II - LE ROYAUME D’ANGLETERRE

1. LE MYTHE D’ARTHUR ET LES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE

Le suicide d’Iseut aux Cheveux Blonds (Léa Bosco) dans « Tristano e Isotta » de Fabrizio Costa (1998).

1.4. Tristan et Iseut

Ce sont les héros de la plus belle et la plus touchante des histoires d’amour nées des légendes celtiques, mais dont seuls des fragments épars nous sont parvenus. TRISTAN [Tristram, Trystan], probablement identique au prince picte Drustan(us), est fils du roi Meliodas [Méliaduc, Rivalen], roi de Liones [Léonois, Loonois, Lyonesse], en Bretagne armoricaine, et d’Elizabeth ou Blanchefleur [Bleunwenn]. Ses deux parents meurent alors qu’il est enfant. Tristan fait sa réputation à la cour de Tintagel [Tintajol], en Cornouailles, étant le favori et le champion comblé du roi MARC [Mar’ch, Marke], son oncle maternel. Impressionné par son excellence aux armes et ses talents de harpiste, Marc le charge de demander pour lui la main d’ISEUT aux Cheveux d’Or [Iseult la Blonde, Yseult, Isolde, Isolt, Ysonde, La Beale Isoud], fille du roi Aguisant [Anguish] d’Irlande et d’une magicienne de la Verte Érin. Blessé deux fois grièvement, une fois en se mesurant en combat singulier au géant irlandais Morholt (frère ou oncle d’Iseut), l’autre fois en tuant un dragon à la tête d’écailles qui lui barre la route en Irlande, Tristan, doublement empoisonné, est guéri par une belle inconnue : Iseut, qui a hérité de la science surnaturelle de sa mère et ignore l’identité du moribond. Les jeunes gens se plaisent, puis déchantent lorsque Tristan se fait connaître et révèle sa mission à la cour d’Irlande. En la ramenant à Tintagel la mort dans l’âme, Tristan partage accidentellement avec Iseut un philtre d’amour magique qui enchaîne les jeunes gens à jamais : ils s’aiment à en perdre la raison. Néanmoins, Iseut, obéissante, épouse Marc. Mis au courant de l’inévitable adultère par ses barons soupçonneux, Marc est déchiré entre la générosité et l’humiliation. Les amants se terrent dans la forêt. Après bien des péripéties, le roi les retrouve, pardonne à sa conjointe miraculeusement innocentée par un « jugement de Dieu » au fer rouge et bannit Tristan du royaume. Celui-ci s’exile sur le continent où il finit par épouser Iseut aux Mains Blanches, un mariage jamais consommé. Plongé dans une profonde tristesse, à l’instar de son nom (il est celui « qui ne rit jamais »), rongé par la mélancolie, il tente de revoir son amour déguisé en mendiant, en lépreux, en pénitent, en fou. Lorsqu’il assiste son beau-frère Kaherdin dans une périlleuse aventure, il est à nouveau blessé à mort et invoque Iseut qui seule peut le guérir. Elle se rend à son appel, mais Iseut aux Mains Blanches, jalouse, trompe le mourant en lui faisant croire que le navire arrive sans elle. Il expire et son décès provoque celui de sa bien-aimée accourue à son chevet. (Pour les détails de l’intrigue selon la reconstitution par Joseph Bédier, voir le film de 1920.)
Les liens de Tristan avec la Table Ronde sont mentionnés dans plusieurs récits. Il croise la lance avec Galaad, Palamède (rival en amour pour Iseut) ou le sénéchal Keu, puis sauve la vie d’Arthur dans la Forêt Périlleuse, où le monarque est menacé par une magicienne. C’est enfin Lancelot qui introduit Tristan à Camelot ; Arthur l’accueille à la Table Ronde et le place sur le siège laissé vacant par Morholt. Gauvain organise une partie de chasse avec Tristan aux alentours de Tintagel pour permettre à celui-ci de se rapprocher la nuit venue de sa bien-aimée, et c’est dans son château « La Joyeuse Garde » que Lancelot propose aux amants de se réfugier alors que le roi Marc est à leur poursuite (cf. Lancelot en prose, v. 1225). Dans le Tristan en prose (v. 1230), Tristan participe même à la quête du Graal. Des manuscrits français et italiens de la fin du XIVe s. affirment que le couple eut deux enfants, Ysaïe le Triste et Tristan le Jeune, et la saga islandaise de Tristram ok Isodd (XIIIe s.) évoque un Kalegras, fils de Tristan et d’Iseut aux Mains Blanches. Enfin, selon Le Morte d’Arthur de Malory (livre V), Tristan aurait péri poignardé dans le dos par le roi Marc, alors qu’il jouait de la harpe pour Iseut.
La liste des captations télévisuelles de l’opéra Tristan und Isolde de Richard Wagner est sélective.
[1909] – Nota bene : Le Tristan et Iseult d’Albert Capellani (SCAGL-Pathé) avec Stacia Napierkowska (Iseut), Paul Capellani (Tristan) et Henry Krauss (Marc), titre qui figure dans diverses compilations, provient des fiches pas toujours très rigoureuses de Jean Mitry : le film n’a jamais existé.
1911Tristano e Isotta / Tristan et Yseult (IT/FR) d’Ugo Falena
Film d'Arte Italiana (Roma)-Série d’Art Pathé Frères (S.A.P.F., Paris), 2 actes/620 m. (dont 545 m. en couleurs). – av. Francesca Bertini (Iseut), Giovanni Pezzinga (Tristan), Serafino Mastracchio (le roi Marc de Cornouailles), Bianca Lorenzoni (Rosen, l’esclave de Tristan).
Synopsis : Tristan, orphelin recueilli et élevé par son oncle, le roi Marc de Cornouailles à Tintagel, se rend en Irlande accompagné de son esclave favorite, Rosen. Le chevalier a pour mission de ramener la blonde Iseut que son oncle a consenti à épouser, cédant aux sollicitations de son entourage. Mais Tristan s’est épris de la future reine et manque de périr par la jalousie de son esclave. Heureusement, la fée Morgane (sic) substitue le philtre d’amour au poison versé par Rosen, et les deux jeunes gens s’enlacent. Ils se réfugient dans la forêt du Morrois, où ils mènent une vie sauvage et heureuse. Dénoncés par Rosen, ils sont surpris par le roi. Celui-ci est ému par leur grande jeunesse et leur fait noblement grâce. Mais les deux amants, pris d’horreur pour une passion à laquelle ils ne peuvent échapper, se réfugient dans la mort.
Les amants s’étant sacrifiés eux-mêmes après avoir réalisé la gravité de leur faute, l’ordre moral et social catholique est sauf et le drame se trouve réduit à une triangulation bourgeoise (jalousie, amour de la servante pour son maître, mansuétude de l’époux cocufié) typique du théâtre de la Belle Époque, avec un petit emprunt à l’opéra éponyme de Wagner : Brangaine, la suivante dévouée d’Iseut qui échange les philtres, devient au cinéma la servante malfaisante de Tristan, Rosen, diablesse que contre une fée attendrie (dans la légende, l’absorption fatale du philtre d’amour est le fruit du hasard, et il n’est nulle part question de poison). Photographié en été 1911 aux studios romains de la Via Alessandro Torlonia (Nomentana), cette production du Film d’Art Italien (succursale discrète de la société française Pathé) donne le beau rôle à la future star de la maison, la diva Francesca Bertini, vouée aux rôles de femme fatale, mais affublée ici d’une perruque blonde signalisant son innocence foncière.
1920*Tristan et Yseut / Le Roman de Tristan et Yseult (FR) de Maurice Mariaud
Louis Nalpas, Serge Sandberg/Compagnie des Films Louis Nalpas (Nice), 6 chants de 650 m./3900 m. (copie préservée : 2571 m./112 min. à 20 i/s). – av. Sylvio De Pedrelli (Tristan), Andrée Lionel (Iseut aux Cheveux Blonds), Tania Daleyme (Iseut aux Blanches Mains), Albert Bras (le roi Marc de Cornouailles), Raymone (Brangien [Brangaine], la suivante d’Iseut), Henri Maillard (Ogrin, l’ermite), Armand Dutertre (Hoël, duc de Bretagne), Martial Régnier (le sénéchal Aguyguerran le Roux), Frank-Heur’s [=Francoeur, Frank’Eur] (Frocin, le nain bossu), Matringe (Sire Kaherdin, fils de Hoël), Fuchs (le duc Andret), Myrial (Gorneval, l’écuyer), Myrtal, Frédéric Mariotti, Louis Monfils.
Philologue romaniste breton et spécialiste de la littérature médiévale, Joseph Bédier doit sa célébrité dès 1900 à la publication en français moderne du Roman de Tristan et Iseut (Prix de l’Académie française), histoire qui jusqu’alors était grandement ignorée du public hexagonal. Le Tristan et Iseult de Chrétien de Troyes est perdu. Pour sa reconstitution, Bédier s’est basé sur tous les récits fragmentaires subsistants de la légende celtique, en particulier ceux de Béroul en normand (Estoire de Tristan), du Tristrem de Thomas d’Angleterre en ancien français et du Tristant und Isalde d’Eilhart von Oberg (les trois du XIIe s.). C’est cette synthèse, version remarquablement renouvelée et vivifiée, joli succès en librairie, qui incite les cinéastes français – et en particulier le producteur d’origine turque Louis Nalpas – à se pencher sur la matière. Le poète Franz Toussaint (responsable du conte oriental La Sultane de l’Amour de René Le Somptier et Charles Burguet, filmé à Nice en 1918/19) et Jean-Louis Bouquet en tirent un scénario condensé mais néanmoins très fidèle, divisé en « six chants » (selon Bouquet, Toussaint en fut moins l’auteur que le superviseur).
Iseut (Andrée Lionel) et Tristan (Sylvio De Pedrelli) refugiés dans l’ermitage du vieil Ogrin. – Le nain Frocin (Francoeur), bouffon comploteur.
Le roi Marc et sa cour de sujets envieux et dégénérés. – Iseut se languit d’amour pour Tristan, exilé.
