V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

5. LA RÉFORME

Les anabaptistes de Jan van Leyden prennent le pouvoir dans la riche ville de Münster (« König der letzen Tage », 1993).

5.2. Révoltes paysannes et dérives sectaires


La grande révolte des paysans allemands des années 1524-1526 résulte de griefs anciens dans de nombreux domaines, à la fois politiques, économiques, sociaux et religieux. Les nouvelles thèses du protestantisme apportent cependant des arguments théologiques déterminants : paysans et petite bourgeoisie peuvent désormais mettre en cause les prétentions de la noblesse comme du clergé et revendiquer l’égalité des droits entre tous les hommes, la situation déplorable des couches populaires n’ayant aucun fondement biblique. Près de 30'000 hommes se soulèvent, pillages et massacres se répandent, divers châteaux et monastères en font les frais. Mais en voyant la révolte paysanne se retourner contre ses appuis seigneuriaux qui souhaitaient une réforme modérée, Martin Luther condamne les soulèvements du monde rural avec une rare violence dans un écrit intitulé Contre les meurtiers et les hordes de paysans voleurs (Wider die Mordischen und Reubischen Rotten der Bawren) (1525), incitant ses « chers seigneurs » à frapper « aussi longtemps que la révolte aura un souffle de vie » … « poignardez, pourfendez, égorgez à qui mieux mieux ».
THOMAS MÜNTZER (ou Münzer, 1489-1525), ancien partisan de Luther dit « le théologien de la révolution », attaque le sacerdoce par des sermons violents et prend la tête du soulèvement paysan (« Deutscher Bauernkrieg ») qui débute en Souabe, puis se répand en Bavière et gagne le Palatinat, l’Alsace, Hesse, la Franconie, Thuringe, la Saxe et le Tyrol. La révolte est noyée dans le sang par l’armée du landgrave de Hesse à la bataille de Frankenhausen. Thomas Müntzer finit torturé et décapité.
Fanatique religieux, le « roi anabaptiste » JAN VAN LEYDEN (Jean de Leyde, 1509-1536) s’érige en tyran dans la puissante ville de Münster en 1534, abolissant la propriété privée et l’usage de l’argent, imposant le travail forcé dans l’enthousiasme et la polygamie. Il périt sous la torture lorsque la ville est reprise par son évêque Franz von Waldeck.
1954(tv) Die Entscheidung des Tilman Riemenschneider [La décision de T.R.] (DE-RDA) de Bodo Schweykowski
Fernsehzentrum Berlin-Adlershof (FZBerlin 12.9.54). – av. Hermann Dieckhoff (le sculpteur Tilman Riemenschneider), Johanna Bucher, Otto W. Buck, Peter Dornseif, Karl Kendzia, Walter Lendrich, Emil Leser, Wolfgang Lippert, Heinz-Werner Pätzold, Egon Wander, Edith Wiesemann, Gerhard Wollner.
Ce tout premier téléfilm de la RDA communiste consacré aux jacqueries allemandes condamnées par Luther présente le cas du sculpteur sur bois Tilman Riemenschneider, grand artiste du gothique tardif (1468-1531) qui participa au soulèvement de la paysannerie sous Thomas Müntzer et fut mutilé lors de la sanglante répression par les troupes impériales. Le produit est conçu comme du théâtre de chambre, entièrement enregistré en studio à Berlin-Adlershof. - Cf. aussi infra, le long métrage de cinéma Tilman Riemenschneider (1958) de Helmut Spiess.
Lâché par son ami Luther, Thomas Müntzer (Wolfgang Stumpf) fait face à un adversaire impérial redoutable (1956).
1956Thomas Müntzer – Ein Film deutscher Geschichte (DE-RDA) de Martin Hellberg
Paul Ramacher/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 134 min./100 min. - av. Wolfgang Stumpf (Thomas Müntzer), Margarete Taudte (Ottilie von Gersen), Wolf Kaiser (Schwabenhannes), Martin Flörchinger (Heinrich Pfeiffer), Wolfgang A. Kaehler (Markus Stübner), Heinz Gies (Hans Buss), Ruth Maria Kubitschek (Bärbel Buss, sa soeur), Albert Garbe (le paysan Barthel), Maly Delschaft (sa femme), Hans-Joachim Büttner (Veit), Jochen Diestelmann (Gerber Martin), Hans W. Hamacher (Apel Wynmeister), Doris Thalmer (sa femme), Hans Wehrli (le pasteur Simon Haferitz), Gustav Trombke (Johannes Zeyss), Hans-Rüdiger Renn (l’empereur Charles Quint), Edgar Bennert (Frédéric III le Sage, duc de Saxe), Friedrich Richter (le duc Johann de Saxe), Fred Diesko (son fils), Guido Goroll (l’électeur Ludwig von der Pfalz), Peter Herden (le comte Philipp von Hessen), Paul Paulsen (le duc Georg von Sachsen), Jan Franz Krüger (le duc Heinrich von Braunschweig), Gerhard Bienert (le comte Ernst von Mansfeld), Ingeborg Werzlau (la comtesse von Mansfeld), Adolf Peter Hoffmann (le chevalier von Rüxleben), Albert Hetterle (le légat papal Alexander).
Au Luther germano-américain de 1953 (cf. supra), l’Allemagne soviétisée répond par son propre héros de la Réforme : En 1523, le jeune pasteur et prédicateur anabaptiste Thomas Müntzer, ami et disciple de Martin Luther, vient à Allstedt en Thuringe avec sa femme Ottilie. Lorsque son mentor tourne le dos à la population rurale dans le besoin, Müntzer devient le « théologien des opprimés » et leur porte-parole, refusant au nom de la liberté et de l’égalité, valeurs qu’il croit inhérentes à l’Évangile, l’appui intéressé des princes pourtant opposés à l’autorité papale. Dans un premier temps, ayant rejeté l’ordre social existant, il doit s’enfuir au sud de l’Allemagne. Puis, en 1525, en s’alliant avec Heinrich Pfeiffer, autre prédicateur, le réformateur radical prend le commandement du soulèvement populaire qui s’étend de Thuringe à Mulhouse, dorénavant la capitale de la révolution. Müntzer se heurte toutefois à l’incompréhension des artisans qui refusent de s’unir à la paysannerie (les « Bundschuh ») pour former une puissante armée nationale. Il se rend alors à Frankenhausen où s’est formée une troupe armée de paysans sans chef et dont il prend le commandement sans se rendre compte des traîtres dans son dos. Le 15 mai 1525, quelque 10'000 paysans s’opposent aux troupes impériales réunies pour protéger le clergé et la noblesse laïque, soit 2000 cavaliers, 6000 lansquenets et des pièces d’artillerie. La défaite des insurgés est écrasante, avec 6000 morts et 300 prisonniers exécutés. Le millénariste est capturé, torturé et décapité. Avant de mourir, il recommande à ses compagnons de s’allier avec leurs frères en Rhénanie et à Mayence, toute l’Allemagne devant se soulever « pour faire payer les salauds ».
Ce film de la jeune RDA fabriqué pour le dixième anniversaire de la DEFA stylise donc Müntzer en martyr postmédiéval du prolétariat rural, précurseur du gouvernement de Walter Ulbricht … en se gardant bien d’entrer en matière quant à la justification religieuse de son initiative. Le prophète autoproclamé avait affirmé que la trop forte quantité de travail nuisait au salut des paysans car étant aliénés par l’obligation de cultiver, ils ne pouvaient pas se consacrer à la Parole, ce pourquoi il prêchait pour un rétablissement de l’Église apostolique par la violence s’il le faut. Dés les années 1950, le parti au pouvoir entame une guerre culturelle contre les Églises chrétiennes afin de former des "personnalités socialistes" dans les générations à venir et de les éloigner de toute forme de religion. Le scénario se garde aussi d’expliquer la réaction de Luther aux motivations de Müntzer (qui n’apparaît jamais dans le film) : en 1524, des communautés réformées considéraient avoir le droit de choisir librement leur pasteur par élection, contre toute forme de nomination autoritaire. Luther ne réagit pas dans un premier temps et incita plutôt à la paix. Mais lorsqu’il réalisa l’ampleur du mouvement et la grande violence (pillages, saccages, incendies) qu’il déchaînait ainsi que l’accusation des princes, protecteurs de la jeune Réforme et donc garants de l’autorité religieuse dans chaque région, qui le désignaient comme responsable de la révolte, il envoya le chevalier Philippe Ier de Hesse réprimer cette tentative de théocratie radicale. Dans le film, la défaite à Frankenhausen est uniquement due à la trahison et au sabotage par les aristocrates, mais en réalité, l’armée paysanne n’était militairement pas du tout à la hauteur de l’adversaire. Le scénario de Thomas Müntzer est signé Friedrich Wolf (auteur de la pièce Thomas Münzer, der Mann mit der Regenbogenfahne en 1953) et son fils Konrad Wolf, futur cinéaste de prestige. Il s’agit du premier biopic allemand à grand spectacle de concoction communiste, un produit de pure propagande filmé pendant 83 jours en Orwocolor aux studios de Babelsberg et en extérieurs à Quedlinburg (Saxe-Anhalt), avec 169 comédiens et 5000 figurants (des policiers habillés en costumes d’époque). Malgré son académisme, le film attire 8,1 millions de spectateurs. Son réalisateur Martin Hellberg, jadis un proche de Stefan Zweig et d’Erich Kästner, membre actif du Parti communiste depuis les années vingt et révélateur de Jean Giraudoux sur les tréteaux allemands, a réalisé à partir de 1951 une quinzaine de films (dont plusieurs adaptations de Schiller, Lessing, Calderón et Shakespeare) ; pour l’anecdote : dans le fameux Mephisto d’István Szabó, il jouait le metteur en scène Max Reinhardt. Quand Thomas Müntzer – film jamais distribué en RFA - ressort en salle en RDA en 1974, il est amputé d’une demi-heure : toutes les allusions aux frères de l’Allemagne de l’Ouest, à l’unité allemande et au drapeau commun noir-rouge-or ont été coupées par la censure du nouveau président imposé par l'URSS, Erich Honecker. - Titre VHS/DVD: Das Leben und Schicksal des Pfarrers Thomas Müntzer.
