V - LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

4. MOYEN ÂGE TARDIF ET RENAISSANCE (XIVe-XVIe s.)

Le roman « La Guerre des bœufs » de Ludwig Ganghofer filmé avec faste par Franz Osten en 1920.

4.4. Les romans médiévaux de Ludwig Ganghofer

Le romancier bavarois Ludwig Ganghofer (1855-1920), champion national du kitsch rural et du « Heimatfilm » sentimental à forte coloration catholique (avec paysannerie de salon, idylles montagnardes et happy end obligatoire) situe 4 de ses 29 romans au Moyen Âge, dans le grand-duché de Bavière (Berchtesgaden). Ce sont : Der Ochsenkrieg. Roman aus dem 15. Jahrhundert (1914), Die Trutze von Trutzberg. Eine Geschichte aus Anno Domini 1445 (1915), Der Klosterjäger. Roman aus dem 14. Jahrhundert (1892) et Die Martinsklause. Roman aus dem Anfang des 12. Jahrhunderts (1894). L’impressionnante production éditoriale de Ganghofer a suscité au total 43 films jusqu’en 2011, tous d’origine allemande ou autrichienne. À l’écran, leur mélange habile de paysages alpestres enchanteurs, reflets d’un monde encore préservé, de noblesse humaine, de menaces et trahisons, de grands sentiments et de drame garantissent de substantiels bénéfices.
1920Der Ochsenkrieg (La Guerre des bœufs) (DE) de Franz Osten
Thomas Schmölz, Peter Ostermayr/Münchner Lichtspielkunst AG, Emelka-Konzern München-Geiselgasteig (MLK), 1883 m./5 actes, 92 min. - av. Anton Ernst Rückert (Lampert, fils du bailli Someier), Fritz Greiner (Runotter), Thea Steinbrecher (Jula, sa fille), Viktor Gehring (le chanoine Aschacher), Curt Gerdes (le mercenaire Malimmes), Lia Eibenschütz, Fritz Kampers, Carl Dalmonico, Hans Schwarze, Toni Wittels.
Synopsis : Dans la région de Berchtesgaden, sous l'empereur germanique Sigismond de Luxembourg, entre 1421 et 1422. Le fermier et « juge libre » Runotter vit dans le village de Ramsau, lieu dépendant du monastère de Berchtesgaden que dirige le bailli Someier, un homme obstiné et tyrannique. La femme de Runotter est violée par le chanoine Aschacher qui s’en tire impunément ; elle décède peu après avoir donné naissance à un enfant infirme, le sourd-muet Jakerl qui grandit dans une cabane alpine sous la garde de Jula, la fille de Runotter. Malgré les tensions familiales, celle-ci et Lampert, le fils du bailli, tombent amoureux. Un différend aux conséquences dramatiques est déclenché par la question du droit de pâturage de dix-sept vaches de Runotter qui paissent sur les Hängmoos, alors que le bailli estime que seuls les bœufs et les veaux ont droit à cet alpage. Lorsque la demeure de Runotter est incendiée par la soldatesque du bailli, que Jakerl est tué et Jula maltraitée, les agriculteurs se révoltent. Le conflit s’étend et devient une véritable guerre où les générations s’affrontent. Runotter se bat avec sa fille Jula (déguisée en homme) et le mercenaire Malimmes contre le monastère où vit l’amoureux de Jula, Lampert. Indigné par l’injustice dont est victime la paysannerie, Lampert rejoint la rébellion. Lors de la bataille décisive, Runotter se venge du perfide chanoine monastique Aschacher qu’il tue, sauve sans être reconnu la vie du prévôt Pienzenauer, un pacifiste, puis meurt de ses blessures. Revenu à de meilleurs sentiments, le bailli et le prévôt imposent la paix, Jula et Lampert sont enfin libres de se marier.
