Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

9. NAPOLÉON FACE À L’IRRÉDUCTIBLE ANGLETERRE

9.2. La Royal Navy et les mutineries de Spithead et de Nore

La mutinerie de Spithead, qui implique la flotte militaire de la Manche, éclate au large de Portsmouth, au sud de l’Angleterre, alors que le pays est en guerre avec la France révolutionnaire. Le 16 avril 1797, excédés par les conditions de vie déplorables à bord, par la solde très basse et la multiplication des châtiments corporels, les équipages de 16 navires au mouillage dans le Spithead déposent leurs officiers et refusent d’obéir aux ordres de Londres ; ils maintiennent toutefois la discipline à bord des vaisseaux en créant leur propre structure de commandement (d’où le surnom de « République flottante de Spithead »). Après avoir vainement tenté de réduire la mutinerie par la force, l’Amirauté délègue l’ancien amiral Lord Richard Howe pour négocier et la flotte reprend son service le 15 mai 1797.
Une autre mutinerie éclate parallèlement dans le Nore (Kent), un estuaire de la Tamise, à partir du 12 mai. Les officiers sont maltraités, fouettés, enduits de goudron par leurs équipages, qui exigent de surcroît que la Grande-Bretagne fasse la paix avec la France du Directoire : les mutins affichent également des objectifs politiques et menacent l’approvisionnement de Londres. Le gouvernement affame les navires par un blocus et procède à une répression féroce (59 marins condamnés à mort). Dans les Indes occidentales, les marins de l’« Hermione » tuent tous leurs officiers (septembre 1797) et remettent leur navire aux Espagnols, et en décembre, l’équipage du « Marie-Antoinette » fait de même, puis rallie un port français. Cette cascade d’insurrections va traumatiser pour longtemps la Royal Navy, même si celle-ci restera pour plus d’un siècle la flotte la plus puissante du monde.
1915Midshipman Easy (GB) de Maurice Elvey
British and Colonial Kinematograph Company, 2700 ft. – av. Compton Coutts (Jack Easy), Elisabeth Risdon (Doña Agnes Ribera), A. V. Bramble (Mesty), Fred Groes (Don Silvio). – D’après le roman de Frederick Marryat, cf. film de 1935.
1935*Midshipman Easy (GB) de Carol Reed
Basil Dean, Thorold Dickinson/Associated Talking Pictures (Ealing), 77 min. – av. Hughie Green (Jack Easy), Margaret Lockwood (Doña Agnes Ribera), Harry Tate (Mr. Biggs), Robert Adams (Mesty), Dennis Wyndham (Don Silvio, le brigand), Frederick Burtwell (Mr. Easthupp), Desmond Tester (Gossett), Roger Livesey (cpt. Wilson Arnold), Tom Gill (Gascoyne).
Synopsis : Autour de 1798, alors que Lord Nelson chasse le Français dans la Méditerranée, Easy, un jeune aspirant de seize ans fraîchement engagé à bord du « H. M. S. Harpy », fait ses premières expériences en mer. Candide, maniéré, mais aussi téméraire, entêté et imbu d’idées égalitaires, le gaillard discute tous les ordres de ses supérieurs (leitmotiv : « I should like to argue the point, Sir »). Lors de l’arraisonnement d’une frégate ennemie au large du détroit de Gibraltar, il délivre de sa propre initiative une belle Espagnole, Doña Agnes Ribera, et ses parents en route pour Palerme, puis radoucit son capitaine en lui ramenant un butin de 14 000 doublons. Arrivé en Sicile, il capture le redoutable bandit Don Silvio avec l’aide de son camarade Gascoyne, sauve une cinquantaine de bagnards enchaînés dans un navire en train de couler, puis empêche des brigands de massacrer la famille Ribera qui se terre dans ses domaines. Son ami, le caporal noir Mesty, précipite Don Silvio, évadé, en bas d’une falaise alors qu’il s’apprête à tuer le jeune homme. Face à tant d’exploits, le capitaine du « H. M. S. Harpy » renonce à punir Easy pour désobéissance, car d’autres batailles les attendent sur les côtes de l’Espagne, l'alliée de la France républicaine.