Le sculpteur Tilman Riemenschneider (Emil Stöhr), coqueluche de Wurtzbourg (1958).
1958Tilman Riemenschneider (DE-RDA) de Helmut Spiess
Alexander Lösche/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 98 min. - av. Emil Stöhr (Tilman Riemenschneider), Gerd Michael Henneberg (l’évêque Konrad II von Thüngen), Annekathrin Bürger (Anna), Kurt Oligmüller (Domherr), Johannes Curth (le bourgmestre Merklein), Hanns Anselm Perten (le commandant), Peter Herden (le chevalier Albrecht), Gert Beinemann (le prédicateur Bertram), Waldemar Jacobi (le père d’Anna), Hartmut Reck (Gotthold), Hans Stetter (Fassbänder), Wilhelm Otto Eckhardt (Kilian), Werner Hammer (le compagnon Walter).
Après avoir été membre du conseil communal, puis bourgmestre de Wurtzbourg, le prolifique et richissime sculpteur sur pierre et sur bois Tilman Riemenschneider (1460-1531) rejoint les rangs des paysans rebelles de Thomas Müntzer, commandés alors par le mercenaire Götz von Berlichingen (cf. chap. 4.5), et qui assiègent la forteresse de l’évêque à Marienberg (juillet 1525). Berlichingen les abandonne, et lors de l’écrasement du soulèvement, Riemenschneider est capturé sur ordre de cet ancien mécène devenu son ennemi, l’évêque Konrad II von Thüngen. Le sculpteur est emprisonné, torturé et sera condamné à avoir les mains brisées (peut-être une légende ?) pour avoir soutenu les insurgés contre les princes. Il n’aura plus de commandes et sera longtemps oublié. - Le film tourné aux studios de Babelsberg souligne la nécessité pour tout artiste de prendre politiquement position : de l’imagerie sage et idéologiquement correcte selon Berlin-Est, sans plus. Cf aussi supra, le téléfilm de 1954.
1967(tv-th) La Guerre des Paysans (FR) de Pierre Badel (tv) et José Valverde (th)
« Théâtre d’aujourd’hui », Lucile de Guyencourt/ORTF (1e Ch. RTF 12.4.67), 180 min. - av. Roger Jacquet (Michael Kohlhaas), Micheline Uzan (Lizbeth), Bernard Klein (Herse), André Daguenet (le bailli), M. Gautier (baron von Tronka), Jean-Jacques Raspaud (Sternbald), José Valverde (Martin Luther), Marc de Georgi (l’avocat), César Gattegno (Nagelschmiet), Daniel Gayaudon (le comte Wrege), Alcide Nitzer (le conseiller), Serge Manœuvrier (le prince).
Une pièce de Jean Gruault inspirée par la nouvelle de Heinrich von Kleist (Michael Kohlhaas), complétée par des textes de Machiavel et de Friedrich Engels (Der deutsche Bauernkrieg/La Guerre des paysans en Allemagne, 1870), pour composer un tableau et une réflexion d’ensemble sur le phénomène historique des Jacqueries en Allemagne à l’époque de la Réforme. Captation du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. Scénariste, dramaturge, assistant-réalisateur (chez Roberto Rossellini) et producteur, Jean Gruault prépara par la suite son texte sur Michael Kohlhaas pour un film prévu par François Truffaut - qui resta dans les tiroirs, sans doute en raison du projet concurrent de Volker Schlöndorff (cf. 1969).
Michael Kohlhaas (David Warner) découvre le cadavre de son épouse, se révolte et finit sur la roue (1969).
1969* Michael Kohlhaas - der Rebell / Man on a Horseback (Michael Kohlhaas le rebelle) (DE/US) de Volker Schlöndorff
Jerry Bick, Rob Houwer, Elliott Kastner, Jerry Gershwin/Oceanic Filmproduktion GmbH (München)-Rob Houwer Film- und Fernsehproduktion GmbH (München)-Columbia Pictures Corp., 100 min. - av. David Warner (Michael Kohlhaas), Anna Karina (Elisabeth/Lisbeth Kohlhaas), Thomas Holtzmann (Martin Luther), Michael Gothard (John), Kurt Meisel (le chancelier), Anita Pallenberg (las vivandière Katrina), Václav Lohnisky, Anton Diffring (le duc Frédéric III, prince élécteur de Saxe), Inigo Jackson (l’hobereau Wenzel von Tronka), Hanna Axmann (son épouse), Gregor von Rezzori (Kunz), Peter Weise (le juge), Relja Basic (le brigand Nagel), Václav Lohnisky (Herse, le valet), Anthony May (Peter), Eric Aberle (le bourgmestre), Nada Kotrosova (l’abbesse), Ivan Palúch (Stern), Zdenek Kryzánek et Karel Krisanek (les juristes), Keith Richards (un soldat).
Synopsis : Au début du XVIe siècle en Saxe. Le prospère marchand de chevaux Michael Kohlhaas se rend au marché de Wittenberg avec un troupeau de superbes spécimens moraves lorsque, contrairement à toutes les pratiques antérieures, un majordome exige un laisser-passer sur le territoire de son Junker (hobereau) Wenzel von Tronka. Kohlhaas doit laisser derrière lui deux chevaux en guise de garantie jusqu’à ce qu’il rapporte les papiers exigés. À Wittenberg, il apprend qu’il n’a pas besoin de permis. Quand le maquignon retourne au château de Tronka, il trouve ses chevaux illégalement confisqués dans un piteux état, ayant été à peine nourris et utilisés jusqu’à épuisement au travail des champs. Indigné, Kohlhaas refuse de reprendre ces animaux méconnaissables comme dédommagement et va au tribunal. En vain, car son spoliateur est lié aux familles régnantes de Saxe et l’appareil d’État couvre l’affaire. Sa femme Elisabeth décide de présenter son cas au prince électeur à Dresde, mais elle est tuée accidentellement par les sabots d’un cheval lors d’une manifestation de paysans grugés. Ulcéré, en désespoir de cause et fanatiquement épris de justice, Kohlhaas lance un ultimatum à son spoliateur qui ne réagit toujours pas. Une fois le délai passé, il attaque son château de nuit avec sept serviteurs et le réduit en cendres. Puis, l’arrogant nobliau étant parvenu à se réfugier en ville, l’obstiné le poursuit, flanqué d’une troupe de plus en plus nombreuse de paysans rebelles, de soldats désœuvrés et de brigands qui se soucient plus de butin que de justice. Lorsque les autorités de Wittenberg refusent d’extrader le Junker, Kohlhaas, devenu un peu malgré lui chef d’une insurrection plus vaste, envahit la ville, la livre au pillage et rallie ainsi la grande jacquerie de 1524/25. Embarrassé par l’ampleur croissante du soulèvement, le duc Frédéric III de Saxe demande à son protégé Martin Luther d’assurer à Kohlhaas l’impunité et une reprise de son procès contre Tronka s’il dissout son armée et se rend. Kohlhaas, par nature un non-violent qui admire le réformateur, accepte l’offre et se rend à Dresde. C’est un guet-apens : le gouverneur lui annonce qu’il sera dédommagé financièrement et que le hobereau coupable a été incarcéré pour deux ans, mais que lui-même est condamné à mort pour sédition - car nul ne peut appliquer la loi en dehors des autorités légitimes, voire chercher la justice en dehors des institutions en place. Il périt en martyr sur la roue, le corps brisé. Avant de mourir, il voit souriant ses deux chevaux galoper librement au loin.
