88
 l’antiquité au cinéma
ailleurs, l’univers « païen » de l’Egypte reste banni des écrans américains bien au-delà de la Seconde Guerre mon-
diale. Il est hors de question de présenter l’ancienne religion égyptienne autrement que comme une idolâtrie
aberrante et inefficace face aux miracles de Jéhovah, sinon une source de sorts maléfiques.
En 1954 / 55, suite au déterrement de la barque solaire de Chéops au pied de la Grande Pyramide, et les né-
cessités d’exotisme spectaculaire du CinemaScope aidant, Hollywood met en chantier deux superproductions
qui feront date dans le genre,
The Egyptian (Sinouhé l’Egyptien)
de Michael Curtiz et
Land of the Pharaohs
de Hawks, mentionné plus haut. Le premier, tiré du célèbre best-seller de Mika Waltari (1945), met en scène
le souverain schismatique Aménophis IV dit Akhénaton, adorateur du dieu solaire Aton qu’Hollywood peut
présenter opportunément comme le précurseur du monothéisme judéo-chrétien (alors qu’une forme de mo-
nothéisme préexistait en Egypte longtemps avant lui). L’antagonisme polythéisme /monothéisme renvoie aux
films bibliques de l’époque et rassure les paroisses de l’Amérique profonde. Le second film, plus réussi, s’attaque
témérairement à la construction de la Grande Pyramide. De surcroît, il est tourné sur les lieux mêmes, un atout
de poids. Tout en s’inspirant des bas-reliefs et papyrus subsistants, ces œuvres perpétuent certains arrangements
avec la réalité, par souci de séduire le public ou par crainte des censeurs : la tête rasée est réservée aux seuls prê-
tres, on ignore les perruques de cour ou le maquillage des hommes et prohibe, de manière générale, la nudité
(excepté le
Pharaon
polonais de Jerzy Kawalerowicz en 1966 qui montre des femmes aux seins dénudés et des
nobles vêtus de pagnes seulement). Une constante se retrouve partout, signature de l’Occident laïc ou carré-
ment anticlérical : la caste de l’autorité spirituelle non-chrétienne, les prêtres d’Amon, est invariablement dé-
criée comme un ramassis de comploteurs criminels et jaloux de leurs prérogatives. Les Jésuites du paganisme.
Un tournant s’annonce en 2003 avec les premières fictions télévisées à but didactique, dont l’excellente
série en trois volets de
Ancient Egyptians (Le temps des pharaons)
que réalise Tony Mitchell pour Granada Te-
levision. On s’y penche notamment avec un souci louable d’exactitude sur la vie quotidienne du petit peuple
(paysans, scribes, serviteurs). Quant au cinéma arabe ou égyptien, premier concerné, il n’aborde que tardive-
ment la matière. Le projet d’
*Akhenaton
(1980-86) de Shâdi Abdel-Salêm échoue faute de capitaux. Youssef
Chahine présente
L’émigré (Al-Muhager)
en 1994, une variante à peine déguisée du récit de Joseph et ses frères
qui lui vaut l’ire des intégristes locaux, et Souheil Ben Barka filme sa parabole politique
L’ombre des pharaons
(1996), une réflexion sur le fanatisme et l’obscurantisme, au Maroc : on ne saurait être assez prudent.
Reste Cléopâtre, dernière descendante des Ptolémées Lagides, mais dont le sort tragique est lié à l’histoire
de Rome (cf. 6a.6).
1
Cf. notre étude filmographique «Ayesha & Antinéa. Le mythe de la reine immortelle au cinéma», in :
L’Ecran fantastique
(Paris) n
os
57-58, juin-juillet
1985, pp. 54-69 (32 p.).
Grands travaux dans la Vallée des Reines à Luxor (
The Ten Commandments
de Cecil B. DeMille, 1956)
I...,78,79,80,81,82,83,84,85,86,87 89,90,91,92,93,94,95,96,97,98,...674