 Synopsis : Orphelin, Tristan de Léonois a été recueilli et éduqué à Tintagel par son oncle Marc, roi de Cornouailles. Ce dernier rechigne à verser le tribut annuel auprès du roi d’Irlande. Le chevalier géant Morholt, champion réputé invincible et beau-frère du roi d’Irlande, débarque pour intimider les Cornouaillais et Tristan, devenu adulte, le tue en combat singulier. Il reçoit toutefois un coup d’épée empoisonné ; en mourant, Morholt lui révèle qu’Iseut la Blonde, fille du roi d’Irlande, a le pouvoir de neutraliser le poison. Tristan s’effondre inanimé dans une barque sans voiles, les courants l’entraînent jusqu’en Irlande. Iseut y guérit le séduisant chevalier sans savoir qu’il a tué son oncle et une fois rétabli, Tristan retourne en Cornouailles. Marc souhaiterait que celui-ci lui succède sur le trône, mais ses barons exigent une succession directe et il doit se marier. Afin d’effacer les différends entre les deux royaumes, Tristan suggère que Marc épouse la fille du roi d’Irlande et repart demander sa main en son nom. La reine-mère d’Irlande confie un philtre magique à Brangien, la servante d’Iseut qui est du voyage, breuvage destiné aux nouveaux mariés le soir de leur nuit de noces. La puissance du philtre d’amour est telle qu’après absorption, les amants ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre et qu’une séparation pourrait même leur être fatale. Pendant la traversée, par une soirée étouffante, un enfant trouve la fiole et la donne à Tristan afin d’apaiser sa soif ; celui-ci la partage avec Iseut. L’effet est fulgurant, mais en dépit de la passion qui les ravage désormais, Iseut épouse Marc. Le soir des noces, Brangien, encore vierge, remplace brièvement sa maîtresse dans le lit nuptial. Au fil des semaines, des barons malveillants à la cour, jaloux de Tristan, découvrent le pot aux roses avec l’aide de Frocin, un nain maléfique. Mis au courant, Marc espionne les amants qui finissent par être confondus et arrêtés. Tristan s’évade grâce à son écuyer Gorneval ; Marc livre Iseut aux lépreux qui la réclament afin que son châtiment soit plus long et plus horrible que le bûcher. Son amant la sauve l’épée à la main et le couple se terre au plus profond de la forêt du Morrois. Ils y vivent en fugitifs pendant trois ans, avec la proximité de l’ermite Ogrin pour seule consolation. Marc finit par les retrouver, et, indulgent, accepte de reprendre Iseut à condition que Tristan soit banni du royaume et que son épouse se soumette à l’ordalie du feu. Juste avant ce jugement, Tristan, déguisé en pèlerin, lui a fait franchir un gué en la portant sur ses épaules. Elle peut donc faire le serment casuistique selon lequel jamais elle n’a tenu aucun homme dans ses bras en dehors de son époux et du pèlerin. Innocentée, elle retourne à Tintagel avec son royal époux. Tristan, le cœur brisé, part guerroyer en Bretagne continentale, à Carhaix auprès du duc Hoël ; il s’y lie avec son fils, Kaherdin, et sa fille, Iseut aux Blanches Mains, qu’il épouse sans pouvoir l’honorer. Grièvement blessé lors d’une expédition, il fait mander Iseut la Blonde, dont seule la science des plantes peut le sauver, en convenant que la nef revienne avec une voile blanche si elle accepte de le secourir. Tourmentée par la jalousie, Iseut aux Blanches Mains lui ment en annonçant que la voile est noire. Tristan se laisse mourir et son amante expire, le cœur brisé, à ses côtés. Le roi Marc ramène les corps et les fait inhumer en Cornouailles, l’un près de l’autre. Une ronce pousse et relie leurs tombes.
Le script escamote la naissance de Tristan, fils de Rivalen, roi de Loonois/Léonois en Petite-Bretagne (Armorique) et de Bleuwenn/Blanchefleur (sœur de Marc) qui meurent peu après. Mais aussi son enlèvement par des pirates vikings, sa formation de chevalier, sa lutte contre le dragon en Irlande (sans doute pour des raisons à la fois techniques et budgétaires) où, blessé, il est sauvé pour la deuxième fois par Iseut, enfin diverses péripéties et renversements de situation vécus par le couple traqué. La genèse du film est mouvementée, en raison surtout du producteur Nalpas qui, omniprésent sur le plateau, s’immisce à tous les niveaux dans le processus créatif, au point de décourager le premier réalisateur retenu, Charles Burguet. Ce dernier ayant claqué la porte (juillet 1919), Nalpas le remplace par le Marseillais Maurice Mariaud, qui a déjà travaillé pour lui à Paris. Pionnier oublié, Mariaud s’est distingué chez Gaumont et au Film d’Art dès 1913 avec une trentaine de films, récoltant les louanges de Louis Delluc, Musidora et Georges Hatot, au point de passer pour un des « cinématographistes » les plus sûrs du pays (informations fournies par Frédéric Monnier, l’arrière-petit-neveu du réalisateur). Une sérieuse partie du budget a été engloutie dans la construction des décors, constat qui aurait provoqué le départ de Burguet. Mariaud se bat sur deux fronts, vaillamment contre les caprices dispendieux de Nalpas et vainement contre le script surchargé d’intertitres ampoulés de Toussaint, cherchant à compenser ces lourdeurs par une qualité d’image assez frappante (du film il ne subsiste aujourd’hui que six bobines, les parties 3 et 4 de la première époque manquent). À la caméra, il trouve un allié précieux en la personne de Georges Raulet, le futur chef opérateur de René Clair (Sous les toits de Paris, À nous la liberté, Le Million). Sylvio De Pedrelli, déjà vedette de La Sultane de l’Amour où il incarna un prince oriental, joue Tristan. Dans le rôle de Brangien alias Brangaine, sa première apparition à l’écran, on découvre Raymone (alias R. Duchateau), de la troupe de Louis Jouvet, la compagne de vie de Blaise Cendrars. La blonde Iseut est interprétée par Andrée Lionel, une protégée de Burguet qui fera aussi quelques films sous la houlette d’Abel Gance et de Louis Feuillade ; quant à sa rivale aux Blanches Mains, Tania Daleyme (La Belle Dame sans merci de Germaine Dulac), elle épousera Mariaud l’année suivante.
Le réalisateur (qui signe aussi l’adaptation) tourne pendant huit mois, principalement sur la Riviera française, aux nouveaux studios de la Victorine à Nice où sont érigées les murailles des châteaux du Nord, mais il faut escalader les Alpes de Haute-Provence avoisinantes pour photographier les chênes et granits de Cornouailles ou d’Irlande. Hélas, les paysages enchanteurs de la Côte d’Azur ne peuvent évoquer les brumes du Septentrion et le film souffre (dit la presse) de ce manque d’atmosphère tendue si nécessaire aux déchaînements ravageurs de la passion. Il est néanmoins bien accueilli en salle et même exploité en Allemagne et en Grande-Bretagne, où Kinematograph Weekly en loue l’excellente facture tout en signalant une scène involontairement comique lorsque Tristan, en s’évadant de manière assez spectaculaire, « saute d’un donjon d’une hauteur de plus de 50 mètres sans se blesser » (24.11.21). Cette même année, le film ressort dans une version méchamment tronquée en deux parties qui suscite l’ire du public. Enfin, en avril 1923, Joseph Bédier intente un procès à Toussaint, scénariste officiel, et à Nalpas pour contrefaçon. Le jugement condamne la production à 25'000 francs de dommages et intérêts. Nalpas est contraint de faire figurer sur toutes les affiches la mention « film composé d’après le roman de Joseph Bédier » et l’écrivain médiéviste touche la moitié des droits. Quant à Mariaud, il quittera l’« Hollywood français » de Nice sans regrets et poursuivra sa carrière jusqu’en 1929, notamment au Portugal où il jouit encore aujourd’hui d’une certaine réputation, notamment grâce à une œuvre étrange et poétique de 1923, Os Faroleiros (Les Gardiens de Phare).
Chants (parties) : 1. « Le Combat du Morholt » – 2. « Le Philtre d’amour » – 3. « La Délation » – 4. « La Forêt de Morrois » – 5. « La Fosse aux Lépreux » (?) – 6. « Yseut aux-blanches-mains ».
GB : Tristram and Isolda, DE : Tristan und Isolde.
1938(tv) Tristan and Isolda (GB) de Dallas G. Bower
(BBC Television 24.1.38), 60 min. – avec Basil Bartlett [voix: John Wright] (Tristan), Oriel Ross [voix: Gwladys Garside] (Iseut), Paul Jones (le roi Marc), Mary Alexander (Brangaine), Hugh Laing (Melot), Peter Garoff (Kurwenal).
Le deuxième acte de l’opéra de Richard Wagner diffusé live depuis les Studios BBC d’Alexandra Palace à Londres, dans le cadre des programmes expérimentaux de la télévision britannique.
1943[L'Éternel Retour (FR) de Jean Delannoy ; André Paulvé/Discina International-Celia Films, 115 min. – av. Jean Marais (Patrice [=Tristan]), Madeleine Sologne (Nathalie la Blonde [=Iseut]), Jean Murat (l’oncle Marc [=le roi Marc]), Yvonne de Bray (Gertrude Frossin), Jean d’Yd (Amédée Frossin), Alexandre Rignault (Le Morolt), Roland Toutain (Lionel Ripeau [=Kaherdin]), Piéral (Achille Frossin, le nain maléfique [=Frocin]), Junie Astor (Natalie Ripeau, dite la Brune), Jane Marken (Anne, l’ancienne nourrice de Nathalie [=Brangien]).
Faute de moyens adéquats en pleine guerre, Jean Delannoy, encore à ses débuts, renonce au Moyen Âge et opte pour une adaptation moderne du mythe de Tristan et Iseult (le philtre d’amour n’est plus qu’un alcool), écrite et dialoguée par Jean Cocteau, et tournée de mars à juin 1943 (titre de travail : Tristan) aux studios de la Victorine (CIMEX) à Nice et de Saint-Laurent-du-Var, au château de Pesteils à Polminhac, à Aurillac (Cantal), à Valberg (Alpes-Maritimes), à Évian et à Saint-Gingolph sur les rives du lac Léman – les côtes de l’Atlantique étant militarisées par les Allemands. L’action est transposée dans un monde intemporel, stylisé, « actualisé » par des détails vestimentaires, une auto, un garage, un canot à moteur, etc.