Il s’agit de l’adaptation libre d’un bref roman de Heinrich von Kleist (1811), texte que Thomas Mann qualifiera de « sans doute la plus puissante nouvelle de la langue allemande ». Kleist s’est inspiré d’une affaire juridique authentique dont le personnage incriminé serait un certain Hans Kohlhase, un marchand devenu brigand dans le Brandebourg et qui aurait sévi entre 1532 et 1540, date de son exécution à Berlin. Martin Luther lui aurait vainement adressé une lettre (8.12.1534) et ses agissements ont été rapportés vers 1600 dans une Chronique de Peter Hafftitz intitulée Le cas de Hans Kohlhasen, rebelle de l’Électorat de Saxe. Volker Schlöndorff, le chef de file ultra-doué du nouveau cinéma allemand qui a triomphé sur le marché mondial en 1966 avec Les Désarrois de l’élève Toerless d’après Robert Musil, tourne Kohlhaas – der Rebell, son premier film international, grâce à un financement réuni à Londres avec des capitaux américains. Le tournage se déroule en Eastmancolor de fin avril à fin juillet 1968 en Bavière, en Slovaquie (Bratislava), en Moravie et à Krumlov (République tchèque). En tête d’affiche dans le rôle du marchand de chevaux mué en justicier, le Britannique David Warner, 26 ans, est un membre de la Royal Shakespeare Company qui vient de percer à l’écran avec le délirant Morgan, a Suitable Case for Treatment de Karel Reisz ; sa malheureuse femme est incarnée par la Franco-danoise Anna Karina, alors l’égérie incontournable de son ex-mari Jean-Luc Godard et qui fit trois ans auparavant beaucoup de bruit dans le rôle-titre de La Religieuse de Jacques Rivette, film interdit à sa sortie. Dans un petit rôle, la sulfureuse « groupie » Anita Pallenberg, proche du Living Theatre, d’Andy Warhol et des Rolling Stones (son compagnon Keith Richards, guitariste du groupe, joue un soldat). Bref, un casting qui annonce la couleur. Quant au scénario présentant Kohlhaas en révélateur d’un mouvement qui lui échappe, il est signé Edward Bond, le collaborateur de Michelangelo Antonioni sur le phantasmatique Blow Up. Aux yeux de Kleist, Kohlhaas était « un des hommes à la fois les plus intègres et les plus épouvantables de son temps ». Schlöndorff, lui, ne se contente pas d’une classique reconstitution, il souhaite une réflexion sur l’actualité contestataire qui permette de décrire les étapes d’une révolte individuelle, puis collective contre la société. Son Kohlhaas se transforme en révolutionnaire pathétique, en une sorte de héros du peuple. Cette tentative d’« actualisation » se traduit à travers le prologue du film qui montre des images toutes récentes (en noir et blanc) des manifestations de mai 68 à Paris, et se prolonge par l’inclusion dans le soulèvement d’étudiants du XVIe siècle, de paysans aisés, de femmes et même du propre neveu de Wenzel von Tronka qui dénonce la fourberie de son clan. N’empêche, le traitement de la matière reste un peu cérébral, l’ensemble manque de punch malgré quelques scènes d’une rare violence. Présenté au Festival de Cannes 1969, ce produit très "sixties" ne fait pas l’unanimité – pas plus d’ailleurs en salle en RFA (lancé sous le slogan « un rebelle allemand contre l’arbitraire et le pouvoir »), car son héros n’est pas dans la norme des héros positifs traditionnels – mais le film obtient en revanche le « Prix des droits de l’homme » à Strasbourg. Sur le plan de la littérature, Schlöndorff sera plus inspiré ultérieurement avec ses adaptations de Heinrich Böll, Günter Grass ou Max Frisch. - IT : La spietata legge del ribelle, ES : El rebelde.
Martin Luther (Alfred Schieske) se montre inflexible face aux revendications de Michael Kohlhaas (R. Boysen) (1969).
1969(tv) Michael Kohlhaas (DE) mini-série de Wolf Vollmar
Josef Hadrawa, Eberhard Krause/Horst Film GmbH & Co.KG (Berlin-München)-WWF Köln-Westdeutscher Rundfunk (WDR Köln) (ARD 12.9.69), 140 min. (4 x 50 min.) / 125 min. (7 x 18 min.) – av. Rolf Boysen (Michael Kohlhaas), Irene Marhold (Lisbeth Kohlhaas, sa femme), Alfred Schieske (Martin Luther), Harald Dietl, Johannes Grossmann, Hubert Hilten, Richard Haller, Klaus Schichan, Rolf Moebius, Wilhelm Borchert, Wolfgang Büttner, Irene Marhold, Kaspar Brüninghaus, Lotte Brackebusch, Katinka Hoffmann, Hans Elwenspoek, Alexander Allerson, Otto Bolesch, Jörg Liebenfels, Fritz Grieb, Nora Minor, Wolfgang Hellmund, Fred Haltiner, Nikolaus Brieger, Achim Hammer, Bruno Dallansky, Justus Irwahn, Elert Bode, Bodo Primus, H. D. Jendreyko, Peter Heusch, German Werth, Reent Reins, Hans Ulrich, Richard Bohne, Gerd Heinz, Imo Heite, Lore Calvies, Ulrike Blome, Karlheinz Windhorst, Heinz Klevenow (le chroniqueur).
Une transposition scrupuleusement fidèle de la nouvelle de Heinrich von Kleist, réalisée en couleurs sous forme de télésérie la même année que le film de Volker Schlöndorff, mais dans un esprit très différent (cf. supra). Le téléaste rhénan Wolf Vollmar, adaptateur exigeant de Brecht, de Böll et plus tard de Hans Hellmuth Kirst (le très controversé Fabrik der Offiziere, 1988), choisit de coller au plus près du texte, citant souvent Kleist, sans négliger entièrement l’aspect de reconstitution (extérieurs avec batailles, etc.), mais en privilégiant les considérations et réflexions de l’auteur, quitte à prendre son temps. Le résultat est un peu austère (la bande sonore se contente d’un accompagnement au tambour, à la guitare et à la trompette), mais ne manque pas d’intérêt, ne serait-ce qu’en se démarquant fortement de la production routinière du petit écran. - Épisodes : 1. « Die Junker » – 2. « Die Rappen » – 3. « Die Rache » - 4. « Der Aufruhr » - 5. « Der Kampf um sein Recht » - 6. « Die Staatsgewalt » - 7. « Doppelte Gerechtigkeit ».
1970(tv) Denn ich sah eine neue Erde (DE-RDA) télésérie de Wolf-Dieter Panse et Peter Deutsch
Deutscher Fernsehfunk der DDR, Ost-Berlin (DFF 28.+30.8.70), 51 min.+55 min.+53min.+77 min./236 min. – av. Wolf Kaiser (Thomas Müntzer), Cox Habbema (Ottilie), Wolfgang Dehler (Martin Luther), Friedrich Richter (Frédéric III le Sage, duc de Saxe), Robert Trösch (Albrecht Dürer), Norbert Christian (le duc Johann), Gerry Wolff (le duc Georg), Kurt Kachlicki (Ernst von Mansfeld), Eberhard Esche (Philipp von Hessen), Manfred Müller (Mark Stübner), Helmut Müller-Lankow (Barthel Krumpe), Gerhard Lau (Rumpfer), Jochen Thomas (Rodemann), Georg Leopold (le légat Aleander), Marianne Wünscher (l’abbesse), Hans-Joachim Büttner (Egranus), A. .P. Hoffmann (le bourgmestre Mühlpfordt), Niklas Storch (Horst Hierner), Gerhard Bienert (la paysan Nagel), Werner Tietze (Hans Hut), Christoph Engel (Heinrich Pfeffer), Friederike Aust (Ursula).
Une télésérie en 4 parties fort instructives sur Thomas Müntzer, « théologien, réformateur, révolutionnaire » diffusée deux décennies après le biopic spectaculaire du vétéran Martin Hellberg (cf. supra, 1956). Il s’agit d’une production en noir et blanc plus proche du « Kammerspiel », d’une dramatique télévisée que d’une fresque. On y analyse cette fois les rapports du révolutionnaire protestant avec son ex-mentor Martin Luther qui apparaît amplement à l’écran, quoique sous un éclairage pas toujours flatteur. Le titre du film est dérivé de l’Apocalypse de saint Jean (« Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle… », 21:1), un passage qui détermina la trajectoire de Müntzer. Ce-dernier possède plusieurs traits communs avec Luther, en plus de leurs origines : les deux étaient pasteurs, introduisirent le culte et le prêche réformés en allemand, et épousèrent des ex-religieuses ; mais leur appréciation des autorités laïques fit toute la différence : Luther voyait dans les princes un pouvoir donné par Dieu, attesté par la Bible et intouchable (en fait, il exigeait du peuple une obéissance inconditionnelle aux autorités, comme l’a aussi exigé saint Paul), tandis que Müntzer utilisait la Bible comme guide, refusait une stricte séparation de l’Église et de l’État et soulignait le potentiel révolutionnaire des textes sacrés. Les sermons de ce dernier conduisirent à la destruction des reliques et l’incendie des églises : « un bon coup de feu vaut une demi-prière » disait-il, avec les conséquences sanglantes que l’on sait. En cela, ce téléfilm très instructif corrige quelques erreurs volontaires du film de Hellberg.
Un farceur qui déplait aux politiciens de Berlin-Est : « Till Eulenspiegel » de Rainer Simon (1975).
1975* Till Eulenspiegel [Thyl l’Espiègle] (DE-RDA) de Rainer Simon
Martin Sonnabend/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 104 min. - av. Winfried Glatzeder (Till Eulenspiegel), Cox Habbema (Rosine), Franciszek Pieczka, Eberhard Esche (le chevalier Kunz), Jürgen Gosch (l’empereur Charles Quint), Eberhard Esche (le prince), Marylou Poolman (son épouse), Hans Teuscher (Hochstätter), Walter Bechstein (un domestique chez Sire Kunz), Michael Gwisdek (un lansquenet de Sire Kunz), Horst Lebinski (le peintre), Dieter Montag (le père dominicain), Helmut Strassburger (le pasteur du village), Peter Pauli (le préfet), Werner Dissel (un scolastique), B. K. Tragelehn (un humaniste), Viktor Deiss (le nonce).
