Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

11. NAPOLÉON ET LE RÉVEIL DE L’ALLEMAGNE

11.2. Schinderhannes, brigand antifrançais

alias JOHANNES BÜCKLER (1778-1803), le Robin des Bois rhénan qui se dresse contre les possédants, la Confédération rhénane et l’armée française (à en croire la légende populaire et le drame de Carl Zuckmayer publié en 1927). L’authentique Schinderhannes (« Jean l’Écorcheur »), natif de Miehlen, est à la tête d’une des plus formidables organisations criminelles de l’histoire allemande, pratiquant dès 1794 le cambriolage et le vol à main armée des deux côtés du Rhin (devenu frontière entre la France et le Saint Empire romain germanique). Il opère en particulier sur la rive gauche passée sous occupation française, où ses larcins et extorsions se font le plus souvent aux dépens des juifs, et en épargnant les chrétiens. Afin d’échapper à la police rhénane, il s’engage dans l’armée autrichienne où un ancien complice le dénonce ; il est livré aux autorités françaises. Lorsque celles-ci menacent d’arrêter sa maîtresse, Juliana Blasius, Schinderhannes passe aux aveux et dénonce ses complices. Chargé par le Consulat d’annihiler la bande, le général Jean-Bon Saint-André fait guillotiner le brigand et dix-neuf de ses acolytes à Mayence. Schinderhannes a été immortalisé en France par un poème de Guillaume Apollinaire (Alcools, 1912).
1927/28*Schinderhannes – Der Rebell vom Rhein (DE) de Kurt Bernhardt [= Curtis Bernhardt]
Willi Münzenberg/Prometheus-Film GmbH (Berlin), 2703 m. – av. Hans Stüwe (Johannes Bückler, dit Schinderhannes), Lissy Arna (Julchen [Juliana] Blasius), Bruno Ziener (Bückler père), Frida Richard (Bückler mère), Albert Steinrück (Leyendecker), Fritz Richard (Blasius père), Iwan Kowal-Sarnborski (Karl Benzel), Fritz Rasp (Heinrich Benzel), Oscar Homolka (le bailli), Albert Florath (un brigand).
Synopsis : La Rhénanie en 1796. Sur la rive gauche du Rhin occupée par les Français, les paysans du Hunsrück souffrent de la conscription. Révolté, Johannes Bückler se joint à la bande de brigands du vieux Leyendecker et vole aux riches pour refiler son butin aux plus démunis. Il devient immensément populaire, mais commet l’erreur de ne pas distribuer des armes aux paysans, comme le lui a conseillé Leyendecker ; sa petite armée de hors-la-loi est écrasée par les troupes de la République et ses alliés du Kurmainz. Schinderhannes finit sur l’échafaud.
Assisté par l’auteur lui-même (les deux sont rhénans), le jeune Kurt Bernhardt adapte la pièce à succès de son ami Carl Zuckmayer, créée cette même année au Lessing-Theater à Berlin (14 octobre 1927). Sur scène, les implications sociopolitiques du sujet sont désamorcées par l’humour populaire et les envolées élégiaques. À l’écran, le scénario de Bernhardt et Zuckmayer introduit un personnage inexistant dans le drame, le brigand Leyendecker, plus expérimenté et idéologiquement plus affûté que le héros en titre. Schinderhannes périt au cours d’une action désespérée, individuelle et anarchique. Leyendecker, lui, souhaitait un soulèvement armé de toute la paysannerie, une réponse germanique à la Révolution jacobine, raison pour laquelle il désapprouvait la libéralité gratuite de son acolyte. Indirectement, le film éclaire le rôle ambigu de l’armée française en Allemagne, libérant d’une part le pays des chaînes de l’Ancien Régime et servant d’autre part d’outil de répression de la nouvelle bourgeoisie française et de leurs collaborateurs rhénans : l’exploitation sociale alourdie par l’oppression nationale. Alors que la pièce ne décrit que les dernières années de Bückler, le film montre comment et pourquoi celui-ci est devenu Schinderhannes, assassin, voleur, rebelle et ennemi non seulement des Français, mais – une nouveauté – aussi des princes allemands corrompus qui exploitent le peuple avec l’assentiment de l’occupant. La société productrice du film, la Prometheus berlinoise, est proche du parti communiste – elle financera le fameux Kuhle Wampe (Ventres glacés) de Brecht et Slatan Dudow en 1932 – et la presse de gauche acclame une œuvre aux accents progressistes. Aux accents seulement, car, en fin de compte, ce sont les exploits téméraires et la mort tragique du bandit qui l’emportent visuellement. Entièrement tourné aux ateliers Jofa à Berlin-Tempelhof (Johannisthal), le film souffre de cet enfermement, mais les images ne manquent pas de force et les spectateurs y décèlent des allusions limpides à l’occupation majoritairement française de la Rhénanie entre 1924 et 1930, d’où le sous-titre éloquent « le rebelle du Rhin » et non pas « le rebelle de Hunsrück ». – AT : Der Rebell vom Rhein.
1956/57(tv) Schinderhannes (DE/AT) de Peter Beauvais
