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 l’antiquité au cinéma
Ecrite au plus tôt deux siècles après leurs règnes respectifs, soit vers le VIII 
e
siècle, elle semble avoir été compo-
sée pour cimenter le petit royaume de Juda par le biais d’une légende fondatrice et légitimer le nouvel ordre du
roi Josias à Jérusalem (639-609 av. JC). Elle s’inspire pour cela de l’ancienne dynastie omride du royaume d’Is-
raël, au nord, qui avait la prestigieuse Samarie pour capitale. Selon des fouilles récentes, du temps de Salomon,
Jérusalem n’était qu’un gros bourg de montagne et le territoire peu peuplé n’avait certainement pas la dimen-
sion d’une cité-Etat alphabétisée, capable d’encadrer d’immenses travaux sous le contrôle d’une bureaucratie de
fonctionnaires. Le temple monumental décrit par la Bible (dont on n’a pas retrouvé la trace) n’a pu être édifié
qu’à une époque où Juda avait les moyens humains et financiers de le réaliser, et donc pas avant le VIII 
e
siècle.
La description détaillée de l’armure de Goliath dans le « Livre de Samuel » (I / 17:5-8) ne ressemble d’ailleurs en
rien à l’équipement militaire des premiers Philistins, mais plutôt à celui que portaient les mercenaires grecs au
service des Egyptiens à la fin du VII 
e
siècle.
Le « Livre d’Esther », qui est à l’origine de la fête de Pourim, paraît également dénué de fondements his-
toriques sérieux, car les Juifs ont bénéficié de la plus large tolérance de la part des Perses achéménides et les
persécutions auxquelles se réfère le texte sont probablement celles perpétrées par la dynastie hellénistique des
Séleucides au II 
e
siècle avant JC, époque où le texte a probablement été rédigé (Aman, le nom du persécuteur
de Judith et des siens, est un dérivé du dieu élamite Humman). Aucune chronique, assyrienne ou autre, ne
mentionne le terrifiant général Holopherne, commandant suprême des armées de Nabuchodonosor décapité
par Judith de Béthulie durant son sommeil éthylique : sauf pour le « Livre de Judith », il demeure un illustre
inconnu. Il pourrait en revanche correspondre à cet autre Olopherne, roi de Cappadoce très lié au Séleucide
Demetrios I 
er
Soter qu’eurent à combattre les Juifs maccabéens, également au II 
e
siècle (ce que confirmeraient
les textes talmudiques de
Haggada
et
Midrashim
qui situent effectivement le récit de Judith à l’époque de l’in-
surrection anti-hellène).
L’Ancien Testament selon Hollywood
Ces quelques considérations font apparaître combien l’Ancien Testament illustré à travers sa dimension histori-
que peut devenir, sur le plan de la représentation picturale, scénique ou cinématographique, le domaine de tous
les détournements. C’est toutefois au XX 
e
siècle, à l’écran, et en particulier aux Etats-Unis, que le phénomène
est le plus manifeste. Pour la masse des spectateurs américains, les Saintes Ecritures sont les seuls récits connus
du monde antique. Au départ, l’identité des Etats-Unis est avant tout religieuse et la référence commune à la
Bible est censée effacer aussi les origines ethniques si variées des habitants du pays. La légitimité d’Israël est
omniprésente dans l’esprit du protestantisme anglo-saxon, marqué par une lecture messianique de l’Ancien
Testament, et l’idée sioniste est née en terre protestante dès la fin du XVIII 
e
siècle, bien avant d’être formulée,
de manière plus ample, comme une aspiration juive. De surcroît, plusieurs épisodes bibliques se prêtent à des
extrapolations ou à des parallèles utiles à l’historiographie nationale. La Terre promise des Juifs, c’est aussi celle
des pionniers qui bravent les mers ou le désert, de la traversée du Mayflower jusqu’à la conquête de l’Ouest,
pour trouver un séjour et apporter la bonne parole aux sauvages. Les Philistins ne sont-ils pas les Peaux-Rouges
d’autrefois, l’Egypte pharaonique n’est-elle pas une image de la monarchie britannique que fuyaient les Puri-
tains ou que combattit George Washington en 1776 ? Sodome et Gomorrhe ne représentent-elles pas la métro-
pole pavée de vices, de tentations, à laquelle tout émigrant dévot doit préférer rusticité et grands espaces ?
On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que des quelque 260 films inspirés par l’Ancien Testament, plus de
90 proviennent d’outre-Atlantique. L’Italie et la France sont certes pionnières en matière de fiction historique,
mais la première vague de films bibliques à but éducatif passée (une pléiade de courts-métrages entre 1908 et
1914), l’Europe se retire presque entièrement – et définitivement – de la course ; un facteur lié sans doute aussi
à la baisse de la ferveur et au déclin de la culture religieuse sur le vieux continent. Sans oublier la virulence an-
tisémite des dictateurs. L’Ancien Testament déménage donc à Hollywood après un bref détour par Vienne au
début des années vingt, où la Sascha-Film du comte Alexander Kolowrat cherche justement à concurrencer les
Américains sur leur propre terrain (
Sodom und Gomorrha
et
Die Sklavenkönigin
de Michael Curtiz,
Samson
und Delila
d’Alexander Korda), jusqu’à ce que l’inflation mette fin à ses rêves de grandeur. Les studios califor-
niens alignent alors – avec, pour des raisons surtout économiques, une interruption durant la Dépression et les
années de guerre – une bonne vingtaine de superproductions signées D. W. Griffith, Cecil B. DeMille, Henry
King, Raoul Walsh ou King Vidor, des poids lourds qui ont fait le tour du monde et marqué plusieurs généra-
tions de spectateurs. Griffith et DeMille étaient d’origine demi-juive, King et Vidor des protestants pratiquants.
On imagine sans peine les complications que représentait « le paradigme d’un cinéaste chrétien travaillant sur
un texte juif christianisé au service de producteurs juifs et destiné en large majorité à une audience chrétienne »
3
 !
Aux yeux du public, DeMille est le représentant le plus emblématique de ce courant, lui qui applique scrupu-
leusement à l’écran les principes picturaux d’un Gustave Doré : réalisme, orientalisme et théâtralisation. Seuls
trois titres de sa filmographie (sur une œuvre qui en compte 78) s’inspirent de l’Ancien Testament – deux
I...,8,9,10,11,12,13,14,15,16,17 19,20,21,22,23,24,25,26,27,28,...674