Patrice-Tristan vit en Bretagne dans le château médiéval de son oncle Marc, qui est veuf, fortuné et lui témoigne beaucoup d’affection. Gertrude Frossin, belle-sœur de Marc, son mari Amédée et leur rejeton fouineur, le nain Achille, habitent en parents parasites avec eux. Comme ils espèrent hériter au décès du châtelain, les Frossin détestent Patrice. Celui-ci, qui veut faire le bonheur de Marc, entreprend de lui chercher une nouvelle épouse. Dans une île de pêcheurs, Patrice arrache une jeune fille blonde, Nathalie-Iseut, à son fiancé, le Morolt, une brute alcoolisée qui la maltraitait. Blessé d’un coup de couteau, il est soigné par Anne, la vieille nourrice de Nathalie. Patrice voit en Nathalie la conjointe rêvée de son oncle et, afin d’échapper au Morolt, celle-ci accepte d’épouser Marc, bien qu’elle aime Patrice sans l’avouer. Patrice fait tout pour les rapprocher, au grand dam des Frossin. Achille, qui n’est pas dupe, tente de se débarrasser de Patrice en versant dans son verre le contenu d’une fiole marquée « poison » alors qu’il s’agit d’un vin d’herbes concocté par Anne ; Nathalie en boit aussi, et le philtre révèle aux jeunes gens leur passion. Peu après, averti par Gertrude, Marc surprend les deux amants, chasse son neveu et ordonne à Gertrude de ramener Nathalie au Morolt. Patrice enlève Nathalie, ils se réfugient plusieurs mois dans un chalet de montagne, dans la neige et démunis de tout, mais Nathalie tombe malade. En l’absence de son neveu, Marc enlève sa femme et la ramène sans force au château. Désemparé, Patrice s’installe chez un ami garagiste, Lionel, dont la sœur Nathalie est aussi brune que l’autre Nathalie est blonde. Elle s’éprend de lui, mais avant de l’épouser, Patrice veut s’assurer que celle qu’il aime l’a oublié. Il s’introduit donc dans le parc du château avec la complicité de Lionel, mais Achille, toujours à l’affut, le blesse gravement d’un coup de revolver. Patrice agonise dans un hangar à bateaux sur l’île où est né leur amour et attend Nathalie la blonde, que Lionel est allé chercher. Marc accorde à sa femme, épuisée par le chagrin et la maladie, la permission d’aller voir une dernière fois son bien-aimé. Jalouse, la brune Nathalie cache à Patrice l’approche de la barque qui transporte sa rivale et il expire. La blonde arrive trop tard et s’étend près de lui pour mourir à son tour.
Cocteau, qui est à l’origine du projet censé lancer la carrière de Jean Marais à l’écran, reprend le thème nietzschéen selon lequel « les mêmes légendes peuvent renaître, sans que leurs héros s’en doutent » (d’où le titre). Le cinéma lui semble « le seul véhicule possible pour réussir l’équilibre entre le réel et l’irréel, pour hausser une histoire moderne jusqu’à la légende » (Aspects, 5.11.43) ; c’est lui qui a choisi le réalisateur et les interprètes (Madeleine Sologne exceptée, car le poète aurait préféré Micheline Presle). Fixé dans une mythologie d’évasion née des contraintes de l’Occupation – le fantastique y possède une fonction tranquillisante, voire euphorisante -, L’Éternel Retour devient un des plus grands succès du cinéma français des années 1940 à 1944, malgré la critique vitriolée de la presse collaborationniste (François Vinneuil, René Barjavel, Lucien Rebatet), dirigée en priorité contre Cocteau et qui attribue tous les mérites du film au seul Delannoy. Les salles sont bondées, le pull Jacquard de Patrice, la coiffure plate de Nathalie (à la Veronica Lake) font fureur et influencent la mode, leurs interprètes reçoivent jusqu’à trois cents lettres par jour. Accessoirement, c’est l’entrée cinématographique de Jean Marais dans l’univers de Jean Cocteau. Le résultat à l’écran est ambigu, académique, d’une « poésie » appuyée et artificielle, d’un romantisme morbide aujourd’hui forcément démodé et sans réelle émotion. Delannoy recouvre les artifices de Cocteau, ses maniérismes narcissiques, d’un vernis glacé. Iseut est plus une abstraction qu’une femme en chair et en os. La dernière image transforme Patrice et Nathalie en gisants, comme si, ayant évacué tout contexte historique, figé dans son hiératisme, le film devenait en quelque sorte la légende elle-même. Dans les circonstances, sa condamnation de l’adultère consolide le pouvoir de l’ordre, fût-il celui d’un monde pourri, figé (les Frossin), qui survit au drame, miroir de la société pétainiste. L’œuvre est critiquée après 1945 pour sa représentation quasi raciste des antagonistes, les amants étant d’une blondeur toute germanique (« das Herrenvolk »), Tristan situé « entre Lohengrin et Horst Wessel », leurs ennemis difformes et laids, produits repoussants d’une sous-race (Piéral, le nain, et Yvonne de Bray sont d’une rare méchanceté). La presse anglaise lui reproche « une atmosphère gothique pestilentielle, un mysticisme du culte de la mort » (Daily Express, 14.2.46), ce qui est pour le moins fortement exagéré. Détail cocasse : la bande est interdite aux Etats-Unis par l’Eglise catholique, la Legion of Decency la bannit pour sa « glorification d’actes immoraux ». ]
1967(vd-mus) Tristan and Isolde (JP) de Wieland Wagner
Osaka World Fair-Bel Canto Society-Legato Classics, 206 min. – av. Birgit Nilsson (Isolde/Iseut), Wolfgang Windgassen (Tristan), Hans Hotter (le roi Marke/Marc de Cornouailles), Herthe Töpper (Brangaine [=Brangien], suivante d’Iseut), Hans Andersson (Kurvenal [=Gorvenal], l’écuyer de Tristan), Gerd Nienstedt (Sire Melot), Georg Paskuda, Sebastian Feiersinger.
Premier opéra de Richard Wagner composé sous le patronage du roi Louis II de Bavière, Tristan und Isolde est sans doute sa création musicale la plus sulfureuse ; elle voit le jour le 10 juin 1865 au Théâtre royal de la Cour de Munich. Son livret part de l’intrigue dénichée dans le Tristan und Isolt fragmentaire de Gottfried de Strasbourg (rédigé entre 1205 et 1212 d’après Thomas d’Angleterre), dans Sir Tristrem de Thomas d’Erceldoune (en vieil anglais) et d’autres fragments en ancien français du XIIIe siècle. Mais la trame imaginée par le compositeur, qui opère de larges raccourcis, diffère sur plusieurs points importants de l’ancien récit celto-médiéval (cf. film muet de 1920). Disons d’entrée qu’en mettant l’accent sur la passion physique, la version rapportée par Gottfried de Strasbourg (qui confrontait l’amour et l’honneur) s’éloignait déjà des idéaux de l’amour courtois, ce qui lui valut d’être jugée immorale. Wagner exalte, lui aussi, l’acte charnel et cela avec une intensité jusqu’alors inédite en musique, tout en enveloppant cette célébration d’un éclairage très personnel. La musique en action (« Musikdrama ») prime. Ces facteurs peuvent expliquer pourquoi le cinéma ne s’est, contrairement au Parsifal, et même à Lohengrin, jamais penché sur son Tristan und Isolde – qui est représenté à l’écran uniquement par des captations de mises en scène théâtrales.
Synopsis (de l’opéra) : Afin d’écraser la révolte des Cornouaillais qui tentent de s’affranchir de la suzeraineté du roi d’Irlande, ce dernier dépêche sur place une expédition militaire qu’il confie à Morold, le fiancé bien-aimé de sa fille Iseut. Quoique armé d’une épée que la princesse, instruite dans l’art de la magie, a enduite de venin, il est tué en combat par Tristan, le neveu du roi Marc de Cornouailles à Tintagel. (Selon la légende, le géant Morholt était l’oncle ou le frère d’Iseut, non son fiancé, et celle-ci ne toucha jamais à son épée.) Avant de mourir, Morold parvient à blesser son adversaire qui sait dès lors que seule Iseut dispose de l’antidote contre le poison qui le ronge. Il arrive comme un naufragé sur les rivages d’Irlande sous le nom de Tantris, mais Iseut n’est pas dupe : elle reconnaît l’assassin de son fiancé et s’apprête à le pourfendre d’un coup d’épée vengeur. Tristan se réveille, les yeux brûlants d’amour, leurs regards se croisent, elle en oublie de frapper – et le guérit. Pour sceller la paix, le vieux roi de Cornouailles épouse la fière et rancunière Iseut qui répugne à apporter en dot son pays à ceux qui en étaient autrefois les vassaux. Telles sont les confidences que fait la princesse humiliée à Brangaine, sa suivante, en voguant d’Irlande à Tintagel (acte I). Partagée entre la haine, la honte d’être ainsi livrée au vassal de son père par celui qui tua son fiancé, mais aussi tourmentée par l’amour inavoué et refoulé qu’elle porte à Tristan, enfin meurtrie par l’indifférence que ce dernier semble lui témoigner, Iseut choisit de s’unir à lui dans la mort. Mais, dans un geste de compassion, Brangaine remplace discrètement le poison par un philtre d’amour – et les deux se dévisagent éblouis.
À Tintagel, en l’absence du roi Marc, Tristan et Iseut jurent de consacrer leur passion dévorante par une mort qui serait le triomphe définitif de « la Nuit sincère et douce » sur « le Jour futile, perfide et mensonger ». Leur duo d’amour orgasmique, d’un romantisme exacerbé, est le plus long (45 minutes) de l’histoire de la musique. Les amants sont interrompus par l’arrivée du roi, de ses courtisans et du chevalier qui les a trahis, Sire Melot, faux ami et amoureux transi d’Iseut. Le roi les abreuve de reproches, se lamente. Déconnecté du monde qui l’entoure, Tristan défie Melot l’épée haute – puis se laisse frapper par celui-ci sans se défendre. À Karéol, le château de Tristan en Petite-Bretagne, le chevalier, grièvement blessé, est plongé dans une mortelle torpeur. Le navire d’Iseut (qui seule peut le sauver) est annoncé. En extase, fou d’impatience, Tristan arrache ses bandages, s’élance à sa rencontre sur le rivage et expire dans ses bras. Iseut regarde le corps inanimé, puis, le visage rayonnant, s’allonge lentement à côté de lui. Arrive le navire du roi Marc et de ses chevaliers. Kurvenal, l’écuyer de Tristan, croit à une attaque ; il tue le sournois Sire Melot et périt à son tour. Ayant appris le secret du philtre par Brangaine, le roi est venu pardonner, concilier, bénir les amants. Trop tard : il ne bénit que leurs cadavres.
Ce mythe du désespoir, cette coloration morbide donnée à l’obsession charnelle, cet accent mis sur la pulsion de mort (« Todessehnsucht »), cet hymne au double suicide (le trépas pouvant seul assouvir la passion), le tout empesé de culpabilité diffuse, sont des éléments assez étrangers à la mentalité médiévale, car les amants de la légende ne cherchent à aucun moment à « transcender leur amour dans la mort ». Outre son vécu personnel – sa liaison secrète avec Mathilde Wesendonk, l’épouse de son meilleur ami et financier – Wagner a été marqué par la découverte de Le Monde comme volonté et représentation d’Arthur Schopenhauer (1819) ; le musicien s’imprègne des idées du philosophe sur la pulsion irrationnelle et vorace comme moteur désespéré de notre existence, et sur le supplice de vivre. Pour ses amants maudits, la fin tragique est la seule délivrance possible. Thomas Mann a parfaitement cerné l’influence du philosophe prussien quand il écrit à propos de la trame wagnérienne : « Le ciel est vide, le christianisme est absent, Dieu est absent, personne ne le nomme, personne ne l’invoque. Rien là qu’une philosophie érotique, une métaphysique athéiste, le mythe d’une cosmogonie où le motif du désir fait apparaître l’univers » (Leiden und Grösse Richard Wagners, 1933).
