni n’admettant l’alliance
qui unit le roi d’Israël à son Dieu, la reine païenne de Saba
multiplie pièges et artifices sensuels, détruisant même les
objets sacrés, pour troubler sa raison. Elle profane le Saint
des Saints, touche l’Arche d’alliance et s’enfuit ébranlée.
Salomon, qui, exaspéré par le silence de Dieu, avait lui-
même nargué le Ciel et chassé ses prophètes, la sauve de la
lapidation et s’unit à elle dans une étreinte paradisiaque.
Dernière superproduction de la défunte ORTF, ce péplum
en Technicolor pour petit écran est tourné en décors natu-
rels en Iran (Yazd, Kerman, désert de Bandar-Abbas, ri-
ves de l’île de Quisim, détroit d’Ormuz) avec 1 200 figu-
rants et un budget de 2 millions de FF. Une initiative de
la danseuse Ludmilla Tchérina (qui a déjà travaillé avec
le Suisse Koralnik pour Salomé en 1969), les cheveux ti-
rés, le corps entièrement recouvert d’un fard noir. Koral-
nik sacrifie à un esthétisme formel un peu baroque, meu-
blé de cris, d’imprécations et de démesure.
1978 (tv)
The Judgement of Solomon (Salomon)
(US) Ja-
mes L. Conway ; Schick Sunn Classic, série «Greatest
Heroes of the Bible (L’Ancien Testament) » nº 6 (NBC
21.11.78), 33 min. – av. Tom Hallick (Salomon), John
Carradine (David), Carol Lawrence (Bethsabée), John
Hoyt (le prophète Nathan), John Saxon (Adoniyya, frère
Gina Lollobrigida enflamme le roi (
Solomon and Sheba
, 1959)
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