Une curiosité cinéphilique : première des trois adaptations du roman (cf. 1943 et 1987) qui, rareté chez Ganghofer, s’inspire de faits authentiques, à savoir la « guerre des bœufs » de 1421/22 entre le comté de Haag et le duché de Bayern-Landshut. À la mise en scène, un original : le pionnier bavarois Franz Osten, un des co-fondateurs de Bollywood à Delhi et à Bombay, surtout connu pour ses 19 fresques historiques tournées en Inde de 1925 à 1939, dont Les dés tragiques/Prapansh Pash, épisode du Mahabarata, Shiraz sur la construction du Taj Mahal et Die Leuchte Asiens sur la vie du Bouddha. En 1918, Osten a acquis les droits cinématographiques exclusifs des romans de Ganghofer pour les studios munichois de l’Emelka à Geiselgasteig que dirige son frère Peter Ostermayr, une mine d’or. Le film est tourné dans la région du Königssee, dans le Pays-de-Berchtesgaden (Sud-Est de la Bavière). À la caméra (ici comme dans les deux films suivants), Franz Planer, futur chef-opérateur de George Cukor, Robert Siodmak, Anatole Litvak, William Wyler, Fred Zinnemann, Nicholas Ray et Blake Edwards à Hollywood ! La fresque colorée au pochoir est un grand succès populaire. - Version courte : Der Schiedsmann von Berchtesgaden, US : The Great Cattle War.
« Der Klosterjäger » (le chasseur du monastère) inaugure une longue série d’adaptations de Ganghofer (1920).
1920Der Klosterjäger (DE) de Peter Ostermayr
Peter Ostemayr/Emelka-Konzern (München-Geiselgasteig), 1470 m./4 actes, 62 min. - av. Viktor Gehring (Haymo, le chasseur du cloître), Fritz Greiner (Wolfrat Polzer, le saunier), Thea Steinbrecher (Gittli, sa fille), Toni Wittels (Sepha, sa femme), Carl Dalmonico (Heinrich von Inzing), Franz W. Schröder-Schrom (Pater Desertus / le comte Dietwald). – Au XIVe siècle, le chasseur Haymo est chargé par Heinrich von Inzing, le prévôt du monastère des Augustins à Berchtesgaden, de protéger la faune sauvage sur le territoire des religieux et se heurte aux braconniers de la région. Les bouquetins sont particulièrement menacés, car une superstition dit que leurs entrailles ont un effet curatif sur les malades. Haymo risque sa vie en affrontant le saunier Polzer, puis gagne le cœur de sa fille adoptive Gittli, en réalité la fille d’un comte. – Le producteur Peter Ostermayr, frère ainé du cinéaste Franz Osten (cf. supra) et un proche de Ganghofer, tourne ce film en été 1920 en Bavière ainsi que dans ses propres studios nouvellement crées à Geiselgasteig (Munich), les plus importants de l’Allemagne du Sud. Il sera aussi responsable de tous les scénarios tirés des romans de Ganghofer et passe aujourd’hui pour l’inventeur des si populaires « Heimatfilme », genre qui fera sa fortune. - GB : The Monastery’s Hunter.
1921/22Die Trutze von Trutzberg (DE) de Peter Ostermayr (et Ernst Blum-Hey)
Peter Ostemayr/Münchener Lichtspielkunst AG (Emelka-Konzern), München-Geiselgasteig, 1658 m. - av. Victor Gehring (le berger Lien), Curt Gerdes (le chevalier Melchior, seigneur de Trutzberg), Toni Wittels (Frau Engelein, son épouse), Theo Kaspar (Junker Eberhard), Thea Steinbrecher (Pernella, une domestique), Franz Xaver Stury (le duc), Hermann Pfanz (le chevalier Korbin auf Puechstein), Hilde Wall (sa fille Hilda von Puechstein), Camillo Sachetto (Heinrich von der Seeburg), Carl Dalmonico (le curé du château).
Bavière en 1445. Enfants, Hilda von Puechstein et Eberhard von Trutzberg ont été fiancés par leurs pères Melchior et Korbin, mais devenue adulte, Hilda tombe amoureuse de Lienhard, un berger. Lors d’un affrontement entre seigneurs de guerre, Lienhard sauve la vie de Korbin en tuant son adversaire, et défend le château de Trutzburg contre les assaillants de Seeburg, jusqu’à ce que le duc de Bavière impose la paix, que le rival Eberhard se tue accidentellement et qu’il s’avère que le berger est le fils illégitime de l’aristocrate Korbin. - GB : Trutzi from Trutzberg.