Vers 1525, à la veille de la guerre des paysans déclenchée par Thomas Müntzer, Till Eulenspiegel (l’Espiègle), personnage légendaire (cf. infra, chap. 7.3), parcourt l’Allemagne pour tendre un miroir aux puissants et ouvrir les yeux du petit peuple. Il sème le désarroi au château de Sire Kunz, à la cour du prince Heinrich (dont il doit repeindre la salle de bal : seuls comprendront le sens de sa création artistique ceux qui ont la bonne religion…), enfin à la cour impériale. Suite à une dispute aussi spirituelle qu’astucieuse avec des professeurs arrogants et dogmatiques, le rusé provocateur gagne les faveurs de Charles Quint, échappe à la potence mais est expulsé du pays. – Une amusante farce filmée printemps 1974 en Orwocolor aux studios de Babelsberg, sur la place du dome de Meissen et à Quedlinbourg (Saxe-Anhalt). Les insolences de Thyl ont déjà tenté Bertolt Brecht et Günther Weisenborn en 1948, qui voulaient les porter à l’écran avec Hans Albers en agitateur politique ; par la suite, la DEFA communiste a patronné en coproduction avec la France Les Aventures de Till l’Espiègle de et avec Gérard Philippe (1956), adaptation artistiquement embarrassante du roman de Charles De Coster qui se déroule en Flandre sous le joug du duc de Guise et qui a eu le malheur de sortir à Paris au moment de l’insurrection antisoviétique à Budapest (cf. Espagne chap. 8.4). Rainer Simon, lui, resitue son héros dans son Allemagne natale et prévoit dès 1973 avec sa scénariste, la fameuse romancière Christa Wolf, une grande fresque en deux parties, Die List der Schwachen (la ruse des faibles) et Die Kunst des Narren (l’art du bouffon), mais les coûts prohibitifs – et la participation de la romancière qui a eu l’audace de saluer le Printemps de Prague - coulent cette première tentative. Le cinéaste revoit sa copie deux ans plus tard, or son Till n’est toujours pas un « héros positif » mais un rebelle « révisionniste ». À l’arrivée, un joli succès public (le plus grand de l’année en RDA), peu apprécié toutefois en haut lieu où l’on subodore une critique à peine masquée du régime d’Erich Honecker. « On nous prend pour des imbéciles », affirme un haut fonctionnaire (cf. Repression und Freiheit. DEFA-Regisseure zwischen Fremd- und Selbstbestimmung d’Axel Geiss, Potsdam, 1997, p. 126). Les universitaires scolastiques sont joués par deux privat-docents de l’École de cinéma à Babelsberg placés par le Parti, tandis que l’auteur et metteur en scène de théâtre B. K. Tragelehn, détesté par le gouvernement, campe le professeur humaniste. C’est tout dire.
1977(tv-th) Luther Márton és Münzer Tamás [Martin Luther et Thomas Müntzer] (HU) d’Imre Mihályfi
Imre Mihályfi/Magyar Televizió Zrt. (Budapest) (MTV2 6.2.77). – av. Péter Haumann (Martin Luther), Tamás Jordán (Thomas Müntzer), László Mensáros (l’empereur Charles Quint), Nándor Tomanek, Gábor Harsányi, Péter Balázs, Lajos Öze, Ferenc Baracsi, Ilona Bencze, László Bende, Miklós Benedek, István Bozóky, Gábor Csíkos, János Dóczy, József Fonyó, Dezsö Garas, Kornél Gelley, László Helyey. - La pièce controversée de Dieter Forte (1970), cf. infra la captation de 1984.
1977/78Jörg Ratgeb, Maler (DE-RDA) de Bernhard Stephan
Helmut Klein, Rolf Martius/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 103 min. - Alois Svehlik (le peintre Jörg Ratgeb, élève de Dürer), Margit Tenner (Barbara), Martin Trettau (Albrecht Dürer), Helga Göring (Agnes Dürer), Olgierd Lukaszewicz (l’évêque), Günter Naumann (Joss Fritz), Margorzata Braunek (une jeune paysanne), Henry Hübchen (Thomas Niedler), Rolf Hope (un jongleur), Marylou Poolman (sa femme), Monika Hildebrand (Frau Ratgeb), Thomas Neumann (Christoph Enderlin), Hilmar Baumann (le bailli), Günter Rüger (Fiedler).
Après les sculpteurs (Tilman Riemenschneider, cf. supra, films de 1954 et 1958), c’est au tour des peintres de se mouiller pour la cause du peuple : Jerg ou Jörg Ratgeb (v.1480-v.1525), actif dans églises et cloîtres à Francfort, à Heilbronn et surtout à Stuttgart. On sait qu’il prit le commandement des paysans insurgés lors de la grande jacquerie condamnée par Luther, fut trahi, incarcéré à Pforzheim et aurait fini écartelé sur la place publique. Comme sa vie est peu connue, les scénaristes s’en donnent à cœur joie, inventant même des liens avec Albrecht Dürer. En route pour rencontrer ce dernier et trouver un modèle pour ses tableaux, l’artiste apolitique est arrêté par un bailli impitoyable qui le prend pour un braconnier et cherche à le faire pendre. Où qu’il se tourne règne la violence et l’injustice : un jeune valet de ferme qu’il voulait peindre en Christ est forcé de sévir comme bourreau avant d’être exécuté à son tour. Un jongleur est mis à mort pour avoir dit la vérité. Barbara, une paysanne muette dont le mari vient d’être pendu sauve la vie de l’artiste. Le bailli est attaché à une meule de foin à laquelle les villageois mettent le feu. Ratgeb est pris pour un membre des Bundschuh, une organisation secrète de paysans qui combattent l’arbitraire et la cruauté des puissants, et il doit désormais se cacher parmi pèlerins et vagabonds sans pouvoir empêcher un évêque sadique de livrer Barbara au bûcher. Sauvé lui-même de justesse, il décide de rejoindre les Bundschuh et appeler à la révolte générale à travers sa peinture. Nous sommes en 1525. - Une suite d’aventures abracadabrantes en Orwocolor, filmée à Babelsberg avec des excès de violence proches de l’italo-western et présentée en première à la Berlinale de 1978. Un cuisant échec commercial.
L’hystérie religieuse saisit protestants, anabaptistes et catholiques dans « Ursula » d’Egon Günther (1978).
1978* (tv) Ursula (CH/DE-RDA) d’Egon Günther
Edi Hubschmid, Erich Kühne, Emanuel Schilling/SRG Zürich-Cinégroupe-DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg)-Fernsehen der DDR, Berlin-Ost (DDR-FS) (DRS 5.11.78 / DDR1 19.11.78 / SWF 10.6.82), 115 min. - av. Suzanne Stoll (Ursula Schnurrenberger), Jörg Reichlin (Hansli Gyr), Mathias Habich (Ulrich Zwingli), Jutta Hoffman (Schnurrenbergerin), Wolf Kaiser (Enoch Schnurrenberger), Klaus Piontek (Schneck von Agasul), Jürgen Hentsch (un soldat), Eckhard Bilz (Jésus), Gerd Blahuschek (un chasseur), Horst Kotterba (l’archange), Gerhard Möbius (un catholique), Peter Heiland (Mörderfresse), Lothar Förster (la mort), Rainer Genss (le diable), Wolfgang Schulze (Caspar Grossmann), Franz Viehmann (Froschauer), Michael Gempart, Peter W. Loosli, Ulrich Anschütz.
Synopsis : Dans l’Oberland zurichois en 1523. Le mercenaire Hansli Gyr revient d’Italie où il a combattu à la solde du pape. De retour dans sa patrie, il constate des bouleversements religieux, l’intolérance haineuse et les dérèglements sociétaux qui s’ensuivent : le réformateur Zwingli règne à Zurich, et dans les campagnes sévissent les prédicateurs hystériques des anabaptistes qui font fi de toute morale. Il retrouve sa fiancée Ursula qui s’offre à lui sans passer par le mariage ; le père d’Ursula, Schnurrenberger, déclare que tout appartient à tous et la paysannerie locale s’adonne à des orgies sexuelles. Des soldats chassent les débauchés. Déconcerté, Hansli se rend à Zurich où il entend Zwingli tempêter contre les catholiques et assiste au pillage de la cathédrale et à la destruction des statues. Méconnaissable, Ursula voit en son fiancé l’ange Gabriel. Les anabaptistes sont incarcérés sur ordre de Zwingli et condamnés à périr s’ils ne se convertissent pas aux doctrines de Luther, mais Hansli les fait secrètement libérer. En 1529, Hansli, à présent dans l’armée de Zwingli, part en campagne contre les catholiques en Lombardie où il assiège le château de Musso tenu par Gian Giacomo de Médicis, qui prend la fuite. En octobre 1531, Ursula se rend à Zurich et suit les armées réformées à Kappel am Albis où Zwingli est tué pendant la bataille et découvre les horreurs de la guerre. Elle trouve Hansli blessé, le soigne (elle urine sur ses plaies pour les désinfecter) et le ramène dans sa ferme qu’elle parvient à défendre énergiquement contre la soldatesque.
