Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

5. LE CONSULAT (1799 à 1804)

Jimmy Jean-Louis fait un imposant Toussaint Louverture, capitaine-général de Saint-Domingue, dans le téléfilm de Philippe Niang (2012).

RAPPEL HISTORIQUE

Issu du coup d’État du 18-Brumaire (9 novembre 1799) qui renverse le Directoire – le Conseil des Cinq-Cents est expulsé manu militari de l’Orangerie, le Consulat établit un régime politique autoritaire dirigé par trois consuls provisoires. Mais seul le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, élu le 11 novembre, dispose de la réalité du pouvoir, les deux autres n’ayant qu’une voix consultative. Il s’agit de renforcer l’exécutif après presque une décennie d’instabilité, de chaos social, de discordes et de corruption (et d’empêcher Barras de restaurer la monarchie en faveur de Louis XVIII). La nouvelle Constitution de l’An VIII est rédigée par des républicains libéraux hostiles au jacobinisme ; le suffrage universel n’y est pas officiellement aboli, mais le pouvoir de représentation est confié aux seuls notables.
« Nous avons fini le roman de la Révolution, nous devons maintenant commencer son histoire, cherchant seulement ce qui est vrai et faisable dans l’application de ses principes et pas ce qui est spéculatif et hypothétique », déclare un Bonaparte pragmatique. Tout en se présentant comme l’héritier des principes de 1789, il affiche d’office la volonté de mettre un terme aux divisions nées de la Révolution et d’instaurer de gré ou de force la paix civile dans tout le pays. Les caisses de l’État sont vides, villes et campagnes sont à la merci d’un brigandage à grande échelle (les « garroteurs » et « chauffeurs »). Bonaparte favorise l’égalité au détriment d’une liberté qui n’existait pas plus sous la Convention ou le Directoire, et ouvre toutes les carrières à ceux qui ont du talent. Il invite le clergé à rentrer en France et lui accorde la liberté de culte (29 décembre 1799). Au début 1800, il réussit la pacification quasi totale de l’ouest de la France (Vendée et Normandie) grâce à l’appui du clergé et par la signature d’une trêve avec les chefs de la chouannerie ; Bernadotte est chargé d’y étouffer les derniers nids de résistance. Le Consul supprime la « loi des otages » permettant l’arrestation des membres de la famille d’un émigré (ancienne noblesse) et la confiscation de ses biens ; en 1802, il accorde l’amnistie générale aux émigrés. Plaçant l’État au-dessus des partis, il choisit ses collaborateurs sans tenir compte de leur passé politique. Le Concordat avec le Vatican rétablit la paix religieuse dans l’Hexagone (1802), la religion étant considérée comme un élément de stabilisation de la société. Implicitement, le pape absout ainsi le régicide de 1793 et abandonne la cause de Louis XVIII, un soufflet sans pareil infligé aux coalisés légitimistes. Pour rétablir les finances de l’État et la confiance que cet État doit susciter, Bonaparte introduit une vaste réforme fiscale, une monnaie nouvelle (le franc), et crée la Banque de France, le Conseil d’État, la Cour des comptes et le système des préfets ; il réorganise l’instruction publique, institue les lycées pour former l’élite de la nation (initiative poursuivie en 1808 avec l’Université impériale). Le Code civil français, empreint de laïcité pour le rendre acceptable à tous, est terminé en 1804 ; il consacre les conquêtes de la révolution bourgeoise : égalité devant la loi, liberté religieuse (juifs compris), garantie de la propriété individuelle, légalisation du divorce. Ainsi, sous l’impulsion d’un homme d’État âgé de 30 ans à peine, la France acquiert la plupart de ses institutions fondamentales.
Sur le plan extérieur, Bonaparte met fin à la Deuxième Coalition austro-britannique en remportant la victoire à Marengo (14 juin 1800). Les traités de Lunéville en février 1801 (avec l’Autriche) et d’Amiens en mars 1802 (avec le Royaume-Uni) scellent provisoirement la paix en Europe. La révolte des esclaves noirs aux Antilles, la résistance de Toussaint Louverture à Haïti en 1802 et l’échec de l’expédition de Saint-Domingue (cf. chap. 5.2) entraînent le désengagement de la France en Amérique et la vente de la Louisiane aux États-Unis en 1803 (cf. chap. 5.3).
Le 2 août 1802, Bonaparte se fait proclamer consul à vie. Désormais, il est seul maître d’une nation dont l’hégémonie sur le continent est considérable : alliée à l’Espagne et à la Hollande, la France a mis la main sur la quasi-totalité de l’Italie, la Suisse, la rive gauche du Rhin et la Belgique ; une alliance avec la Prusse se dessine. Despote éclairé, fort des leçons tirées de la Révolution, Bonaparte lorgne vers Charlemagne. Lorsque Londres rompt la paix en mai 1803, il programme l’invasion de l’Angleterre depuis le camp de Boulogne. L’opposition jacobine, libérale et royaliste est progressivement muselée ; les meneurs les plus farouches sont écartés de la vie politique, emprisonnés ou bannis. Fouché met en place un véritable système policier, la presse et toutes les institutions sont sous contrôle. Mais à la fin du Directoire, les royalistes ont réorganisé leurs réseaux. Certains espèrent pouvoir retourner Bonaparte pour restaurer la monarchie, et le 20 février 1800, le comte de Provence (futur Louis XVIII) lui a écrit d’Angleterre dans ce sens. Le refus du Premier Consul (« Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cinq cent mille cadavres. Sacrifiez votre intérêt au repos de la France ... ») entraîne une cascade de complots pour éliminer « l’usurpateur », dont le plus spectaculaire reste celui de la machine infernale de la rue Saint-Nicaise (24 décembre 1800), qui fait vingt-deux morts et une centaine de blessés. Une psychose de l’attentat s’installe (Fouché : « l’air est infesté de poignards »). La capture de l’irréductible chef chouan Cadoudal, envoyé avec vingt-quatre de ses sbires de Londres pour assassiner Bonaparte, exige une réponse forte : ce sera l’enlèvement outre-Rhin et l’exécution du jeune duc d’Enghien (21 mars 1804), acte arbitraire, injuste et traumatisant manigancé par Talleyrand et Fouché (qui se défient de Bonaparte). Le crime place les royalistes ainsi que toutes les cours d’Europe en état de choc (la cour de Russie prend le deuil, la reine de Prusse jure vengeance), mais stoppe net la vague de complots et rassure les anciens révolutionnaires. Le Consulat dure jusqu’au 18 mai 1804, date de la fin de la Première République française et de la proclamation du Premier Empire.