La présente captation en noir et blanc de l’opéra a été enregistrée le 10 avril 1967 à Osaka, au Japon, avec l’orchestre du Festival d’Osaka sous la direction de Pierre Boulez. Outre le fait qu’elle témoigne du long règne du couple Birgitt Nilsson/Wolfgang Windgassen à Bayreuth (de 1957 à 1970), interprètes légendaires, elle se distingue surtout, sur un plan historique et musicologique, par sa mise en scène alors révolutionnaire de Wieland Wagner, le petit-fils du compositeur (et petit-neveu de Franz Liszt), décédé brutalement en 1966 à l’âge de 49 ans. Elle inaugure dès 1951 une ère nouvelle à Bayreuth, une rupture radicale avec la génération précédente, idéologiquement compromise et récupérée par le Troisième Reich. Wieland débarrasse l’œuvre de tous ses oripeaux et accessoires germanisants et impose un style visuel plus allusif, fait de lumière, de couleurs, de pénombre, tout en accentuant les déplacements des chanteurs et du choeur.
Yvan Lagrange et Claire Wauthion dans « Tristan et Iseult » d’Y. Lagrange (1972).
1972Tristan et Iseult (FR) d’Yvan Lagrange
Pierre Cardin/Les Films de la Vierge (Roberval)-Film du Soir, 75 min. – av. Yvan Lagrange (Tristan), Claire Wauthion (Iseut).
Synopsis : Harrassé par des chevaliers aux casques héraldiques et aux brocards multicolores, Tristan combat dans le froid arctique, au milieu des icebergs, pour conquérir l’amour d’Iseut – et connaît une première mort. Iseut le soigne. Ils s’enfuient dans les forêts, sont à nouveau traqués par des hommes qui veulent les séparer. Alors Tristan, toujours blessé, toujours saignant, part seul au plus chaud du désert où il vit comme un animal et rencontre « la folie », mais Iseut le sauve d’une seconde mort. Un jour, les hommes du désert sur leurs chameaux et tous les chevaliers s’affrontent sur la plage ; le champ de bataille devient un étal de boucherie. Iseut erre longtemps parmi les cadavres, puis retrouve Tristan. Tous deux s’allongent dans les entrailles d’un bœuf écorché et s’endorment. La mer qui emporte leurs corps se transforme en un océan de roses.
Yvan Lagrange, réalisateur, scénariste et interprète, a 22 ans quand il crée cet « opéra cinématographique en scope-couleurs sur les thèmes universels de la fatalité, l’amour, la folie, la mort et l’éternité », essai surréalisant filmé en Eastmancolor en Islande (sur le glacier de Vatnajökull, Austurland) et au Maroc, avec son épouse, Claire Wauthion, et à la caméra le grand Bruno Nuytten, dont c’est le premier long métrage ; par la suite, Nuytten signera la photo des films de Bertrand Blier, Marguerite Duras, Claude Miller, André Téchiné, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, etc. La musique au rythme obsédant avec chant choral, une sorte de mélopée millénaire, provient du groupe rock Magma (Christian Vander). Auteur depuis 1965 d’une demi-douzaine de longs métrages (et d’autant de courts), tous restés confidentiels, Lagrange plonge sa narration déconstruite – peu d’action, presque pas de dialogues (seule Iseut parle) – dans un paysage sauvage particulièrement insolite et photogénique de vagues, de galets et de glace. Des chevaliers de nulle part, affublés de heaumes ailés sortis du Codex Manesse (ils s’affrontent comme des cerfs avec leurs ramages), d’épées géantes et de tuniques extravagantes signées Pierre Cardin s’y livrent à une liturgie absurde de combats toujours recommencés, tandis que les amoureux, fragiles, s’enlacent à même le sol sous des peaux de bêtes. Lagrange réduit le mythe wagnérien (cf. supra, captation de 1967) à une variation narcissique sur les thèmes fondateurs de la légende, à une épure fantasmagorique post-soixante-huitarde (l’amour jeune versus la violence militaro-policière). C’est une suite d’images non dénuées de souffle poétique, maniéristes, hiératiques, au symbolisme décadent, aux héros préraphaélites. Torse nu, la chevelure balayée par le vent, Tristan porte un jean Levi’s tandis qu’Iseut est drapée de brocart ou de polystyrène. Cardin figure au générique à la fois comme producteur et costumier. La presse parisienne est pour le moins partagée. « M. Georges Conchon, homme de lettres, a comparé Yvan Lagrange à Arthur Rimbaud. M. Conchon a un humour un peu spécial » (Nouvel Observateur 1.3.74). « Les motifs de la légende éclatent, aux antipodes du réalisme, en une chorégraphie envoûtante, où flamboient la rose rouge et le bœuf écorché. Une espèce de style ‘haute couture’ protège de la vraie barbarie cet opéra fabuleux » (Le Point 1.4.74). « Une expérience à tenter si l’on est insomniaque », conclut Gilles Jacob, futur délégué général du Festival de Cannes (L’Express 25.3.74).
1974(tv-mus) Tristan et Isolde (FR) de Nikolaus Lehnhoff (th) et Pierre Jourdan (vd)
ORTF-Chorégies d’Orange (1e Ch. 19-20-21.11.74), 210 min. – av. Jon Vickers (Tristan), Birgit Nilsson (Isolde/Iseut), Bengt Rundgren (le roi Marc de Cornouailles), Ruth Hesse (Brangaine), Horst Laubenthal (le pâtre/le marin), Stan Unruh (Melot), Walter Berry (Kurvenal).
Captation télévisée de l’opéra de Richard Wagner avec l’Orchestre national de l’ORTF et le chœur du London New Philharmonic sous la direction de Karl Böhm. Une mise en scène exceptionnelle en extérieurs au Théâtre antique d’Orange, filmée en live le 7 juillet 1973. (Synopsis de l’opéra, cf. captation de 1967 par Wieland Wagner.)
1979[sortie: 1981] Tristan and Isolde – A Love Story / [IR:] Lovespell : Isolt of Ireland / Summer of the Falcon (IR/US) de Tom Donovan
Tom Hayes, Claire Labine, Thomas H. Ryan/Clár Productions Ltd.-Paul Avila Mayer (New York), 97 min./91 min. – av. Richard Burton (le roi Marc de Cornouailles), Kate Mulgrew (Iseut), Nicholas Clay (Tristan), Geraldine Fitzgerald (Bronwyn [=Brangaine]), Cyril Cusack (le roi Gormond/Gondor d’Irlande), Kathryn Dowling (Iseut aux Mains Blanches), Niall Toibin (Andred), Diana van der Vlis (Alex), Niall O’Brien (Gorvenal), John Joe Brooks (le père Colm), Trudy Hayes (Anne), John Scanlon (l’évêque), Bobby Johnson (Guillaume le Garde), John Labine (Eoghanin).
Synopsis : Irlande au VIe siècle. Alors qu’elle chasse seule au faucon, Iseut, l’impétueuse et farouche fille du roi Gormond et d’une druidesse décédée, propulse un chevalier trop entreprenant dans la rivière, à l’étonnement amusé du roi Marc, en visite sur l’île où il compte récupérer une partie des trésors que Morholt, beau-frère du roi d’Irlande tué par Tristan, a volé sur ses terres. Marc est fasciné par la jeune femme qui lui parle de sa soif de voyages, l’embrasse sur la joue et lui fait cadeau de son faucon (son « seul ami ») lorsqu’il retourne en Cornouailles. Marc ne peut l’oublier et délègue en Irlande son meilleur paladin et fils adoptif, Tristan, pour y faire soigner ses blessures de tournoi contre Morholt et demander la main de la princesse. Iseut guérit Tristan, mais elle est troublée par la nudité du bel éphèbe, s’éprend de lui, débat de Dieu et du monde et finit par se donner à lui. Bronwyn, autre druidesse, alerte Gormond sur le péril d’une liaison amoureuse entre le jeune couple et confie à Iseut une potion d’amour à déguster avec son futur mari. Celle-ci l’utilise une fois arrivée en Cornouailles, au lit avec Tristan, afin de se l’attacher à jamais. Marc constate que son épouse se refuse à lui, elle résiste, il la force. Il surprend les amants et fait condamner Tristan à mort tandis qu’elle se cache dans une colonie de lépreux. Gorvenal libère Tristan qui se réfugie avec Iseut dans les bois où Marc les surprend. Banni, Tristan gagne la Bretagne continentale. Il y est blessé par des bandits et Iseut aux Mains Blanches le soigne sans grands effets. Saoul, Marc frappe sa femme qui continue à lui résister, tente de la violer, puis lui demande pardon. Elle se résigne avec amertume, le couple semble se réconcilier, mais Iseut se laisse dépérir. Lorsqu’il apprend que Tristan se meurt de ses blessures, Marc accepte de le ramener en Cornouailles, puis, en route sur mer, lui rappelle qu’Iseut demeure son épouse – ce que Tristan conteste. De dépit, Marc fait hisser le pavillon noir signalisant à sa femme restée au château que le jeune homme est décédé. Iseut se jette en bas d’une falaise, Tristan plonge dans la mer pour la rejoindre, l’effort l’épuise, leurs mains s’effleurent sur la rive ; le couple expire sous les yeux du roi, debout dans l’eau jusqu’aux genoux.
Hormis la digression en costumes modernes de L’Éternel retour en 1943, le cinéma n’a plus abordé l’histoire de Tristan et Iseut depuis le muet. Tout en respectant les grandes lignes de la légende selon Joseph Bédier (cf. le film muet de 1920), et même le cadre historique du VIe siècle – on ne voit ni armures de plates ni heaumes -, cette production irlando-américaine s’en éloigne radicalement sur le fond. D’abord par de menus détails (selon la légende, Iseut ne se réfugie pas chez les lépreux pour échapper à son mari, comme le montre le film, c’est Marc qui la condamne à les fréquenter, punition pire que la mort), puis par le profil même, fortement anachronique, de ses protagonistes. Au premier abord, l’accentuation du cadre culturel celtique, terroir d’origine de la légende, ne manque pas de séduction (le générique en lettrines tirées du Book of Kells, quelques airs folkloriques irlandais de Paddy Moloney et des Chieftains, le faucon d’Iseut du nom de Cúchulainn, un ancien héros irlandais, la druidesse Bronwen), amplifié par les paysages de la Verte Érin, le tout filmé en été 1979 au château de Cahir (comté de Tipperary), au château de Ballyportry pour les intérieurs, à Corofin et sur les rives du Fergus (Clare) ainsi qu’à Oughterard (Galway). Le néodruidisme et l’Irlande médiévale sont à la mode, retombées collatérales de la contestation « hippie ».