1935Der Klosterjäger (DE) de Max Obal et Peter Ostermayr (direction artistique)
Peter Ostermayr/Universum-Film AG (Ufa) Berlin-Tonlicht-Film GmbH (Berlin), 91 min. - av. Paul Richter (Haymo), Friedrich Ulmer (Heinrich von Inzing), Charlotte Radspieler (Gittli), Erna Fentsch (Zenza), Olga Schaub (Josepha), Hermann Erhardt (Wolfrat), Viktor Gehring (le chevalier Dietwald von Falkenau), Josef Eichheim (le bailli Schluttemann), Hansi Thomas (Walti), Willy Rösner (Eggebauer). – Cf. film de 1920. Tournage en août 1935 près de Berchtesgaden et aux Ufa-Ateliers de Neubabelsberg. Avec 10 films produits entre 1933 et 1943, le cinéma patriotard du Troisième Reich apprécie certes la production tirée des romans de Ganghofer (catégorie « Heimatfilm », ici en costumes historiques), mais cherche toujours à atténuer la dimension catholique des récits. - US : The Monastery’s Hunter.
1941-1943Der Ochsenkrieg (CH : La Guerre des bœufs) (DE) de Hans Deppe
Peter Ostermayr/Peter Ostermayr-Film GmbH (München-Geiselgasteig)-Ufa-Filmkunst GmbH (Berlin), 96 min. - av. Elfriede Datzig (Julia Someiner), Paul Richter (Amtmann Lampert Someiner), Friedrich Ulmer (le prince Peter Pienzenauer), Ernst Sattler (Someiner, maire de Berchtesgaden), Thea Aichbichler (Marianne Someiner), Willy Rösner (Runotter), Wastl Lichtmanegger (Jakob Someiner), Hans Schulz (le valet Heiner), Rolf Pinegger (Ruechsam), Hans Baumann (le bailli), Ernst Stahl-Nachbaur (Heinrich von Burghausen), Walter Ladengast (le prince Ludwig von Ingolstadt). – Cf. films de 1920 et 1987. Un tournage compliqué (la révolte paysanne mobilise des centaines de figurants) qui dure de septembre 1941 à août 1942 à Ramsau près de Berchtesgaden ainsi qu’aux Ateliers A.B. Hostiwar à Prague – à l’abri des bombardements alliés ! - pour 1,8 millions de Reichsmark. Sortie en salles en janvier 1943, à deux semaines de la défaite nazie à Stalingrad. Curieusement, le film distille une tendance pacifiste très peu conforme à l’idéologie du moment. - GB : The War of the Oxen.
1951Die Martinsklause (DE) de Richard Häussler
Peter Ostermayr/Peter Ostermayr-Film GmbH (München-Geiselgasteig), 96 min. - av. Willy Rösner (l’administrateur Waze), Gisela Fackeldey (Recka, sa fille), Hubert Kiurina (Henning, son fils), Heinz Engelmann (Eberwein, prieur de Berchtesgaden), Paul Richter (Sigenoth, le pêcheur), Ingeborg Cornelius (Edelrot), Ferdinand Anton (Ruedlieb Schönauer), Sepp Nigg (Wambo), Walter Janssen (Waldram), Alf Eder (Sindel), Hans Terofal (Otloh), Elise Aulinger (Ulla), Viktor Gehring (le juge Schönauer). – Synopsis : Au début du XIIe s., la lignée du comte de Sulzbach donne le territoire de Berchtesgaden à l’ordre des Augustins qui y construit un monastère sous la direction du jeune prieur Eberwein, chargé de christianiser la région. Eberwein se heurte à Waze, un administrateur félon et tyrannique qui gère la région pour le prince de Salzbourg (tout en empochant la majorité des impôts) et fait incarcérer le prieur. Mais Recka, la fille du tyran, le libère secrètement et prend parti pour le pêcheur rebelle Sigenoth qu’elle aime. Waze, son fils criminel Henning et sa troupe armée, partis pour exterminer leurs adversaires terrés en haute montagne, sur le Watzmann, sont emportés par une avalanche, de même que Recka. Sigenoth se console au son des cloches du nouveau monastère. – Cet épisode de la christianisation de la Bavière par les moines augustins est filmé aux studios de Geiselgasteig, dans la région de Berchtesgaden (Königssee, Hirschbichl, Wimbachtal, château de Gruttenstein) et au Tyrol (Hafelekar, massif du Karwendel). Un des plus grands succès commerciaux du cinéma de la nouvelle République fédérale d’Allemagne (RFA) sous Konrad Adenauer en 1951/52 : nature majestueuse et religion à la sauce Ganghofer font oublier le Rideau de fer à l’Est, oublier aussi que les contenus bien-pensants du romancier sont situés dans une région des alpes bavaroises jadis si chère à Adolf Hitler (le nid d’aigle à Berchtesgaden) mais à présent « nettoyée » grâce au retour en force de l'Église.
Harald Reinl filme « Der Klosterjäger” en couleurs, avec Erich Hauer et Marianne Koch (1953).
