Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

6. L’EMPIRE FRANÇAIS (1804 à 1815)

À L’ÉCRAN

Les films de ce chapitre se déroulent principalement en France, entre mai 1804 (proclamation de l’Empire héréditaire par sénatus-consulte) et avril 1814 (première abdication) 1. On y trouve de tout, de l’imagerie d’Épinal placée au service d’une « légende dorée » exaltant aveuglément la saga impériale et l’indicible bonheur de mourir pour l’Empereur (pratiquement tous les films jusqu’à la douche froide de la Première Guerre mondiale), suivis de quelques prolongements fabriqués en Italie fasciste, comme les deux versions de I due sergenti (Au temps des grognards / Les Deux Sergents) de 1922 et 1936. Le cinéma sonore recèle quelques curiosités, en particulier le premier film parlant de John Ford, Napoleon’s Barber (Le Barbier de Napoléon) en 1928, une comédie aujourd’hui hélas perdue.
Mais c’est la télévision, en l’occurrence l’ORTF, qui, à partir des années soixante, s’attaque aux sujets ou matières les moins rabâchés, soit parce qu’ils sont trop spécifiques soit parce que trop vastes pour êtres réduits à un long métrage. Ainsi, La Conspiration du général Malet (1963) de Jean-Pierre Marchand, sorti dans la légendaire série « La Caméra explore le temps », raconte la tentative de coup d’État rocambolesque d’un militaire frustré qui, en octobre 1812, fait croire que Napoléon est mort à Moscou ; l’incident incitera ce dernier à abandonner son armée et rentrer au plus vite à Paris. Une journée de l’Empereur (1964) de Jean Pignol restitue vingt-quatre heures de Napoléon aux Tuileries, en avril 1806, contées par Constant, le fidèle valet de chambre : un aperçu vertigineux du quotidien impérial. En six heures, le feuilleton Jean-Roch Coignet (1969) de Claude-Jean Bonnardot retrace le vécu authentique d’un fantassin de la Grande Armée qui participa à toutes les campagnes du Consulat et de l’Empire, parcourut à pied toute l’Europe et survécut à 48 batailles (Waterloo compris) sans une seule blessure. On a droit au point de vue de l’homme du peuple, un garçon de ferme simple, fruste, jovial, analphabète (au début), dont les souvenirs ont inspiré une pièce au jeune Charles de Gaulle. Malgré les moyens limités du petit écran, la saga est riche en enseignements sur la vie courante des grognards ballottés de Madrid à Moscou, pour lesquels la guerre n’est pas une aventure mais une habitude acceptée avec fatalité, puis, de plus en plus, avec désabusement. Moins scrupuleux sur le plan historique mais toujours divertissant, les treize épisodes extrêmement populaires de Schulmeister, l’espion de l’Empereur de Jean-Pierre Decourt (1971-1974) éclairent le dessous des cartes politiques, les ruses utilisées par ce mystérieux homme de main de Fouché et Savary (campé par Jacques Fabbri) pour, par exemple, faire tomber la ville d’Ulm en 1805 ou déjouer les plans – forcément diaboliques – des espions anglais, prussiens ou russes. Quant à Jacques Doniol-Valcroze, ancien cofondateur et rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, il brosse avec les sept heures de Les Fiancées de l’Empire (1981) tirées de son roman une fresque romantique aux nombreux chassé-croisé, élégante et aimable.
Le rendu de loin le plus authentique, le plus réaliste et le plus saisissant du Premier Empire, de ses mentalités, de ses mœurs comme de son esprit militaire, c’est l’Anglais Ridley Scott qui nous le fournit en 1977 avec The Duellists (Duellistes), son premier long métrage, tiré d’une nouvelle peu connue de Joseph Conrad. Histoire aussi fascinante qu’insolite de la violence de l’homme contre lui-même, le film conte l’affrontement obsessionnel de deux hussards napoléoniens pendant toute une décennie, le duel devenant métaphore de l’absurdité de la guerre. Tout en confrontant la dérive humaine avec la beauté lumineuse des paysages, Scott réussit un panorama polysémique d’une rare subtilité. Enfin, dans le registre humoristique, c’est un autre Anglais, Sir Arthur Conan Doyle (le père de Sherlock Holmes), qui donne libre cours à sa passion pour l’ère napoléonienne en imposant à ce pauvre Empereur la présence du brigadier Étienne Gérard, un Münchhausen français aussi téméraire que bas-de-plafond. L’incorrigible fanfaron sévit cinq fois à l’écran, la dernière fois en 1960 dans The Adventures of Gerard (Les Aventures du brigadier Gérard), un festival de slapstick déjanté où le cinéaste polonais Jerzy Skolimowski oppose son anti-héros à un Napoléon à bout de nerfs qu’interprète Eli Wallach.
1 Pour la campagne de France (1814) et les Cent-Jours (1815), cf. chap. 15.