Cette adaptation d’une nouvelle de l’écrivain helvétique Gottfried Keller (1877) est la toute première coproduction entre la télévision suisse (alémanique) et celle de la RDA. L’adaptation (la romancière Helga Schütz) et la réalisation (l’écrivain-cinéaste Günther, spécialiste de sujets littéraires de prestige pour le grand écran) sont est-allemandes, le matériel et les techniciens sont suisses, l’interprétation est partagée. Le tournage s’effectue de février à mai 1978 en Suisse (col du Julier aux Grisons, lac des Quatre-Cantons, Grossmünster à Zurich) et en RDA (Wildpark Potsdam, Wiesenburg, Burg Stolpen, DEFA-Studios à Potsdam-Babelsberg). Coûts partagés : 1'750'000 DM et 1'168'800 CHFR. La diffusion déclenche une tempête médiatique ; en Suisse où le responsable des questions religieuses à la télévision doit démissionner. On reproche au film la description négative de Zwingli (« un petit pape »), une peinture trop positive des libertaires anabaptistes (que Gotthelf condamne), la crudité des scènes sexuelles et les obscénités, tandis que la critique déplore les changements de ton qui rendent parfois le récit confus ainsi que l’intrusion de costumes modernes (Günther critique en filigrane l’intolérance hypocrite de son gouvernement à la botte des soviétiques). Le film subit quelques coupures en Suisse et en RFA ; il est en revanche interdit de rediffusion en RDA pour « irréalisme social » et mis sous séquestre- La presse est muselée. Ce sera le dernier travail cinématographique d’Egon Günther en pays communiste.
1978/79Des Henkers Bruder [Le frère du bourreau] (DE-RDA) de Walter Beck
Siegfried Kabitzke/DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg), 84 min. - Frank Grunwald (Christoph Herlinger), Holger Mahlich (le bourreau Jakob Herlinger), Gunter Friedrich (Joss), Thomas Wolff (Hieronymus), Fred Delmare (Octavio), Walter Lendrich (le père Herlinger), Gisela Leipert (Herlingerin, sa femme), Rita Feldmeier (Maria), Brigitte Krause (Elsa Joss), Jens Leubner (Tobias), Ottofritz Gaillard (le bailli Quint), Günter Rüger (Père Johannes), Frank Ciazynski (le chevalier de Scharfenstein).
Fils d’un pauvre fermier et frère cadet du bourreau local, Christoph Herlinger est agressé sur la route avec son père par la soldatesque du seigneur du château des Scharfenstein. Christophe les repousse et prend en otage le fils du comte, sur quoi le châtelain incendie la ferme familiale où toute la famille périt. Joss et Heronymus prennent Christophe, à présent orphelin, sous leur protection et lui transmettent savoir et maniement des armes. Ayant participé à un début de soulèvement mené par Thomas Müntzer, il est confronté à son frère aîné, le bourreau. Apprenant le sort de leurs parents, Jakob libère secrètement son cadet tandis que le soulèvement des paysans est écrasé par les mercenaires du prince. - Un film pour les Jeunesses communistes, tiré d’un roman de Hanna-Heide Kraze (1956) et tourné en Orwocolor aux studios de Babelsberg.
1981[Ragtime (US) de Milos Forman. – av. James Cagney et Mary Steenburgen. - Adaptation du roman éponyme de Edgar Lawrence Doctorow (1975) librement inspiré de la nouvelle Michael Kohlhaas de Heinrich von Kleist (cf. supra, film de Volker Schlöndorff en 1969) et qui se déroule à New York en 1900.]
1981-1983® (tv+ciné) Martin Luther (L'Hymne à la grâce) (DE-RDA) de Kurt Veth. – av. Frank Lienert (Thomas Müntzer). – Cf. chap. 8.1.
1984(vd-th) Martin Luther & Thomas Müntzer oder Die Einführung der Buchhaltung [Martin Luther et Thomas Müntzer, ou l’introduction de la comptabilité] (DE-RDA) de Hanns Anselm Perten (th) et Michael Krull (vd)
Volkstheater Rostock-[Deutscher Fernsehfunk (DFF/Fernsehen der DDR], 138 min. - Av. Uwe-Detlev Jessen (Martin Luther), Peter Radestock (Thomas Müntzer), Peter Treuner, Manfred Schlosser, Geerd Micheel, Klaus Martin Boestel, Michael Krull, Katrin Stephan, Erhard Schmidt, Christine Reinhardt, Hansdieter Neumann, Eckehart Atzrodt, Joachim Uhlitzsch, Walter Kainz, Wolfram Lindner.
Synopsis : Albrecht de Brandebourg achète au pape la nomination d’archevêque de Mayence. Pour ce faire, il contracte un emprunt auprès des Jakob Fugger, l’homme le plus riche d’Europe (connu pour ses transactions bancaires avec les Habsbourg, Venise et la Curie romaine), qu’il compte rembourser en vendant des indulgences. Lorsque l’électeur Frédéric III de Saxe découvre que Tetzel vend, lui aussi, des indulgences à ses sujets, il décide d’arrêter cette activité concurrente, non pour des raisons religieuses mais pour des raisons fiscales. Il envoie son secrétaire secret Georg Spalatin chez Martin Luther à Wittenberg pour l’encourager à publier ses 95 thèses. À la diète d’Augsbourg, l’Église romaine déclare ces thèses hérétiques et le cardinal Cajetan exige que le prince électeur livre Luther aux autorités ecclésiastiques, mais l’électeur s’y refuse par intérêt financier. À la mort de l’empereur Maximilien, les puissants du Saint-Empire, motivés par les pots-de-vin versés par Fugger, élisent pour nouvel empereur le petit-fils du décédé, Charles Quint. Harcelé de toutes parts et convoqué au Reichstag de Worms pour y présenter ses thèses, Luther envisage de tout révoquer, mais Friedrich l’oblige à tenir bon pour sécuriser ses finances et le garde ensuite sous contrôle au château de Wartbourg. Pendant ce temps, ses partisans Andreas Karlstadt et Thomas Müntzer prônent des changements sociaux de grande envergure ; Luther est autorisé à retourner à Wittenberg pour s’opposer à Karlstadt tandis que Müntzer, très écouté, appelle les paysans à se révolter pour changer la société par la violence. L’armée des princes écrase son soulèvement, Müntzer est décapité. Le bilan du clan des Fugger est plus que positif : en soutenant le protestantisme, son entreprise a réalisé de mirifiques bénéfices.
Considéré comme l’héritier direct de Friedrich Dürrenmatt en matière de sujets dérangeants, Dieter Forte, auteur allemand établi à Bâle, monte sa première pièce au Theater Basel en 1970 (après son interdiction au Schauspielhaus de Düsseldorf). La dénonciation sulfureuse de la collision entre le capitalisme bourgeois - en l’occurrence l’entrepreneur Jacob Fugger dit « le Riche » (Augsbourg 1459-1525) - et la Réforme luthérienne fait beaucoup de bruit, y compris à l’Est. Cela d’autant plus que la pièce de Forte offre aussi une lecture moderne, étant d’une part une reconstruction historique basée sur des faits et des documents et, d’autre part, une parabole difficilement digestible et grotesque de notre temps. Ainsi, la mise en scène du Volkstheater Rostock en 1983 est-elle filmée l’année suivante pour passer à la télévision de l’Allemagne de l’Est, mais la direction renonce à la diffusion, son contenu étant jugé trop polémique. En 2017, le Deutscher Rundfunkarchiv Potsdam-Babelsberg commercialisera la captation sous forme de dvd. Cf. aussi supra la captation télévisée hongroise de 1977.
1985Der Tod des weissen Pferdes [La mort du cheval blanc] (DE) de Christian Ziewer
Clara Burckner/Basis-Filmverleih GmbH Berlin-Westdeutscher Rundfunk WDR Köln, 111 min./92 min. - av. Thomas Anzenhofer (Veit Gall), Angela Schanelec (Anna, sa femme), Udo Samel (le Père Andreas), Peter Franke (Kilian Feuerbacher), Dietmar Schönherr (Caspar von Schenkenstein), Ulrich Wildgruber (Georg, abbé du cloître d’Auhausen), Raimund Dummert (Armenhans), Arnulf Schumacher (le Père Thomas), Ellen Esser (la lavandière Marie). Franz Wittich (le berger).
Pendant les guerres paysannes de 1525 éclate un conflit entre des villageois et le cloître d’Auhausen dont ils dépendent lorsque s’installe un nouvel abbé particulièrement oppressif. Ému par l’accumulation d’injustices, un prêtre local envahit et pille l’église avec l’aide de paysans ignorants et furieux, mais les mercenaires à la solde de l’abbé finissent par écraser la résistance de la population dans un bain de sang. Tourné en Bavière (Franconie, Schlaifhausen, le cloître de Langenzenn) et présenté en compétition au Festival de Berlin 1985. -Titre internat. : The Death of the White Stall.
1988-1990(tv) The Radicals / Way of the Martyrs - Pilgrim Aflame (US) de Raul V. Carrera
Sibro Films, 90 min. - av. Norbert Weisser (l'anabaptiste Michael Sattler), Leigh Lombardi (Margaretha), Daniel Perrett, Mark Lenard, Christopher Neame, Liza Vann. - L’insurrection et le massacre des Anabaptistes sur ordre du duc Ferdinand de Habsbourg en 1524-1527.
Le révolutionnaire Thomas Müntzer de Veit Schubert arrive trop tard sur les (petits) écrans.