Les moyens du bord sont dérisoires, à peine de quoi s’offrir une quinzaine de figurants. Richard Burton a quelques accointances avec l’univers de Tristan : il fut le roi Arthur dans le musical Camelot à Broadway en 1961 puis en 1980 et décrochera cette même année le rôle-titre dans la télésérie biographique Wagner de Tony Palmer). La star s’est laissé dévoyer contre une tranche importante du budget global, soit 750'000 $, et ce roi Marc désarçonné et tourmenté est son avant-dernier rôle au cinéma. Sérieusement abîmé par l’alcool, ce qui se remarque dans le film, il décédera en 1984, à 53 ans. À ses côtés, la jeune Américaine Kate Mulgrew, une starlette de séries télévisées, domaine où elle s’est imposée dans des rôles de femmes de tête (le capitaine féminin de Star Trek et la détective Madame Columbo). Elle lui tient la dragée haute, car son Iseut est une jeune fille moderne, indépendante et aux idées larges (en fait plus une étudiante issue d’un campus californien, revendicatrice et manipulatrice, qu’une douce damoiselle du haut Moyen Âge) : leurs scènes communes sont d’une intensité psychologique – chacun essayant de dominer l’autre – qui déséquilibre le film. Film qu’il faudrait rebaptiser « Marc et Iseut », et qui laisse Tristan loin derrière le couple royal. L’interprète du jeune chevalier, Nicholas Clay, incarnera l’année suivante l’insipide Lancelot d’Excalibur de John Boorman, également tourné en Irlande. Des acteurs de renom comme Geraldine Fitzgerald, jadis une noiraude venimeuse chez William Wyler (Les Hauts de Hurlevent, 1939) ou Robert Siodmak (The Strange Affair of Uncle Harry, 1945), et Cyril Cusack, le chef brûleur de livres de François Truffaut (Fahrenheit 451, 1966) sont totalement sous-employés.
Enfin, le point de départ de la tragédie est faussé : Iseut, qui n’a ici rien d’une innocente victime, se donne à Tristan avant de boire le philtre magique, élixir d’amour qu’elle sert ensuite à son amant de crainte, lorsqu’elle le sent hésiter, avoir un sursaut d’intégrité, qu’il ne la quitte un jour ! Dans cet état d’esprit, son acceptation d’épouser Marc le lendemain est psychologiquement inadéquate. En fait, la garce manigance la trahison en toute connaissance de cause, propose même à Tristan un ménage à trois et se met à sangloter lorsque son benêt d’amoureux manifeste quelques scrupules. Le film contribue ainsi à la déconstruction du mythe (initiée par Wagner), car chez Béroul et Bédier, consommé par erreur, le philtre tout-puissant a transformé les jouvenceaux en un couple marqué par la fatalité, quasiment contraint à l’amour, prisonnier aux enfers de ses ardeurs, sans libre arbitre et pas vraiment responsable de ce qui lui arrive (« ils ne se sont jamais aimés d’amour coupable » souligne la légende). Dans sa passion, Iseut demeure parfaitement pure. Or, en éliminant ou minimisant l’épisode du philtre pour « actualiser », psychologiser le récit, le rapprocher du spectateur d’aujourd’hui en le stérilisant (la règle à partir des années 1980), le script prive les protagonistes de leur dimension tragique. Il rend Tristan fautif, faible, ingrat et traître face à son suzerain, ayant sacrifié son honneur de chevalier à une conception de l’amour individualiste qui prône le « droit au bonheur » personnel, un « droit » primant sur toute autre considération. Ce Tristan-là, cette Iseut-là n’ont rien de Roméo et Juliette, qui sont, eux, objectivement victimes de leurs clans. De toute évidence, la libération des mœurs en Occident à partir des années 1960/70, avec sa nouvelle aspiration à « jouir sans entraves », fait que les scénaristes attribuent au couple des comportements incompatibles avec le récit d’origine. Celui-ci est réduit au « grand mythe européen de l’adultère » tel que le concevait déjà Denis de Rougemont (pour qui le philtre d’amour n’était qu’un « alibi de la passion »), voire à la nébuleuse de l’« amour fou » surréaliste. Spoliée ici de toute transcendance, leur liaison devient banale, une romance contrariée selon les poncifs du siècle (l’Amour contre l’Ordre social, le Pouvoir et la Religion), une triste histoire de cocufiage, et la mise en scène à la fois ennuyeuse et relâchée du téléaste américain Tom Donovan ne rehausse pas le ragoût. Au milieu du brouet musical qui accompagne l’action émergent, surprise, des passages entiers de l’Alexandre Nevski de Sergueï Prokofiev (bien sûr non mentionnés dans le générique). Hélas, M. Donovan n’est pas Eisenstein, loin s’en faut. Sorti deux ans après sa réalisation, le film a une exploitation ultraconfidentielle en salle ; seule une projection au Cork Film Festival le 26 septembre 1981 est attestée. Sa carrière se borne au petit écran et au marché vidéo aux Etats-Unis (sous le titre de Lovespell). Perte sèche ou fraude fiscale ? – ES : Tristán e Isolda, Pecado mortal.
1981/82(tv+ciné) Feuer und Schwert – Die Legende von Tristan und Isolde / Fire and Sword – The Legend of Tristan and Isolde / Tristan and Iseult (DE/IR) de Veith von Fürstenberg
Veith von Fürstenberg, Kerstin Dobbertin, Peter Genée, Don Geraghty/Dieter Geissner Filmproduktion GmbH (München)—Popular-Film Hans H. Kaden GmbH (Stuttgart)-DNS Filmproduktion GmbH (München)-Genée & von Fürstenberg Filmproduktionsgesellschaft mbH (München)—FFAT Film-Fernsehproduktion für Autoren GmbH (München)-Zweites Deutsches Fernsehen (Mainz)-Dan Geraghty Film Services Ltd. (Dublin) (ZDF 3.6.84), 111 min./95 min. – av. Christoph Waltz (Tristan), Antonia Preser (Iseut), Leigh Lawson (le roi Marc de Cornouailles), Peter Firth (le sénéchal Dinas de Lidan), Walo Lüönd (Gorvenal), Anton Huber (Gondoin), Kurt Raab (Ganelon), Christine Wipf (Brangaine, la suivante d’Iseut), Dietrich Kerky (Denavolin), Molly von Fürstenberg (l’abbesse), Rita Kail (une servante), Patrick Müllerschön (Perinis), Liam O’Callaghan (Morholt), Vladek Sheybal (Sire Andret), Brendan Cauldwell et Don Foley (deux barons).
Synopsis : Tristan, ami et neveu du roi Marc, livre combat à Morolt, l’invincible champion des Irlandais. Sans héritier, Marc a promis le trône de Cornouailles à celui qui parviendra à le tuer en joute. Loin des regards, sur l’île de Saint-Samson, Tristan terrasse Morolt mais, grièvement blessé, il dérive en pleine mer. Iseut, qui a appris au couvent l’art de guérir par les plantes, ranime l’inconnu (appelé Tantris) et le soigne dans un cloître sans lui révéler son identité. Ils échangent un premier baiser avant de se quitter. Lorsque Tristan revient demander sa main pour son oncle, Iseut s’évanouit. Ne parvenant pas à le persuader de fuir avec elle, elle le séduit sur le bateau en ajoutant un philtre magique à leur vin ; ils font l’amour dans leur cabine, nus, sous les yeux effarés de Brangaine. À Tintagel, Sire Andret, l’oncle de Marc qui convoite le trône, hait la « sorcière irlandaise ». Peu après les noces, Marc est frappé par l’indifférence marquée de son épouse, et, désemparé, la soupçonne d’avoir une liaison avec Dinas, son sénéchal, puis il éloigne Tristan de la cour. Furieuse et méprisante, Iseut refuse de revoir son mari. Les amants sont confondus, Tristan s’évade de prison et arrache Iseut aux lépreux qui s’apprêtaient à la violer. Trois ans plus tard, Marc est en guerre contre l’Irlande et les chevaliers d’Andret. Tristan s’est retiré dans la forêt du Morrois avec Iseut et une vingtaine de ses compagnons, dont Dinas, son meilleur ami. Lorsque ce dernier tombe au combat, Tristan propose à Marc de négocier une trêve qui mette un terme au conflit interne avec ses barons, puis organise un Jugement de Dieu afin d’innocenter Iseut. Celle-ci l’emporte par la ruse, sa volonté et une interprétation politiquement opportune de l’épreuve. Une fois la paix scellée, Tristan s’en va seul, prend pour compagne une captive baptisée Iseut et se livre à des brigandages, pillages et assassinats (comportement incompatible avec celui d’un paladin de la Table Ronde !) au cours desquels il est blessé mortellement. Tandis que Tintagel est assiégé par les Irlandais et que Marc livre bataille et tue Andret, Iseut s’allonge à côté de son amant décédé pour y mourir le cœur brisé. Gorvenal allume leur bûcher funéraire.
Une adaptation déroutante qui se réfère à Joseph Bédier (cf. film muet de 1920) tout en falsifiant – une fois de plus – la légende à travers la psychologie de l’héroïne (cf. supra, les commentaires à ce propos sous Lovespell en 1979). À en croire le réalisateur, Iseut représente l’individualisme bourgeois, une femme-enfant à la forte personnalité, considérant les idéaux de la chevalerie comme un instrument pour son propre plaisir et qui refuse le rôle que lui attribue l’ordre féodal : être le pion d’un pacte politique garant de paix. Tristan, autre pubertaire, ne surmonte pas l’exclusion sociale et sombre dans le crime. Faut-il y lire un lointain écho du climat de violence des « années de plomb » et des actions terroristes du groupe Baader-Meinhof qui traumatisent la RFA ? Il s’agit du premier film d’un des espoirs de la nouvelle vague allemande, le Munichois Veith von Fürstenberg, assistant et scénariste de Wim Wenders ; fort de ses relations, Fürstenberg parvient à réunir quelques comédiens de renom, Kurt Raab (un complice de Fassbinder), le Suisse Walo Lüönd (Les Faiseurs de Suisses), le Britannique Peter Firth (nominé à l’Oscar en 1978), le débutant Christoph Waltz, acteur austro-allemand que l’on retrouvera trente ans plus tard chez Polanski, Gilliam, Tarantino et même en Blofeld, l’ennemi juré de James Bond (Spectre). Une nymphette blonde et éthérée de 16 ans, collégienne à Munich, fait Iseut ; on la reverra très brièvement en tentatrice du magicien Klingsor dans le Parsifal de Syberberg (cf. chap. 2, 1982).