Südwestfunk Baden-Baden (SWF)-ARD-ORF (ARD 13.1.57), 102 min. – av. Hans Christian Blech (Schinderhannes), Agnes Fink (Julchen [Juliana] Blasius), Wolfgang Preiss (le gendarme Adam), Ernst Stahl-Nachbaur (Kaspar Bückler), Ulrike Laurence (Margaret Blasius), Siegfried Lowitz (Benzel), Willi Umminger (Schauwecker). – Dramatique d’après la pièce de Carl Zuckmayer (cf. film de 1958).
1958*Der Schinderhannes (Le Brigand au grand cœur) (DE) de Helmut Käutner
Walter Koppel, Gyula Trebitsch/Real-Film GmbH Hamburg, 115 min. – av. Curd Jürgens (Johannes Bückler, dit Schinderhannes), Maria Schell (Julchen [Juliana] Blasius), Fritz Tillmann (Hans Bast), Siegfried Lowitz (Benzel), Christian Wolff (le comte Carl von Cleve-Boost), Joseph Offenbach (Leyendecker), Willy Trenk-Trebitsch (Reichsgraf von Cleve-Boost), Til Kiwe (le gendarme Adam), Bobby Todd (Seibert), Sybille Kien (Margaret).
Synopsis : Le Hunsrück sous occupation française, en 1802. Prenant d’assaut le château du comte de Cleve-Boost, Schinderhannes rend aux paysans spoliés les biens que l’aristocrate a acquis avec le consentement de l’occupant. Carl, le fils du comte, se joint aux bandits et lui sauve la vie lorsque la police veut l’incarcérer. Schinderhannes prend les armes contre la soldatesque et Julchen, sa compagne effrayée et enceinte, l’abandonne au nom de leur enfant à venir. Traqué par les Français, trahi par le bandit Benzel, Schinderhannes tombe dans un guet-apens. Il est incarcéré à Mayence où il est guillotiné sur la place publique, devant trente mille personnes.
Une grosse production de 4 millions de DM qui réunit 83 acteurs et 4000 figurants, filmée en Eastmancolor aux studios de la Real-Film à Hambourg-Wandsbeck et en extérieurs en Rhénanie-Palatinat, dans le massif de Hunsrück, à Kirn, aux châteaux de Dhaun et Moschellandseck. Partant des gravures d’époque, les décorateurs Herbert Kirchhoff et Albrecht Becker reconstituent une réplique fidèle de la vieille place du marché de Mayence sur un pré à Hunsrück, ouvrage remarquable qui grève sérieusement le budget du film. Helmut Käutner travaille au scénario depuis huit ans et a entre-temps porté deux autres pièces de Carl Zuckmayer à l’écran (Des Teufels General/Le Général du diable, 1955, et Der Hauptmann von Köpenick, 1956). Le romancier rédige lui-même les dialogues. Käutner atténue le fond nationaliste et la charge antifrançaise (le rapprochement d’Adenauer avec la France est imminent) ; de Napoléon, on n’aperçoit que l’emblématique bicorne. Schinderhannes a vingt-trois ans lorsqu’il est exécuté, ses complices ne sont guère plus âgés. Selon ses propres dires, Käutner aurait choisi un comédien nettement plus âgé, Curd Jürgens (rencontré alors qu’ils travaillaient tous deux à Hollywood), afin d’éviter toute comparaison avec les « blousons noirs » des années cinquante. Il fuit également le folklore facile à la Robin des Bois, visant plutôt à une réflexion politique sur une époque post-révolutionnaire et ses incidences dans la société (en pensant à la jeune RFA après 1945) : Schinderhannes échoue par obstination égoïste et une accumulation de mauvais choix. Mais Käutner échoue lui aussi, car il est conscient que le casting des deux supervedettes, Jürgens et Schell (condition sine qua non au financement du film), est archifaux et qu’il eût fallu des visages inconnus du terroir, avec l’accent hessois. Le résultat est sage, propret, tire en longueur (il y a peu d’’action), son bandit n’est qu’un rustaud brave et inoffensif et sa maîtresse, geignarde, n’a rien d’une fille d’auberge aguerrie. La presse descend le film en flammes, mais Joseph Offenbach reçoit le Prix de la critique allemande 1959 pour sa savoureuse interprétation du gibier de potence Leyendecker.
1968(tv) Schinderhannes (DE) de Franz Peter Wirth
Westdeutscher Rundfunk (Köln) (ARD 4.2.68), 113 min. – av. Hans Dieter Zeidler (Johann Bückler, dit Schinderhannes), Susanne Barth (Julchen [Juliana] Blasius), Otto Stern, Wolfgang Kaus. – La pièce de Carl Zuckmayer (cf. supra).
1980*(tv) Johannes durch den Wald (Die wahre Geschichte vom Räuberhauptmann Schinderhannes) (DE) de Günter Gräwert
Sator Film-Zweites Deutsches Fernsehen (Mainz) (ZDF 18.8.68), 95 min. – av. Klaus-Hagen Latwesen (Schinderhannes), Ilse Pagé (Julchen [Juliana] Blasius), Almuth Ullerich (Margarethe Blasius), Wolfgang Grönebaum (Leyendecker), Günther König (le procureur Keil), Kurt Dommisch (policier Adam), Marlies Dräger (Botslies-Ani), Roland Müller-Stein (le juge Wernher), Alexander Hegarth (commissaire général), Karl-Georg Saebisch (Manasse), Ursula Graeff (Gross-Lies), Gerhard Kauffmann (le président Rebmann), Wolfgang Arps (Jeanbon St. André).
Un excellent téléfilm sur « la vraie histoire du chef de brigands Schinderhannes », écrit par Frank Wysbar, H. D. Berenbrock et Heinz Pauck.
1985(tv) Schinderhannes (CZ) de Hynek Bocan
Ceskoslovenská Televize, 60 min. – av. Vlastimil Brodsky (Schinderhannes), Miroslav Vladyka. – La pièce de Carl Zuckmayer (cf. supra).