1988/89(tv) Ich, Thomas Müntzer, Sichel Gottes [Moi, T.M., la faucille de Dieu] (DE-RDA) de Kurt Veth
DEFA-Studio für Spielfilme (Potsdam-Babelsberg)-Deutscher Fernsehfunk der DDR, Ost-Berlin (DFF 10.12.89), 127 min./119 min. – av. Veit Schubert (Thomas Müntzer), Claudia Michelsen (Ottilie von Gersen, sa femme), Martin Seifert (Martin Luther), Horst Hiemer (Georg Spalatin), Uwe Steinbruch (le comte Ernst von Manfeld), Arno Wyzniewski (le bailli Zeys), Hartmut Puls (le bourgmestre Ruckert), Frank Lienert (Ratsherr Knaute), Heinz Hellmich (Ratsherr Reichert), Wolfgang Greese (le duc Johann), Fritz Marquardt (Schultheiss Herold), Kurt Radeke (Sauerwein), Jürgen Rothert (le pasteur Haferitz), Jens-Uwe Bogadtke (Rautenzweig), Wilfried Pucher (Hans Rodemann), Karja Paryla (l’abbesse), Otto Mellies (Friedrich), Angela Brunner (la cuisinière), Annemone Haase (Frau Krumpe).
Synopsis : En 1523, Müntzer, théologien protestant, se rend à Allstedt dans la région de Mansfed, où il est chargé d’un pastorat. Le Conseil municipal l’a choisi pour ouvrir l’esprit et le cœur des gens, éveiller leur soif de liberté et contrer le pouvoir du comte Ernst von Manfeld. Pour y parvenir, Müntzer introduit une liturgie en allemand qui enchante les foules mais à laquelle Manfeld s’oppose, exigeant l’expulsion du prédicateur. Müntzer fonde l’Allstedter Bund, un mouvement de résistance qui dégénère en révolte et en pillages, une chapelle appartenant au monastère est incendiée. Pour se venger, le comte provoque un bain de sang. Müntzer se radicalise et annonce alors son fameux « sermon princier » : en présence du duc Johann, il prêche la réalisation du royaume de Dieu sur terre et la communauté des biens chez tous les hommes. C’est le début d’une révolte armée qui va faire couler beaucoup de sang et Müntzer doit quitter Allstedt au plus vite. – Le message idéologique enveloppé dans le discours du « théologien de la révolution » reste sans effet quand sort ce téléfilm tourné en Orwocolor à Babelsberg : le 7 octobre 1989, alors que la RDA s’apprêtait à fêter ses 40 ans de dictature en grande pompe, des milliers de citoyens est-allemands ont manifesté à Leipzig contre le régime ! Les bouleversements de l’automne 1989 vont entraîner la chute du Mur, le 9 novembre, et celle du gouvernement communiste de Honecker. Le bloc de l’Est commence à se désintégrer… et ce Thomas Münster cathodique n'est plus qu’une curiosité.
1989(tv-mus) Kohlhaas – Eine Oper in 10 Bildern (AT) d’Alfred Stögmüller (th) et Claus Viller (tv)
Bruno Wirlitsch/Landestheater Linz-Österreichischer Rundfunk ORD (Wien) (ORF 26.11.89), 120 min. - av. Wlodzimierz Zalewski (Michael Kohlhaas), Jolanta Rybarska (Elisabeth, son épouse), Donna Ellen (Maria), Leopold Köppl (Thomas), Anton Steingruber (Herse, le valet), William Ingle (Wenzel von Tronka), Franz Binder (Kunz von Tronka), Birgit Greiner (Antonia von Tronka), Zdenek Kronpa (Martin Luther), William Mason (le prince électeur de Brandebourg) Riccardo Lombardi (le duc Frédéric III le Sage, électeur de Saxe), Maria Russo (Heloise von Kallheim), Alfred Werner (Meier zu Dahme). – Captation de l’opéra en dix tableaux de l’Autrichien Karl Kögler (1989) d’après le roman de Heinrich von Kleist (cf. supra, film de Volker Schlöndorff en 1969).
Les réformés anabaptistes s’emparent de la ville de Münster qui sombre dans la terreur (König der letzten Tage, 1993).
1992/93*** (tv) König der letzten Tage / El rey de Münster / Král posledních dnu – Tanec pro Boha (Le Roi des derniers jours) (DE/AT/CH/ES/CZ) mini-série de Tom Toelle
Rolf M. Degener, Leo Kirch/ZweiteUnitel Film- und Fernsehproduktionsgesellschaft mbH & Co. (Unterföhring)-West Film (Berlin)-RCS (Prag)-ZDF (Mainz)-ORF (Wien)-SRG (Zürich)-Antena 3 TV (Madrid)-MiroFilm (ZDF 17.+21.11.93), 103 min.+94 min./197 min. (2 parties). - av. Christoph Waltz (Jan van Leyden/Jean de Leyde [alias Jan Bockelson], dit « le roi de Münster »), Mario Adorf (le prince-évêque Franz von Waldeck), Otto Kukla (Sebastian Kien), Deborah Kaufmann (Engele Kerkerinck), Olgierd Lukaszewicz (Jan Matthijs), Charo López (Divara, sa maîtresse), Omero Antonutti (le bourgmestre Bernd Knipperdolling), Sabina Remundová (Clarissa Knipperdolling, sa fille), Michael Habeck (Tusendschnur), Nicolas Lansky (Bernhard Rottmann), Ulrich Wildgruber (le comte Kerssenbrock), Vlastimil Bedma (Knechting), Kamil Halbich (Fabrizius), Vladimir Gostjukin (Trudelink), Václav Knop (Korteboldt), Veronika Bellová (la petite reine), Jan Preucil, Eva Holubová, Karel Hlusicka, Vladimir Bedrna, Josef Kemr, Otomar Dvorak, Borivoj Navrátil, Jana Janeková, Jitka Astérova, Simona Vrbická, Jan Vlasák, Jindrich Kratochvíl.
Guidée par l’illuminé néerlandais Jan Matthijs (v.1500-1534) et son apôtre Jan van Leyden (1509-1536), une branche insurrectionnelle de la Réforme appelée les anabaptistes « conquérants » ou millénaristes se répand dans toute la Westphalie. Luther a arraché la Bible aux clercs pour la donner au peuple, et certains esprits radicaux veulent désormais atteindre le salut par leurs propres moyens car, dit-on, la fin du monde est imminente… Synopsis : En février 1534, Sebastian Kien, un vagabond saltimbanque rusé et débrouillard, sauve de la pendaison Engele Kerkerinck, une jeune anabaptiste dont la famille a été exécutée par la milice catholique, et le couple parvient à se réfugier derrière les remparts de Münster où les coreligionnaires d’Engele sont accueillis avec bienveillance. À sa grande surprise Sebastian y retrouve son ex-compère Jan Bockelson, un ancien proxénète et propriétaire de bordel, à présent réformé dans la religion sous le nom de Jan van Leyden. Les prêches évangéliques de ce dernier galvanisent la foule et ses coffres se remplissent car, proclame-t-il, un chrétien ne doit posséder ni argent ni bijoux. Son activisme attire les voyageurs, le commerce local fleurit et le bourgmestre Knipperdolling le protège, même si sa fille Clarissa, fervente catholique, en a horreur. Quoique tolérant face à la Réforme luthérienne, le prince-évêque rhénan Franz von Waldeck, dont l’opulente cité de Münster est le fief, se retrouve privé de ses ressources annuelles et ne tarde pas à mettre le siège devant la cité révoltée avec une armée de mercenaires catholiques et protestants. Les anabaptistes de la région ornent les gibets. Van Leyden a annoncé l’arrivée du prophète Jan Matthijs, mais le charisme de ce dernier ne convainc pas. Son intrigante maîtresse Divara, véritable Lady Macbeth, séduit van Leyden et, de connivence avec le prince-évêque, elle piège le prophète berné par de fausses promesses en dehors des murailles. On retrouve la tête de Matthijs clouée à la porte de la ville. Divara fait alors couronner son nouvel amant « roi de Münster », le bourgmestre est nommé d’office défenseur des lieux. L’apparition nocturne d’un ange sur les toits de la cité (Jan déguisé) annonce un nouvel âge. Couvert de bijoux, van Leyden se proclame successeur de David, seigneur de la « Nouvelle Jérusalem » et, à l’instar des rois bibliques, il s’unit à plusieurs femmes (dont Engele), fondant un règne eschatologique du Christ. Sur la place publique, on organise l’autodafé bruyant de tous les ouvrages catholiques et luthériens. Sebastian, qui a souhaité quitter la ville, est jeté en prison, tandis que, ayant refusé de se convertir, Clarissa, la fille adolescente du bourgmestre, est brûlée vive. C’en est trop : affaiblie et affamée par le long siège, la population se détourne du sinistre spectacle. « Le royaume du Ciel appartient aux morts ! » proclame van Leyden tandis que, le 24 juin 1535, les troupes du Saint-Empire envahissent les rues jonchées de cadavres : seuls 7000 habitants ont survécu à la famine. La « reine » Divara se suicide pour ne pas devenir la concubine de l’évêque. Retrouvé par Sebastian au sommet de la cathédrale, van Leyden est condamné à périr torturé sur la place publique. Il abrège ses souffrances d’un coup d’épée et quitte la ville avec Engele, qui est enceinte.