Le scénario d’Anthony Kimmins est inspiré du récit autobiographique du capitaine Frederick Marryat, Mr. Midshipman Easy (1836), une lecture picaresque très appréciée par les adolescents avides d’aventures et déjà portée à l’écran en 1915. C’est le premier film en solo du jeune Carol Reed, supervisé à la table de montage et produit par Thorold Dickinson. Dans sa chronique hebdomadaire du Spectator, le romancier Graham Greene salue le nouveau venu en des termes dithyrambiques : « Reed a plus de sens cinématographique que la majorité des vétérans du cinéma britannique » (3.1.36) écrit-il, relevant à la fois sa maîtrise de la narration, son imagination visuelle (qui fait fi d’un budget minuscule) et le dynamisme des combats ; Greene ne se doute pas alors qu’il deviendra lui-même le plus précieux collaborateur du cinéaste après la guerre (The Third Man, 1949). Tourné aux studios A.T.P. à Ealing et en extérieurs à Weymouth et sur l’île de Portland. – US : Men of the Sea.
1950Tyrant of the Sea (US) de Lew Landers
Sam Katzman/Columbia Pictures, 70 min. – av. Rhys Williams (cpt. William Blake), Ron Randell (ltn. Eric Hawkins), Valentine Perkins (Betsy Blake), Doris Lloyd (Elizabeth Blake), Lester Matthews (Lord Horatio Nelson), Harry Cording (Sampson Edwards), Maurice Marsac (Philippe Domer).
« En 1803, Napoléon a conquis l’Europe (sic) et le seul obstacle pour s’emparer de la Grande-Bretagne est la flotte anglaise » (texte introductif). Le capitaine Blake, un loup de mer autoritaire et sadique, punit un de ses marins avec tant de sévérité que celui-ci en décède. Lord Nelson force le commandant à prendre sa retraite, mais en raison de ses qualifications de navigateur peu ordinaires, il le rappelle pour une mission périlleuse : détruire, avec un équipage de volontaires, une partie de la flotte d’invasion française abritée dans un estuaire hollandais. Blake désobéit en ne révélant la mission suicidaire à ses hommes qu’une fois qu’ils sont en mer, il réduit les rations, le scorbut sévit et les marins épuisés se mutinent. Le lieutenant Hawkins tente vainement de raisonner Blake. Domer, un espion à bord, avertit les Français, un combat naval s’engage que les Anglais remportent. De retour en Angleterre, Blake fait arrêter Hawkins pour participation à la mutinerie, mais ce dernier, défendu par un bon avocat, « punit » le capitaine en épousant sa fille Betsy. – Un mini-budget de la Columbia (tourné en studio en noir et blanc) qui lorgne du côté de l’insurrection du « Bounty » et des mutineries de Spithead sans s’embarrasser ni d’exactitude ni de vraisemblance.
1951(tv) Midshipman Barney (GB) d’Alan Bromly
(BBC 26.6.+8.7.51), 2 x 35 min. – av. Sean Lynch (Barney), David Davies (Ben), Edgar K. Bruce (Sam Draxley), Ken Cleveland (Brooks), John Baker (Jules), Michael Ward (Mellifont), Harry Quashie (Snowy), Philip Ray (Sir George Blandly-Gore), Wensley Pithey (Snooks), Robert Cawdron (Bosun), Terence Soall (cpt. Richelieu), Malcolm Black (cpt. Standish), Jacques Cey (Pierre Jacques), William Hyde, Ralph Hiles (marins français), Alan Gore Lewis, Jim O’Brady, Charles Olatunde, Baba Russell (marins anglais).
Les exploits du jeune aspirant de marine Barney en combattant la flotte napoléonienne, suite de The Powder Monkey (1951), un récit pour la jeunesse d’Arthur William Groom (The Phantom Frigate) adapté par MacGregor Urquhart (cf. p. 287, Barney aux ordres de Nelson).
1962*H. M. S. Defiant (Les Mutinés du Téméraire) (GB) de Lewis Gilbert
John Brabourne/GW Films-Columbia Pictures, 101 min. – av. Alec Guinness (cpt. Crawford), Dirk Bogarde (ltn. Scott-Padget), Anthony Quayle (Vizard), Maurice Denham (le docteur Goss), Nigel Stock (Kilpatrick), Walter Fitzgerald (amiral Jackson), André Maranne (col. Giraud), Richard Carpenter (ltn. Ponsonby), Peter Gill (ltn. D’Arblay), David Robinson (aspirant Harvey Crawford).