Entreprise germano-irlandaise au financement serré, Feuer und Schwert (Le Feu et l’Épée) est tourné (en anglais) en Irlande de l’Ouest, dans les landes de Moorehall près de Carnacon (Mayo), sur les falaises de Moher (Clare) et dans une piscine couverte à Dublin (scènes maritimes). Les intérieurs sont enregistrés aux studios Bavaria à Munich-Geiselgasteig ainsi que dans les salles gothiques du château de Burghausen en Haute-Bavière, sans excès de scrupules quant à l’exactitude historique (armures et ameublements du XVe siècle). Ce flou se retrouve dans le script même : trop de personnages n’ont ni profil ni motivations claires. On relève bien quelques jolis effets de lumière en scope et Eastmancolor, mais ils sont gangrénés par une narration traînante, une mise en scène approximative, le jeu très limité des héros en titre, des cascades trop timides, enfin une musique électronique au synthétiseur totalement déplacée. De surcroît, le distributeur en RFA opère de sérieuses coupes, dont, semble-t-il, une scène où il est question de l’enfant qu’Iseut aurait eu avec Tristan (fait qu’attestent certaines légendes en France, et en Italie dans le Tristano Riccardiano). Le film décroche le prix Caixa de Catalunya au Festival de Sitges pour la meilleure photo et une nomination à l’International Fantasy Film Award à Porto, au Portugal, mais il passe inaperçu en salle et son auteur se recycle dans la production de téléfilms (la série policière des Tatort). – ES : Fuego y espada, US : Tristan and Isolde.
1983(tv-mus) Tristan und Isolde (DE) de Jean-Pierre Ponnelle
Unitel Film München-Festspiele Bayreuth, 245 min. – av. René Kollo (Tristan), Matti Salminen (le roi Marc de Cornouailles), Johanna Meier (Iseut), Hermann Becht (Kurvenal/Gorvenal), Robert Schunk (Melot), Hanna Schwarz (Brangaine), Helmut Pampuch, Martin Egel.
Captation de l’opéra de Richard Wagner dans une mise en scène mémorable de Ponnelle à Bayreuth, avec l’orchestre des Bayreuther Festspiele sous la direction musicale de Daniel Barenboim, supervision artistique de Wolfgang Wagner. (Synopsis de l’opéra, cf. captation de 1967 par Wieland Wagner.)
1988[sortie : 1990] Connemara / Fatal Lovers (FR) de Louis Grospierre
Christian Gion/Lapaca Productions-Société Générale de Gestion Cinématographique (SGGC)-La Générale d’Images, 98 min. – av. Bernard-Pierre Donnadieu (Marc), Brigitte Marvine (Sedrid aux Longues Tresses Rouges [=Iseut]), Charley Boorman (Loup [=Tristan]), Johara Farley (Brangien), Jean-Pierre Rives (Morholt), Deirdre Donnelly (la reine), Maurice O’Donoghue (l’évêque), Daragh O’Malley (Frocin), Marie Paquim (la princesse), Stephen Rekab (Kaherdin), Hervé Schmitz (le roi).
Une tentative de replacer la légende de Tristan et Iseut dans son terreau d’origine celto-irlandais, au VIe siècle. – Synopsis : Loup est l’impétueux neveu de Marc, le chef d’une petite communauté vivant dans un village de tentes au bord de l’océan glacial et battu par les vents, dans le Connemara (Irlande de l’Ouest). A la suite d’une sombre histoire de vol de mouflon, il affronte Morholt, chef d’une tribu voisine, et le tue en combat singulier après avoir été lui-même gravement blessé. C’est un homicide (commis un dimanche) que condamne l’évêque local, représentant plus soudard que prélat de la loi et de l’autorité dans une région à peine christianisée. Ce dernier exige qu’en châtiment, Loup aille chercher une fiancée pour son oncle : la belle Sedrid, connue pour la longueur inhabituelle de sa chevelure rousse. Peu diplomate, Loup enlève Sedrid à sa famille ; perdus dans le brouillard sur une petite embarcation, Loup prend brutalement Sedrid de force, les jeunes gens deviennent amants. Mais Loup vénère son oncle et cache sa liaison avec celle qui devient l’épouse du chef de clan. Une jeune esclave métisse un peu sorcière, Brangien, amoureuse de Loup, offre secrètement sa virginité en remplacement de celle de l’épousée à un Marc enivré pour l’occasion. Sedrid est séduite par une certaine maturité généreuse de son époux sans que cela n’affecte ses sentiments pour Loup. Celui-ci vit difficilement une situation dont Marc, qui n’est pas dupe, se satisfait pourtant, et il emmène Sedrid sur les hautes terres. Marc simule mollement une poursuite, puis renonce, blessé par la force de leur passion, et sombre dans l’apathie. Afin d’éviter sa déchéance, Brangien, manipulée par l’évêque, ramène Sedrid à son époux. Se croyant trahi, Loup tue sauvagement l’évêque venu le raisonner et Marc se voit contraint de condamner son neveu à mort avant de se suicider lui-même. Traqué, blessé mortellement par une flèche, mais rejoint par Sedrid, Loup attend sur la plage que la marée l’emporte. Sedrid se noie, attachée au corps de son amant. Brangien, qui profite du passage d’un drakkar pour gagner d’autres horizons, pense que ce n’est pas ainsi qu’il faudra raconter cette histoire aux générations à venir…
Pas de châteaux, pas d’armures, pas de chevaliers, mais un cadre précaire et inhospitalier. Pas de rois mais un berger-guerrier auquel un vague clerc (son suzerain nominal) a ordonné de prendre femme, alors qu’il préfère s’amuser avec ses maîtresses, dont Brangien, la captive africaine. Pas d’amour courtois ni philtre magique, mais le viol, la polygamie ; plus de passion, mais la sexualité brute. La jalousie ne fait pas souffrir, l’adultère n’a pas grand sens dans ce contexte clanique primitif et sanglant qui, par son absence de codes sociaux, religieux ou chamaniques, ressemble surtout à l’humanité postmoderne que dessinent le cinéma de science-fiction et l’« heroic fantasy » contemporains. La barbarie ainsi évoquée n’est qu’un fantasme propre à la mentalité collective de la fin du XXe siècle, et le carnage final une conclusion cliché. Tourné sur place en juillet 1988 en couleurs-scope, avec Bernard-Pierre Donnadieu (un Marc à la fois puissant et fragile, la meilleure prestation du film) et le jeune fils du cinéaste anglais John Boorman, Charley Boorman, qui interpréta pour son géniteur Mordred jeune dans Excalibur (1981) et le fils disparu en Amazonie de La Forêt d’émeraude (1985). Le couple qu’il forme avec Brigitte Marvine ressemble à un stéréotype publicitaire, et les acteurs qui les entourent sont hélas à l’échelle des dialogues et de la mise en scène : plats. « Une tentative d’assassinat d’un chef-d’œuvre qui ne présente aucun intérêt », décrête La Saison cinématographique (vol. XXXVII, p. 29). Le film fait une brévissime sortie en salle en été 1990, après deux ans de purgatoire dans les tiroirs des distributeurs ; la première semaine à Paris attire 172 spectateurs, on comptabilise 1207 entrées en fin d’exclusivité.
1989[Korpens Skugga / I Skugga Hrafnsins / In the Shadow of the Raven (L'Ombre du corbeau) (SE/IS) de Hrafn Gunnlaugsson ; Sandrews-Filmhuset-Svenska Film Institutet-Cinema Art, 118 min. – av. Tinna Gunnlaugsdottir (Isolde), Reine Brynjolfsson (Trausti), Egill Olafsson, Sune Mangs, Kristbjorg Kjeld. – L’Islande des Vikings en l'an 1077, deux clans rivaux se livrent bataille. Suite du film Hrafninn flygur (Le Vol du corbeau) de Gunnlaughsson en 1984 qui utilise des éléments de la légende de Tristan (Trausti) et Iseut (Isolde). Jeune guerrier, Trausti tue le chef ennemi, dont la fille Isolde jure vengeance. Un puissant évêque tente d’arranger un mariage entre les deux jeunes gens, mais la loi du sang l’emporte. Tourné en Islande.]
1989[Isolde (DK) de Jytte Rex ; Nordisk Film Production-Danske Film Institut-Kirsten Bonnén Rask-Danmarks Radio ved Co-Produktionsfonden, 95 min. – av. Pia Wieth (Isolde), Claus Flygare, Kim Jansson. – Variante modernisée : Iseut face à deux personnages anonymes, « l’époux » et « le guerrier », qui apparaissent dans son subconscient.]
1995(tv-mus) Tristan und Isolde (DE) de Heiner Müller (th) et Horant H. Hohlfeld (tv)
Unitel Film-Festspiele Bayreuth, 223 min. – av. Siegfried Jerusalem (Tristan), Waltraud Meier (Isolde), Uta Priew (Brangaine), Falk Struckmann (Kurwenal), Mattias Hölle (le roi Mark), Poul Elming (Melot), Peter Moss, Sandor Solyom.
Captation de l’opéra de Richard Wagner à Bayreuth avec l’orchestre du Bayreuther Festspielhaus sous la direction de Daniel Barenboim. (Synopsis de l’opéra, cf. captation de 1967 par Wieland Wagner.)
Tristan et Iseut à la cour du roi Marc (Tristano e Isotta de Fabrizio Costa, 1998)
1998** (tv) Tristano e Isotta – Il cuore e la spada / Tristan & Isolde – Eine Liebe für die Ewigkeit / Le Cœur et l’Épée (IT/DE/FR) de Fabrizio Costa
Guido Lombardo, Doris Kirch/Titanus S.P.A. (Roma)-Mediaset (Silvio Berlusconi, Milano)-TaurusFilm (KirchMedia GmbH & Co., München)-SAT.1-Canal Plus (Paris) (Canale 5 22.+24.11.98, SAT1 13.+14.5.99), 2 x 98 min./198 min. – av. Ralf Bauer (Tristan), Léa Bosco (Iseut aux Cheveux d’Or/Iseut aux Mains Blanches), Joachim Fuchsberger (le roi Marc de Cornouailles), Mandala Tayde (Brangaine), Pierre Cosso (Curvenal/Gorvenal, l’écuyer), Bekim Fehmiu (le roi Gormond d’Irlande), Maria Schneider (la reine Maga d’Irlande, mère d’Iseut), Jean-Pierre Cassel (Hoël, duc de Bretagne), Lorenzo Flaherty (Kaherdin, son fils), Pierre Paolo Caponi (le sénéchal Dinas de Lidan), Stefano Corsi (Ogrin [=Frocin], le nain boiteux), Giovanni Lombardo Radice (le baron Andret), Thure Riefenstein (Riol), Francis Fulton-Smith (Guenelon/Denoalen), Achille Brugnini (l’évêque), Pierre Franckh (Godoin), Dominique Hulin (Morholt, frère d’Iseut), Cedric Baumier (Tristan enfant), Daniel Vérité (Rivalen, roi de Lunis et père de Tristan), Mino Sferra et Tomaso Thellung (des lépreux).