Précisons que les anabaptistes ou « rebaptiseurs » (« Wiedertäufer ») étaient ainsi appelés parce qu’ils refusaient le baptême des enfants pour pratiquer celui des adultes consentants et rejetaient l’adhésion obligatoire à l’institution ecclésiale dominante. Le film frappe d’emblée par la somptuosité des images, qui ne rappelle alors en rien le style compassé et le manque d’imagination visuelle du petit écran habituel. On a eu, au contraire, le souci de transposer les toiles d’Albrecht Dürer, de Hieronymus Bosch et d’Albrecht Altdorfer (la photo remporte le Deutscher Kamerapreis 1994), les décors sont remarquables et la musique du Polonais Wojciech Kilar (compositeur des grands films d’Andrzej Wajda et Roman Polanski, Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, Dracula de Francis Ford Coppola, etc.) hantent la fresque du début à la fin. A l’arrivée, on peut saluer une belle réussite de la télévision européenne illustrant avec des moyens importants (16 millions de marks, 1500 figurants) les jeux de pouvoir d’une engeance d’histrions auto-couronnés et la folie religieuse qui se développe au cœur de la décadence apocalyptique marquant la toute fin du Moyen Âge, conséquences des espoirs tous azimuts réveillés par Luther. Le scénariste Manfred Purzer (Lili Marleen de Rainer Werner Fassbinder) s’est inspiré à cet effet du livre des journalistes français Pierre Barret et Jean-Noël Gurgand. Le Roi des derniers jours, l’exemplaire et très cruelle histoire des rebaptisés de Münster (1985). Mais le réalisateur berlinois Tom Toelle, téléaste particulièrement lettré (Fallada, Plenzdorf, Kleist) et professeur ordinaire à l’Académie du Film de Baden-Württemberg, précise bien qu’il ne vise pas en premier lieu l’exactitude historique sinon à illustrer la maniabilité des masses une fois soigneusement formatisées et politisées (le titre alternatif tchèque est « Danse pour Dieu ») : les discours haineux lors de l’autodafé des livres rappellent ceux, hystériques, de Goebbels quelques décennies plus tôt. Ce sont là, affirme Toelle, les signes dangereux d’un temps sans avenir ou d’une crainte collective de l’avenir. Il confie avec beaucoup de flair le rôle principal au Viennois Christoph Waltz, encore inconnu mais qui deviendra la crapule magnifique de Quentin Tarantino dans Inglorious Basterds en 2009 et Django Unchained en 2012, films qui lui vaudront deux Oscars. Quant à Mario Adorf, non moins crapuleux en prince-évêque corrompu, Toelle l’a déjà dirigé avec succès en 1985 dans Via Mala d’après John Knittel. Enfin, Omero Antenutti est souvent sollicité par Olmi, les frères Taviani, Angelopoulos ou Carlos Saura (il campe Aguirre dans El Dorado) et la « femme fatale » Charo López par Pedro Almodóvar. Le tournage a lieu d’août à octobre 1992 en Allemagne, en République tchèque (aux studios Barrandov à Prague, château de Bouzov, Pilsen/Plzen, Tábor) et en Hongrie (Eger). Le sujet fascine, embarrasse et déplait à la fois et les chaînes de télévision lui font une promotion minimaliste (programmation en fin de soirée, etc.). La version française proposée par Christine Gouze-Renal passe sur FR3. - GB : A King for Burning.
1998(tv-mus) Le Prophète (AT) de Hans Neuenfels
Ioan Holender/Staatsoper Wien-Kultur (ORF 21.5.98), 173 min. – av. Plácido Domingo (Jan van Leyden), Agnes Baltsa (Fidès, sa mère), Viktoria Loukianez (Berthe, sa fiancée), Davide Damiani (le comte d’Oberthal), Franz Hawlata (Zacharie), David Cale Johnson (Mathisen), Torsten Kerl (l’anabaptiste Jonas), Mario Steller (l’anabaptiste Mathisen [=Jan Matthijs]), Alexander Pinderak (un officier), Hacik Bayvertian (un citoyen).
Captation télévisuelle du grand opéra en cinq actes de Giacomo Meyerbeer (1849), sur un livret d’Émile Deschamps et d’Eugène Scribe, eux-mêmes inspirés par l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations de Voltaire (1756). L’opéra traite, en prenant d’énormes libertés avec la vérité historique, de la dérive délirante des anabaptistes sous Jan van Leyden à Münster en 1534/35 (cf. supra, König der letzten Tage, 1993) et récolte un véritable triomphe sur scène dans toute l’Europe. - Synopsis : Berthe, une jeune paysanne, demande au tyrannique seigneur des lieux, le comte d’Oberthal, l’autorisation d’épouser celui qui jadis la sauva de la noyade : Jan van Leyden. Mais le comte veut garder Berthe pour lui-même, la fait arrêter ainsi que sa future belle-mère Fidès ; grondant de colère, la population devant le château écoute les anabaptistes qui prônent la révolte contre les puissants et croient reconnaître en Jan le roi David d’un tableau de la cathédrale de Münster. Considérant Jan comme un prophète, ils le convainquent de s’emparer de la ville dont le gouverneur est le père du comte d’Oberthal. Berthe parvient à s’évader et décide d’assassiner le roi-prophète auto-proclamé qui se fait couronner à Münster et qui serait responsable de la mort de Jan. Fidès aime toujours son fils mais exècre ce qu’il est devenu. Jan accepte alors de renoncer à son trône et de s’enfuir avec Berthe et sa mère, enfin réunis. Mais il a été trahi, la ville est en main des troupes impériales d’Oberthal qui s’apprêtent à s’emparer du palais. Berthe se poignarde en découvrant que son fiancé est le chef des anabaptistes. Ce dernier décide de mourir aussi et entraîne dans la mort tous ses ennemis en faisant sauter la poudrière située sous la salle du trône. – cf. aussi captation de 2017.
1999[(tv) The Jack Bull (La Traque sauvage) (US) de John Badham. – av. John Cusack, L. Q. Jones. – Adaptation sous forme de western de la nouvelle Michael Kohlhaas de Heinrich von Kleist (cf. supra, film de Volker Schlöndorff en 1969).]
Le prieur et l’évêque : la foi contre la haine dans « Der Henker » (2005) de Simon Aeby.
2005Der Henker / Shadow of the Sword / A Headsman’s Tale / The Headsman / The Henchman (1520, par le sang du glaive) (AT/GB/DE/LX/CH/HU) de Simon Aeby
Helmut Grasser, Mike Downey, Marcel Hoehn/Allegro Filmproduktions GmbH (Wien)-Samsa Film (Betrange)-Film & Music Entertainment Ltd. (London)-T&C Film AG (Zurich)-Home Run Pictures (Stuttgart)-Eurofilm Stúdió (Budapest)-Österreichisches Filminstitut (Wien)-ORF-SRG SSR idée suisse, 115 min./108 min. – av. Nikolaj Coster-Waldau (Martin), Anastasia Griffith (Anna), Peter McDonald (Georg), Eddie Marsan (Fabio), Steven Berkoff (le Grand Inquisiteur), Julie Cox (la prostituée Margaretha), Patrick Godfrey (Bertram), John Shrapnel (l’archevêque), Lee Ingleby (Bernhard), Joe Mason (Jakob), Michael Mendl (Veit).
En 1520 dans le Tyrol ébranlé par les nouveaux conflits religieux, sous le futur empereur Ferdinand Ier de Habsbourg (frère cadet de Charles Quint). Deux orphelins grandis ensemble dans un monastère ont été séparés sur ordre de l’archevêque. Georg est devenu prieuré zélé et Martin s’est fait mercenaire. Entre deux batailles, Martin revient voir son ami au monastère, puis, ignorant la mise en garde de ce dernier, il s’éprend d’Anna, la fille du bourreau local. Quand celui-ci meurt, il prend sa succession pour rester avec sa femme et se voit obligé d’exécuter tous les hérétiques que l’Église romaine condamne. Sa fonction fait de Martin un paria qui doit vivre en dehors des murs de la cité. Depuis son monastère, Georg peine à contrôler les progrès de la Réforme luthérienne et de sa déviance anabaptiste qui a pris parti pour la révolte des paysans, puis, chassée de Zurich par Zwingli, s’est répandue surtout dans les régions alpestres. Il se découvre menacé par une cabale du monastère impliquant le vol d’une sainte relique tandis qu’Anna, qui a des notions de médecine, est accusée de sorcellerie et condamnée au bûcher. Tandis que Georg renonce à sa vie dans les ordres, Martin (dont l’évêque est le père naturel) rejoint les rebelles en tentant de les protéger des flammes de l’Inquisition récemment importée d’Espagne. Décidé de sauver Anna sur le bûcher, il égorge l’inquisiteur en chef avant de périr par la soldatesque sur la place publique. Anna et son fils parviennent à s’enfuir dans les montagnes.
Récit du temps de la Réforme passablement violent (avec son lot de tortures, d’hystérie, de clercs patibulaires et de décapitations gores à la carte, le tout sur fond sonore de cantiques), Der Henker est une coproduction multinationale de 6,5 millions d’euros, conçue en langue anglaise par un Suisse alémanique, tournée en Autriche (Burg Kreuzenstein, Steiermark, Kleinsölk dans le massif des Schladming Tauern) et en Hongrie (Mafilm-Studios à Budapest). Si la reconstitution historique semble correcte, le drame reste hélas superficiel et clinquant (fondus enchaînés avec musique sirupeuse) et la psychologie tristement binaire. - IT : La leggenda del carnefice, ES : La sombra de la espada.