Synopsis : En Méditerranée en 1797: le capitaine Crawford, juste et humain, est en charge du « HMS Defiant » (navire fictif). Il se heurte à son premier lieutenant Scott-Padget, un officier hautain et sadique qui, d’une part, estime que le commandant se montre trop faible avec son équipage et, d’autre part, désapprouve sa décision de mettre le cap sur la Corse alors que Bonaparte guerroie en Italie. Issu d’une famille influente, Scott-Padget a déjà « cassé » deux capitaines auparavant, et, appliquant une discipline inhumaine, il persécute et fait flageller le jeune fils de Crawford, l’aspirant Harvey, sans que le père puisse intervenir. Les marins, à leur tête Vizard, préparent la mutinerie, ayant appris ce qui se passe à Spithead. Crawford parvient à éloigner son fils du lieutenant en le plaçant à bord d’une frégate française capturée après une terrible bataille, puis il condamne Scott-Padget à ses quartiers pour insubordination. Lors d’un combat contre un navire vénitien, Crawford est blessé et perd un bras ; Scott-Padget prend le commandement et capture le colonel Giraud, conseiller politique de Bonaparte. Mais sa perversité et sa cruauté déclenchent bientôt la mutinerie à bord. Crawford persuade toutefois les mutins de rallier la flotte anglaise qui bloque La Rochelle ; la mutinerie générale de Spithead a porté ses fruits, l’équipage jubile, mais un matelot poignarde Scott-Padget. Lorsqu’une frégate française menace le vaisseau amiral britannique, Crawford promet l’impunité à tout son équipage s’ils interviennent à temps. Ils remportent la bataille et sont félicités par l’Amirauté.
Les faits relatés par ce film sont certes moins mélodramatiques que la saga du Bounty, moins héroïques que les exploits du vice-amiral Nelson contre Napoléon, mais plus proches de la réalité en ce qui concerne le quotidien des marins de la Royal Navy à la fin du XVIII e siècle, et leurs conditions de vie. Aidé par deux comédiens de marque, Guinness en officier propre et décent (il finira par haïr son rôle) et Bogarde en psychopathe, Lewis Gilbert (formé à l’école documentariste et qui a signé deux ans plus tôt Sink the Bismarck !/Coulez le Bismarck) livre du travail solide à défaut d’être original ou inspiré, quoique ses batailles navales sont réellement impressionnantes. Il réalise sa fresque maritime – à ce jour la seule qui évoque directement les événements traumatisants de Spithead – en Technicolor et CinemaScope en juillet-août 1961 aux studios de Shepperton et sur la Costa Blanca en Espagne (port de Dénia, Valence, massif de Montgó), d’après le roman Mutiny de Frank Tilsley (1958) ; on réutilise notamment la frégate « Marcel B. Surdo » déjà vue dans Billy Budd de Peter Ustinov. – US : Damn the Defiant !, DE : Rebellion, IT : Ponte di commando, ES : Motín en el Defiant.
1975*(tv) Mutiny (GB) de Kenneth Ives
Série « Churchill’s People » no. 24, Gerald Savory/BBCtv (BBC 9.6.75), 50 min. – av. Edward Fox (Aaron Graham), Charles Gray (William Henry Cavendish, duc de Portland), Alan Lake (l’aspirant Valentine Joyce), Nigel Stock (Lord amiral Richard Howe), Ian Hogg (Richard Parker, chef des mutins de Spithead), Philippe Madoc (Williams), John Justin (vice-amiral Charles Buckner), Michael Culver (Lord Spencer).
Le récit des mutineries de 1797 dans la Royal Navy qui ont traumatisé celle-ci pendant des décennies : le duc de Portland charge un magistrat de police londonien, Aaron Graham (1753-1818), d’enquêter sur les responsables des mutineries et les circonstances qui ont provoqué l’insurrection. Le résultat de ses investigations dans les tavernes et sur les docks au mouillage de Spithead et de Nore déplaît à l’Amirauté comme au ministère de l’Intérieur qui auraient voulu mettre les mutineries sur le dos d’hypothétiques agitateurs jacobins. Graham subit des pressions mais ne cède pas. Parker, le chef des mutins, lui décrit en détail les divers dysfonctionnements de la Royal Navy. Graham le défend en vain devant la cour de justice. Parker est pendu, et Graham ruiné par un gouvernement qui ne lui pardonne pas son intégrité. Il aura fallu le petit écran et la caution prestigieuse de Sir Winston Churchill (l’épisode filmé est tiré de A History of the English-Speaking Peoples, 1956-58) pour aborder ces événements de manière honnête.