Cette minisérie est, depuis le film muet de 1920 (cf. supra), l’adaptation de loin la plus fidèle à la légende telle que transcrite en français moderne par Joseph Bédier. C’est celle qui en retient la majorité des épisodes et – d’où son intérêt primordial dans le contexte présent – la seule qui en assume pleinement la dimension mythique et merveilleuse. Le scénariste Lucio De Caro (Fontamara de Carlo Lizzani, 1980, d’après Ignazio Silone), ex-assistant de Mario Soldati, monteur et réalisateur occasionnel, évacue le dragon d’Irlande et le vieil ermite. En revanche, il développe l’intervention surnaturelle de l’oiseau de lumière qui chaparde un cheveu d’or à Iseut dans son pays natal pour l’apporter à Marc, guide le roi dans la forêt du Morrois afin de sauver in extremis les amants que la soldatesque est sur le point de trucider, puis assiste au dénouement final ; Maga, la mère d’Iseut, est bien une magicienne qui se rend invisible ou se transforme en flammèches pour taquiner sa fille, garde le contact avec elle au travers d’un miroir magique (que va lui dérober le nain), concocte un philtre au pouvoir irrépressible et, à la fin, incendie de dépit le castel royal en Irlande.
À en juger par les costumes, l’action se déroule à l’ère mérovingienne, autour des VIIIe-IXe siècles ; elle débute à Tintagel par le jeu de harpe du petit Tristan et sa formation aux armes sous la guidance de son futur écuyer, Curvenal, enfin la remise de l’épée sacrée des Celtes par son oncle maternel Marc. Suit, dix ans plus tard, la victoire en combat singulier contre le géant Morholt (frère aîné d’Iseut, selon Malory) sur un îlot inhabité, la blessure empoisonnée, la guérison du « musicien breton Tantris » grâce aux savoirs secrets d’Iseut et de sa mère. Empruntant à Gottfried de Strasbourg (et à Wagner), De Caro rend Brangaine, la suivante, responsable du drame d’amour : Iseut s’est juré de venger la mort de son frère et s’apprête à partager une coupe de poison avec le « meurtrier », breuvage létal que Brangaine, compatissante, remplace par le fameux philtre. L’endormissement et le réveil des amants sont restitués avec justesse et finesse, de l’attente pacifiée de l’au-delà à la découverte extasiée de l’autre, suivies de leur vaine lutte contre le désir (accouplés, ils sont enveloppés par la lumière de Maga, la magicienne), du désespoir (« j’ai perdu mon honneur » se lamente Tristan), du constat que leur « amour sublime » les rend désormais « indignes de fréquenter les autres ». À Tintagel, dans le lit nuptial, Brangaine se fait déflorer à la place de sa maîtresse – ce qui autorisera cette dernière, plus tard, à jurer sur une sainte relique qu’elle n’a « jamais trahi l’homme auquel elle a donné sa virginité ». Aidé d’Ogrin, le baron Andret finit par confondre les amants et Tristan est banni à vie ; son écuyer le délivre et ensemble ils arrachent Iseut à une colonie de lépreux lubriques. Dinas, le sénéchal, révèle à Marc le secret du philtre qui a enlevé au couple toute responsabilité de ses actes. Le roi pardonne (l’épée sacrée de Tristan, brisée par Marc, est miraculeusement réparée), mais ses barons ne l’autorisent pas à lever le décret de bannissement. Gorvenal ramène Iseut à Tintagel, Tristan s’exile en Petite-Bretagne. Il y sauve la vie de Kaherdin, fils du duc Hoël, et rencontre sa sœur, Iseut aux Mains Blanches (les deux Iseut sont interprétées par la même actrice) qu’il sauve à son tour des griffes de féroces brigands.
Dans le dernier quart du film, De Caro brode à partir des incessants rebondissements de Bédier et des sources italiennes (Meliadus de Rustichello da Pisa, Tristano Riccardiano) en corsant l’intrigue à sa manière, quitte à rajouter quelques passages apocryphes. Il montre le désespoir d’Iseut la Blonde qui se remet difficilement d’une morsure de serpent en forêt, sa souffrance d’avoir fait du mal à Marc, la douleur de la séparation et sa double tentative de suicide (Brangaine veille). En Bretagne, Iseut aux Mains Blanches, négligée par Tristan, accuse celui-ci de tentative de viol. Il s’enfuit, s’introduit vêtu en mendiant dans Tintagel, revoit brièvement la vraie Iseut, puis tombe dans les rets d’Andret et de ses acolytes. Ce dernier s’empare du trône, emprisonne Marc et condamne la reine (dont la tentative d’alerter ses parents en Irlande a échoué) à mort pour sorcellerie. Le billot l’attend, mais, une fois de plus, Tristan retourne la situation, délivre le roi et ses fidèles et lors de la féroce bataille qu’ils livrent autour de l’échafaud comme dans la cour du château, tous les félons périssent. La couronne sauvée, Tristan s’en retourne en Petite-Bretagne grièvement blessé. Kaherdin et sa sœur repentante s’empressent autour de lui. Le dénouement est conforme : à l’arrivée de sa rivale, Iseut aux Mains Blanches, jalouse, annonce une voile noire. Tristan titube et rend l’âme dans les bras de la vraie Iseut qui s’empale dans l’épée de son bien-aimé.
Ces ultimes images ne manquent pas d’émotion ; en dépit d’un récit quelque peu dilué par le cumul feuilletonesque des péripéties et d’un style sans originalité, elles témoignent d’une mise en scène constamment adroite et plaisante, ouvrage du téléaste vénitien Fabrizio Costa. Il sait tirer parti de ses extérieurs en Bretagne, notamment autour et dans l’enceinte de la magnifique forteresse de Fort La Latte – jadis utilisée par Richard Fleischer pour The Vikings (1958) – qui est transformée en Tintagel. Le tournage se poursuit aux châteaux de la Hunaudaye et de Hac (Côtes-d’Armor), à Saint-Malo, à Capranica près de Viterbe et aux cascades de Monte Gelato (Valle del Treja) dans le Latium italien, enfin aux studios Titanus Elios de la Via Tiburtina à Rome. La production n’a pas lésiné sur les moyens : s’étant réorienté vers la fabrication de fictions télévisuelles de prestige, Goffredo Lombardi, fils du fondateur de la fameuse Titanus Film, s’assure ici la coopération pécunière de Mediaset (Berlusconi), du groupe munichois KirchMedia et de Canal Plus. Le couple en titre, Ralf Bauer et Léa Bosco, des comédiens franco-allemands peu connus hors-frontières, est aussi séduisant qu’attachant ; Bauer, en particulier, synthétise ce mélange de force et de vulnérabilité, de chevalier et d’artiste (il chante en ancien français à la harpe) qui colle idéalement à l’imagerie populaire. Les deux sont encadrés d’acteurs de renom tels que Joachim Fuchsberger, familier d’innombrables polars en RFA (la série des Edgar Wallace), Jean-Pierre Cassel, Maria Schneider (rescapée du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci) et l’Albanais Bekim Fehmiu, une vedette du cinéma de l’ex-Yougoslavie (il interpréta Ulysse dans L’Odissea, la télésérie de Franco Rossi en 1968). Reste un mystère : pourquoi cette minisérie de qualité est-elle demeurée inédite sur les petits écrans de l’Hexagone ? – Titre international : The Sword and the Heart / Heart and Sword, ES : El corazón y la espada.
1998[Animation : (tv) Tristan et Iseult. La Légende oubliée / Tristan & Isolde. The Lost Legend / Tristán y Isolda. La Leyenda olvidada (FR/ES) de Prakash Topsy et J. P. d’Armon ; Arès Films (Neuilly)-Cartoon Express-France 3-CNC, 26 x 25 min. – La légende réinventée pour les tout petits : quoique lié l’un à l’autre par une sirupeuse boisson d’amour, le couple est surtout menacé par le géant Morholt, un dragon crachant du poison et autres créatures fantastiques. Tristan et Iseut se sauvent en partant à la quête d’une Pierre Bleue magique cachée dans un Palais de Cristal.]
2002[Animation : (tv) Tristan et Iseut / Tristan and the Princess of Irelandis (FR/LX) de Thierry Schiel ; Neuroplanet-Oniria Pictures (tv : 3.4.02), 83 min. – av. les voix de Louis Wright (Tristan), Clara Barker (Iseult), Derek Kueter (Puck), Chris Bearne (le roi Mark), Thomas Sanne (Morholt), Pierre Laurent (le baron Ganelon). – Version édulcorée et puérile destinée à des préadolescents. Une romance sentimentale incluant l’enfance de Tristan ainsi que sa lutte contre le dragon, et qui s’achève en happy-end : Marc est tué par un comploteur, Ganelon ; mourant, il confie son royaume et sa femme à Tristan, qui vient de faire justice.DE : Tristan & Isolde – Im Land der Riesen und Feen.]
Iseut, Tristan et le roi Marc dans Tristan + Isolde (2003) de Kevin Reynolds.