2010(tv-df) Thomas Müntzer - Der Satan von Allstedt (DE) de Dirk Otto
Série « Geschichte Mitteldeutschlands » (saison 12, épisode 4), Saxonia Entertainment GmbH-Ottonia Media GmbH-Mitteldeutscher Rundfunk (MDR 31.10.10), 45 min. – av. Martin Brauer (Thomas Müntzer), Thomas Kahler (Martin Luther), Annett Krause (Ottilie von Gersen), Jacob Keller (Nikolaus Storch), Ingolf Müller-Beck (le comte de Mansfeld). - Docu-fiction tourné en Saxe-Anhalt (Allstedt et son château) et en Thuringe (château de Lohra). Thomas Müntzer, un jeune pasteur marqué par Luther, cherche la source de la misère sociale et des inégalités, devient un « homme en colère » et finit par se prendre pour un prophète. Sa critique progressiste se transforme en dogmatisme fanatique.
2010(tv-df) Thomas Müntzer und der Krieg der Bauern (DE) de Christian Twente (fict.) et Robert Wiezorek
Série « Die Deutschen » (saison 2, épis. 5), Peter Arens, Guido Knopp/Gruppe 5 Filmproduktion Köln-Castel Film Romania-ZDF (ZDF 28.11.10), 45 min. – av. Stéphane Lalloz (Thomas Müntzer), Hans Mittermüller (narration). - Docu-fiction sur la guerre paysanne menée par Thomas Müntzer contre les possédants et Luther lui-même, tourné à Bucarest avec de nombreuses reconstitutions (batailles).
2012[Kohlhaas oder die Verhältnismässigkeit der Mittel (DE) d’Aron Lehmann ; Kaminski.Stiehm-Film GmbH, 90 min. - av. Jan Messutat (Michael Kohlhaas), Thorsten Merten (Herse, son valet), Rosalie Thomass (Lisbeth), Michael Fuith (Heinrich), Robert Gwisdeck (Lehmann). – Un film sur la fabrication inachevée d’un film sur Michael Kohlhaas (cf. supra, film de Volker Schlöndorff en 1969), tourné à Nördlingen (Bavière).]
2013* Michael Kohlhaas (FR/DE) d’Arnaud des Pallières
Les Films d’ici (Paris)-Looks Filmproduktionen GmbH (Berlin)-Arte France Cinéma-Arte Deutschland TV GmbH-ZDF/Arte-Rhône Alpes Cinéma-Hérodiade-K’ien Productions, 122 min./117 min. – av. Mads Mikkelsen (Michael Kohlhaas), Delphine Chuillot (Judith Kohlhaas, son épouse), Mélusine Mayance (Lisbeth Kohlhaas, leur fille), David Kross (le prédicateur luthérien), Bruno Ganz (le gouverneur), Denis Lavant (le théologien), Roxane Duran (Marguerite de Navarre), David Bennent (César, le palefrenier), Swann Arlaud (le baron). - Réalisateur confidentiel et exigeant, Arnaud des Pallières rêve depuis vingt-cinq ans de s’attaquer à la trajectoire de cet homme « pour lequel la victoire morale l’emporte sur la défaite physique, mais qui gagne autant qu’il perd ». Il décide de transposer la nouvelle de Heinrich von Kleist, pourtant fortement imprégnée par la culture protestante et les conflits sociaux de la Renaissance germaniques (cf. supra, film de Volker Schlöndorff en 1969), carrément en France, dans les Cévennes, filmé en Isère et sur le plateau de Vercors. Luther y est remplacé par un prédicateur anonyme, l’Électeur de Saxe s’efface en faveur de Marguerite de Valois et Kohlhaas, réformé d’origine allemande (Mads Mikkelsen, fascinant), conserve sa droiture tout au long du film, alors qu’il perd en modestie au fil du récit kleistien. L’unique petite fille dont l’affuble le scénario (Kleist lui attribue cinq enfants), délaissée par son père et qui fait un coup de force en le rejoignant à l’heure de l’exécution, jette sur lui un regard critique, sans réponse : sa révolte autodestructrice et mortifère en valait-elle la peine ? - Texte complet cf. partie I « ROYAUME DE FRANCE », chap. 9 : « Renaissance française ». - US : Age of Uprising : The Legend of Michael Kohlhaas.
2016/17(tv) Die Ketzerbraut (L’Hérétique) (DE/AT/CZ) de Hansjörg Thurn
Andreas Bareiss, Sven Burgemeister/TV60 Filmproduktion GmbH-Wilma Film s.r.o.-Aichholuer Filmproduktion-Red Arrow Studios International-ORF-Sat1 (Sat.1 14.2.17), 122 min. – av. Ruby O. Fee (Genoveva “Veva” Leibert), Christoph Letkowski (Ernst Rickinger), Manuel Mairhofer (Bartel Leibert), Johannes Zeiler (Bartholomäus Leibert), Adrias Topol (Martin Luther), Miguel Herz-Kestranek (Thomas de Vio, cardinal Cajétan), Christoph M. Ohrt (le banquier Jakob Fugger), Paulus Manker (le prêtre Johann von Perlach), Elena Uhlig (Walpurga von Gigging), Martin Leutgeb (Roderich), Stefano Bernardin (le tzigane Sandor), Johannes Seilern (Magistrat Vogt), Mirijam Verena Jeremic (Marianne Stiegler), Ilknur Boyraz (la Saracène).
Synopsis : Munich en 1518. Veva Leibert, fille fortunée du marchand de verre Bartholomäus Leibert, est séduite par les idées libertaires de son ami, le peintre Rickinger, qui tempête contre le trafic des indulgences et s’attire l’ire des inquisiteurs de l’Église catholique, parmi lesquels le puissant prêtre ultraconservateur Johann von Perlach. Admirateur de Leonard de Vinci, Bartholomäus s’oppose à Perlach, mais celui-ci le fait assassiner avec son fils Barthel, incendie sa maison et remet toute sa fortune à l’Église. Vera est enlevée et violée par des soudards portant des masques d’hérétiques. Pour venger sa famille tuée, croit-elle, par des protestants, elle épouse son ami Ernst Rickinger, ignorant que celui-ci est un ami de Martin Luther, qu’il soutient financièrement. Vera finit par découvrir qu’elle a été manipulée et, s’alliant à des tziganes, elle attise la colère des Munichois qui se retournent contre les inquisiteurs à la solde de Rome et les tuent. – Encore un téléfilm aussi médiocre que manichéen inspiré par un roman pseudo-historique de l’infatigable Iny Lorentz (cf. Die Wanderhure, supra chap. 4.1), paru en 2010. Le tournage en septembre-octobre 2016 a lieu en Tchéquie (Prague), Autriche (château de Moosham, Tyrol) et en Allemagne (Chiemgau, Bavière). – US : The Heretic Bride.
2017(tv-mus) Le Prophète (FR) de Stefano Vizioli (th) et Jean-Pierre Loisil (tv)
Nicolas Auboyneau/Théâtre du Capitole de Toulouse-CLS Productions-CNC-France Télévisions (France 2), 198 min. – av. John Osborn (Jan van Leyden), Kate Aldrich (Fidès, sa mère), Sofia Fomina (Berthe, sa fiancée), Mikeldi Atxalandabaso (l’anabaptiste Jonas), Thomas Dear (l’anabaptiste Mathisen [=Jan Matthijs]), Dimitry Ivashchenko (l’anabaptiste Zacharie), Leonardo Estévez (le comte d’Oberthal), Dongjin Ahn, Mireille Bertrand, Marion Carroué, Alexandre Durand, Carlos Rodriguez, Charles Ferré, Pascal Gardeil, Laurent Labarbe, Alfredo Poesina, Jean-Luc Antoine, Christian Lovato, Emmanuel Parraga, Bruno Vincent, Carlos Perez-Mansilla. - Captation télévisuelle du grand opéra en cinq actes de Giacomo Meyerbeer (1849) : la dérive délirante des anabaptistes sous Jan van Leyden à Münster en 1534/35. Cf. supra 1998.
2017(tv-df) Elisabeth von Rochlitz – Agentin der Reformation (DE) de Gabriele Rose
Série « Geschichte Mitteldeutschlands » (saison 19, épis. 4), Katrin Thomas, Simone Baumann/Ottonia Media GmbH-Mitteldeutscher Rundfunk (MDR 27.8.17), 45 min. – av. Anja Schneider (Elisabeth von Rochlitz, duchesse de Saxe), Loris Kubeng (Moritz de Saxe, son neveu). - En février 1546, lorsque décède Martin Luther, la situation des protestants dans le Reich est critique, Charles Quint prépare la guerre pour restaurer le catholicisme dans l’empire. Des seigneurs protestants ont formé en 1531 le Schmalkaldischer Bund, une alliance militaire qu’Elisabeth de Hesse (1502-1557), princesse héritière de Saxe, rejoint en devenant – comme seule femme - une agente secrète de la Réforme, quitte à tromper son propre neveu, Maurice de Saxe, fervent catholique. Depuis son château de Rochlitz, elle aurait écrit près de dix mille lettres en écriture codée (dont 2000 sont conservées) d’abord pour tenter d’éviter la guerre, puis pour renseigner les protestants sur les mouvements de troupes de l’ennemi.