Page 29 - Hervé Dumont - L'antiquité au cinéma

Alessandro Blasetti filme les batailles entre Hébreux et les
rois de Mésopotamie dans le désert de Maadi, près du Caire,
tandis que Renato Castellani photographie le Déluge en
studio avec des maquettes, en prenant pour modèle les des-
sins de Leonardo Da Vinci. Après avoir sollicité en vain
Charles Chaplin, Orson Welles et Alec Guinness pour le
rôle de Noé, Huston décide de l’interpréter lui-même (« il
fallait un grand naïf pour ce rôle », dit-il pince-sans-rire).
Un choix heureux, car cette « séquence pour grands en-
fants », sans doute la plus réussie et la plus chaleureuse du
film, le montre joyeux, farceur et en parfaite confiance
avec les quelque 200 animaux mobilisés par le cirque
Althoff de Francfort (les fils de Noé sont joués par des dres-
seurs professionnels) ; faire défiler deux par deux éléphants,
girafes, lions, zèbres, bœufs, etc. est un tour de force. Pour
l’Arche, Mario Chiari élabore une majestueuse construc-
tion à trois étages de 60 mètres de long et 15 de haut, et
le début du Déluge est simulé en provoquant une crue
artificielle du Tibre.
Cette Bible que la critique couvre de sarcasmes (« See the
film, then read the book ») aura coûté deux ans de tour-
nage et un investissement de 18 millions de $ que De Lau-
rentiis ne récupérera qu’en partie, car son film manque de
cohérence générale, de tension dramatique et d’émotion en
raison de la grande diversité des récits bibliques et de leurs
tonalités respectives. Il est difficile de conter avec passion le
meurtre d’Abel par Caïn ou le sacrifice d’Isaac. Globale-
ment, la Genèse n’a guère inspiré l’auteur désabusé d’As-
phalt Jungle, d’African Queen et des Misfits, l’ensemble
est traité avec intelligence mais certains épisodes sont ternes
et peu imaginatifs. A l’actif du cinéaste, quelques tableaux
impressionnants (Babel, copie d’une zigourat babylonienne,
sa hauteur vertigineuse et ses milliers de figurants), un Noé
absolument truculent et de (trop rares) passages qui véhicu-
lent un peu du mystère et de l’archaïsme sauvage du mythe
Noé (John Huston) et son arche dans The Bible, 1966