2003[sortie : 2006] Tristan + Isolde / The Red Sword (Tristan et Yseult) (DE/CZ/GB/[US]) de Kevin Reynolds
Ridley Scott, Tony Scott, Jim Lamley, Liza Ellzey, Giannina Facio/Scott Free Productions-Franchise Pictures-Stillking Film SPOL S.R.L.--ApolloProMedia GmbH & Co.1-3. Filmproduktion KG-QI Quality International GmbH & Co. KG-MMF Ltd.-20th Century Fox-Epsilon Motion Pictures-World 2000 Entertainment, 125 min. – av. James Franco (Tristan), Sophia Myles (Iseut), Rufus Sewell (le roi Marc de Cornouailles [Marke]), David Patrick O’Hara (Donnchadh, roi d’Irlande), Mark Strong (Wictred de Glastonbury), Henry Cavill (le prince Melot, fils de Marc), Hans Martin Stier (Kurseval), Bronaugh Gallagher (Bragnae [=Brangaine]), JB Blanc (Leon), Ronan Vibert (Bodkin), Graham Mullins (Morholt), Leo Gregory (Simon), Richard Dillane (Aragon, père de Tristan), Frank Welker (Roald), Thomas Morris (Kaye), Barbora Kodetova (Lady Marke), Dexter Fletcher (Orick), Todd Kramer (Witseth), Lucy Russell (Edwyth, sœur de Marc), Thomas Sangster (Tristan jeune), Isobel Moynihan (Iseut jeune), Myles Taylor (Melot jeune), Jack Montgomery (Simon jeune), Cheyenne Rushing (Lady Serafine), Marek Vasut (Luther), Bonwen Davies (Lady Aragon, mère de Tristan), Philip O’Sullivan (Paddreggh).
Le sujet de Tristan et Iseut obsède Ridley Scott depuis 1977, au lendemain de son premier long métrage, l’admirable The Duellists. Le cinéaste britannique envisage de le filmer en Dordogne, attelle au projet son scénariste Gerry Vaughan-Hughes, obtient le feu vert du producteur David Puttnam à Londres et de la Paramount à Hollywood – avant de changer d’avis au profit du cauchemardesque Alien… Un quart de siècle plus tard, devenu producteur avec son frère Tony (Scott Free Productions), il acquiert un script adapté au goût du jour de Dean Deorgaris et confie la matière au réalisateur texan Kevin Reynolds, briscard du cinéma en costumes, responsable notamment de l’amusant Robin Hood : Prince of Thieves avec Kevin Costner en 1991. Le budget étant passablement serré, il faut ruser avec le nombre limité de figurants. La production est tournée – d’août à décembre 2003 – en majorité en République tchèque, dans les studios Barrandov, en dehors de Prague puis dans la région de Kolin (Bohême centrale) ; on y édifie le Château d’Or de Marc, enceinte castrale en bois surmontée d’un grand donjon rectangulaire de pierre avec pont-levis ; trois semaines sont nécessaires pour les prises de vues en Irlande, sur la côte occidentale du Connemara, où une petite île au large de la plage de Glassilaun (Renvyle) sert de résidence fortifiée (palissades en bois) du roi ennemi Donnchadh à Dunluce, entourée d’un village de huttes. Comme Connemara en 1988 (cf. supra), l’action est ancrée dans un temps prémédiéval, dans cette Europe « barbare », rude, boueuse et sale qui aurait succédé à l’Empire romain, où le métal et la pierre travaillée étaient rares. Pas d’armures mais des broignes en cuir, pas de joutes équestres mais un combat à terre avec épée, dague, massue et coups de pied. L’exactitude rigoureuse des décors et accessoires, d’un réalisme frappant, et l’efficacité sèche et brutale des scènes d’action (tournoi, siège final) portent bien la signature graphique de Ridley Scott, créateur d’univers et d’images particulièrement doué – et pour lequel l’antique Rome n’a plus de secrets (Gladiator, 1999).
Synopsis : Au VIe siècle, dans sa motte castrale en bois à Tantallon (Tintagel), Marc, le roi de Cornouailles, encourage les barons de toute la Bretagne, Celtes, Jutes, Saxons et Angles, à surmonter un siècle de divisions et à se réunir sous une même couronne afin de se libérer du joug du roi Donnchadh d’Irlande. Ils sont surpris par un raid d’Irlandais que dirige Morholt. Le village et la place forte sont réduits en cendres, la population massacrée ou emmenée en esclavage. Marc survit, mais il perd une main en sauvant le petit Tristan. Celui-ci a pu se cacher et retrouve ses parents assassinés. Au même instant, en Irlande, Iseut enterre sa mère. Neuf ans plus tard, Marc a tout fait reconstruire, partiellement en pierre : son castel, Château d’Or, repose sur une crypte romaine abritant un couloir secret. Tristan est devenu un guerrier accompli que Marc, son oncle, préfère même à son propre fils, le prince Melot. À l’annonce d’une nouvelle incursion ennemie, Tristan organise un guet-apens, délivre les captifs et tue Morholt, dont l’épée empoisonnée le paralyse. Il passe pour mort, sa barque funéraire le mène à une plage déserte d’Érin où Iseut, fille de Donnchadh, et sa suivante Bragnae se terrent, car le roi a fiancé sa fille rebelle au monstrueux Morholt. Iseut soigne Tristan, ils s’aiment sans se connaître.
De retour au Château d’Or, Tristan, « revenu d’entre les morts », est fêté en héros. Pour venger Morholt et semer la zizanie parmi les Britons à présent ralliés autour de Marc, Donnchadh annonce un grand tournoi dont le vainqueur épousera sa fille, en plus d’une alléchante dot territoriale. Trente guerriers des régions les plus diverses, dont le fourbe Wictred de Glastonbury, rivalisent dans la lice. À la fureur des Irlandais, Tristan remporte toutes les victoires au nom de son suzerain et lui ramène Iseut, destinée à devenir reine d’Angleterre. La jeune femme qui rêvait d’un « monde sans devoirs » se plie au diktat, mais harcèle Tristan en douce. Donnchadh se jure de renier sa fille le moment venu, assiste hypocritement au mariage-couronnement de Marc et d’Iseut en gage de paix, puis, apprenant par Wictred l’infidélité de la reine, il confond publiquement le couple adultérin et provoque la défection de la majorité des barons britons. Marc fait incarcérer les amants, mais les libère en secret après avoir appris, bouleversé, les circonstances particulières de leur liaison. La nuit venue, les nefs irlandaises embusquées dans une crique accostent et Donnchadh assiège Château d’Or. Dans un moment d’égarement dû à la frustration, le prince Melot dévoile à Wictred l’existence du souterrain romain menant au donjon. Wictred le tue et s’apprête à saborder le pont-levis, mais il en est empêché par Tristan qui, brisé par la culpabilité, est revenu sur ses pas, lui tranche la tête et la jette aux assaillants horrifiés. Les Irlandais se dispersent en désordre, Donnchadh est abattu par une flèche. Blessé à mort dans la mêlée, Tristan rend l’âme sous les yeux de Marc et d’Iseut, inconsolables.
Tristan meurt donc seul et Iseut lui survit, car, affirme le scénariste, « une femme aimée par Tristan ne se laisserait pas mourir d’émotion, elle est trop forte pour ça ». Dont acte. En fait, dans la première version du script, Iseut, très âgée, confiait son passé à un prêtre en flash-back pour savoir si sa liaison avait été un « péché » ou un « acte d’amour »… Deorgaris affuble son héros d’un nouveau patronyme (Tristan d’Aragon), le géniteur d’Iseut a nom Donnchadh, le « chef brun » en gaëlic. Marc a une sœur (Edwyth) et un rejeton, Melot, qu’il néglige. Afin de pimenter la bien banale romance, on invente une toile de fond politique conflictuelle, avec un monarque irlandais particulièrement rapace, représenté par son champion Morholt, géant gras et impitoyable qui, tel un Viking sanguinaire, sème la terreur autour de lui. Là-dessus se greffent les efforts de Marc – et avant lui d’Aragon, le père de Tristan – pour fonder l’Angleterre (alors que le terme n’existe pas encore), initiative historiquement sujette à caution. Le christianisme est embryonnaire (un prêtre marmonnne inaudiblement quelques formules lors du couronnement), la virginité de la mariée ne joue aucun rôle. Une fois de plus, le philtre d’amour qui lie les amants est évacué, toute notion de fatalité disparaît (cf. supra, nos commentaires à ce propos sous Lovespell en 1979). Ici, la liaison coupable de Tristan et Iseut met en péril le royaume, induisant un rapprochement convenu avec la saga arthurienne de Lancelot, de Guenièvre et la destruction de Camelot. L’indéniable qualité visuelle de la reconstitution (le mariage nocturne aux torches sur l’eau, la palette chromatique sombre et morne après les noces) jure avec le simplisme de la psychologie, quoique Marc, manchot et souffrant de son infirmité, soit traité avec quelque nuance ; à titre d’unificateur du pays, il jouit d’un éclairage positif et on compatit à son sort. Mais de manière générale, l’émotion est rare, remplacée par un zeste de nudité photogénique dans les bois, puis littéralement noyée dans l’hémoglobine, les flammes, la cruauté et le choc des armes. Ayant perdu son sujet de vue à partir du troisième tiers, le film n’est plus qu’une belle coquille vide. Il met d’ailleurs presque deux années à sortir en salle (en janvier 2006), puis en dvd affublé symptomatiquement d’un titre plus attractif, The Red Sword (épée à laquelle il n’est jamais fait allusion au cours du récit !) – dans le vain espoir d’attirer une clientèle juvénile. Ce « Sword without Sorcery » est un four et Franchise Pictures, société productrice, fait banqueroute. – IT : Tristano & Isotta, ES : Tristán e Isolda.
2014(vd-mus) Tristan & Yseult – Live in Amorica (FR) d’Alan Simon
60 min. – av. Maria Misheva [voix : Siobhan Owen] (Iseut), Denis Dmitiev (Tristan), Alan Simon (le roi Marc’h, son père adoptif), Christian Décamps (Donnchadh, roi d’Irlande et père d’Iseut) et avec la participation du Ballet Symphonique Celtique et des Chevaliers de la Compagnie Grise.
Grand « opéra rock celtique » créé par l’auteur-compositeur breton Alan Simon, déjà responsable d’un Excalibur – Live à Brocéliande paru en dvd en 2012 (cf. chap. 1). Son spectacle, mené par deux solistes russes et mis au point en collaboration avec le chef d’orchestre et arrangeur américain Lee Holdridge (Beauty and the Beast), associe ballet classique, danses irlandaises, théâtre, orchestre symphonique et musiciens celtiques. Bénéficiant d’enluminures animées par Barbara de Monchy et des chorégraphies de Nikolaï Androsov et Catriana Ni Leamhcan (Avalon Celtic Dance), le show est filmé au Zénith de Nantes le 7 mars 2014 ; suit une grande tournée européenne. Le musical escamote le philtre d’amour : après avoir tué le monstrueux Morholt, guerrier géant qui ravageait le Pays de Cornouailles, le jeune Tristan venu d’Armorique est sacré champion du royaume par Marc, son père adoptif. Mais mortellement blessé durant le combat, Tristan quitte secrètement la cour afin de mourir loin de Marc qu’il affectionne tant. Iseut le découvre à demi-mort sur les rives de l’ìle Verte. Incantations, magie et charmes de la belle ressuscitent le jeune chevalier : Tristan et Iseut ne font plus qu’un...