1953Der Klosterjäger (DE) de Harald Reinl
Peter Ostermayr/Peter Ostermayr-Film GmbH (München-Geiselgasteig), 83 min. - av. Erich Auer (Haymo), Paul Hartmann (Herr Heinrich, prieur de Berchtesgaden), Marianne Koch (Gittli), Willy Rösner (Eggebauer), Joe Stöckel (le Père Severin), Paul Richter (le comte Dietwald), Karl Skraup (le bailli), Margarete Haagen (Cäcilia), Kurt Heintel (Wolfrat), Rudolf Vogel (Bader), Alfred Pongratz (Pater Medicus), Gusti Kreisel (Josepha), Irmingard von Freyberg (la Mère supérieure Walpurga). - Troisième version du roman, plus superficielle que les précédentes (cf. 1920 et 1935) mais cette fois en Agfacolor, ce qui justifie un tournage dans quatre pays différents : intérieurs, comme toujours, aux studios de Geiselgasteig à Munich, extérieurs sur les rives du Königssee et le massif du Hochkalter en Bavière, en Italie (Cortina d’Ampezzo, Novacella, Mérano, les cols Lana, Pordoi et Sella dans les Dolomites, Rome), en Suisse (Oberland bernois) et en Dalmatie. La réalisation incombe à l’Autrichien Harald Reinl, artisan stakhanoviste découvert jadis par Arnold Fanck et ex-assistant de Leni Riefenstahl pour leurs films de montagne, et qui deviendra dans les années 1960 le grand spécialiste des adaptations d’Edgar Wallace et des pseudo-westerns de Karl May (série des Winnetou) en RFA. - US : The Monastery’s Hunter.
1958/59Der Schäfer vom Trutzberg (AT/DE) d’Eduard von Borsody
Peter Ostermayr/Peter Ostermayr-Film KG (München-Geiselgasteig), 96 min. - av. Heidi Brühl (Hilda von Puechstein), Hans von Borsody (Lienhard, berger de Trutzberg), Franziska Kinz (Angela von Trutzberg), Karl Skraup (Melchior von Trutzberg), Herbert Tiede (Korbin von Puechstein), Paul Richter (le duc Albrecht de Bavière), Josef Sieber (Kassian Ziegenspoak), Walter Sedlmayr (Eberhard von Trutzberg), Angelika Hauff (Pernella), Ulrich Beiger (Heini von Seeburg). – Cf. supra, la version muette Die Trutze von Trutzberg de Peter Ostermayr en 1922. Tourné en Agfacolor au château de Burghausen, sur les rives du Wöhrsee et aux studios de Munich-Geiselgasteig. Dernier rôle de Paul Richter, jadis le Siegfried des Nibelungen de Fritz Lang (1924). – GB/US : The Shepherd from Trutzberg.
La télévision s’empare de Ganghofer dans une série de fabrication européenne : « Der Ochsenkrieg » (1987).
1987(tv) Der Ochsenkrieg / The Ox War / Válka volu [Vojna volov] / La Guerre des bœufs (DE/AT/CS/FR) télésérie de Sigi Rothemund
Iduna Film GmbH Produktionsgesellschaft & Co. (München)-MR Film (Wien)-Slovensky Televizni (Bratislava)-Progefi (Paris)-Bayerischer Rundfunk BR (München)-ORF (ARD 8.10.-12.11.87), 6 x 50 min./322 min. – av. Stefan Behrens (le duc Ludwig), Massimo Girotti (Someier), Denise Virieux (Jula), Robert Hoffmann (Aschacher), Karl Merkatz (Runotter), Christian Spatzek (Lampert), Rolf Zacher (Malimmes), Herbert Fux (Franzikopus), Alexander Strobele (Marimpfel), Peter Debnar (le duc Heinrich), Svatopluk Matyás (Ernst von München), Vilma Jamnická (Starena). – Remake onéreux des films de 1920 et 1943, la version la plus fidèle du roman, mais « modernisée » par une bonne dose de violence, des anatomies dénudées et un casting international : allemand, autrichien, suisse, français, italien et tchèque. Un changement bienvenu du « Heimatfilm » local ! Tournage en Allemagne (château de Burghausen en Haute-Bavière), en République tchèque (châteaux de Zvikov, de Krivoklát et de Buchlov) et en Slovaquie (Jánská Dolina, prairies de Vazecké, villages de Laksárská Nová Ves et d’Ilanovo). - ES: Yula.