2003***Master and Commander : The Far Side of the World (Master and Commander : De l’autre côté du monde) (US/AU) de Peter Weir
P. Weir, Duncan Henderson, Samuel Goldwyn Jr./20th Century-Fox-Miramax Films-Universal Pictures-Samuel Goldwyn Films, 138 min. – av. Russell Crowe (cpt. Jack Aubrey), Paul Bettany (Dr. Stephen Maturin), James D’Arcy (prem. ltn. Tom Pullings), Edward Woodall (sous-ltn. William Mowett), Chris Larkin (cpt. Howard), Max Pirkis (le petit Will Blakeney), Jack Randall (Boyle), Max Benitz (Peter Calamy), Lee Ingleby (Hollom), Richard Pates (Williamson), Robert Pugh (Mr. Allen), Richard McCabe (Higgins), Ian Mercer (Hollar), Tony Dolan (Lamb), David Threlfall (Killick), Billy Boyd (Barrett Bonden), George Innes (Joe Plaice), Thierry Segall (capitaine français).
Synopsis : En avril 1805 (six mois avant Trafalgar), au large des côtes brésiliennes, la flotte britannique résiste à Napoléon. Surprise par l’« Achéron », un navire corsaire français qu’il pourchassait, la frégate « HMS Surprise » du capitaine Jack Aubrey, 28 canons, 197 âmes, est sérieusement endommagée. Les pertes humaines sont lourdes. Maturin, chirurgien, naturaliste et ami de toujours d’Aubrey, a fort à faire pour soigner et parfois amputer les marins blessés. Malgré les avaries, Aubrey, resté sourd aux conseils de prudence de son entourage, se lance à la poursuite du redoutable bâtiment fantôme qui se dirige vers le cap Horn. Son navire subit d’importants dégâts au passage du « cap des tempêtes », un homme tombe à la mer. Aubrey fait escale aux Galápagos pour s’y ravitailler en eau et en vivres. Ayant découvert des espèce animales jusqu’alors inconnues, Maturin est furieux de devoir quitter les lieux dès qu’on apprend le passage récent de l’« Achéron ». L’équipage grogne, un marin est fouetté, l’aspirant Hollom se jette à la mer. Peu après, Maturin est grièvement blessé à la suite d’une maladresse du capitaine des fusiliers-marins. Sur la terre ferme, il s’opère lui-même en guidant les mains d’Aubrey, qui lui extrait une balle du ventre. Remis sur pied, le médecin étudie avec le jeune Will la faune surprenante qui peuple l’île. La découverte d’un insecte capable de se transformer en brindille donne à Aubrey l’idée de camoufler son navire en baleinier pour affronter l’« Achéron » dans un terrible combat naval. Il remporte la victoire, le capitaine adverse semble tué, mais en route pour escorter l’« Achéron », prise de guerre, à Valparaiso, il comprend qu’il a été berné, que son adversaire français est toujours en vie et a pu gagner le large. Aubrey change de cap et reprend sa course-poursuite ...
Nota bene : « commander » signifie capitaine de frégate. Héros d’une vingtaine de romans d’aventures maritimes extrêmement brillants de Patrick O’Brian, parus à Londres et à Dublin entre 1970 et 1999, le personnage de Jack Aubrey, tacticien habile, tenace et courageux, est calqué sur Lord Thomas Cochrane (1775-1860), dixième comte de Dundonald ; cet amiral écossais qui ravagea les côtes françaises et espagnoles pendant le Premier Empire, puis combattit comme mercenaire pour l’indépendance du Pérou (1820/21) et de la Grèce (1827/28), servit d’ailleurs également de modèle pour le capitaine Hornblower imaginé par C. S. Forester (cf. chap. 9.5). Le film de l’Australien Peter Weir (The Truman Show), qui reprend le titre mais non l’action du premier ouvrage de la série, se penche sur des épisodes sortis de HMS Surprise (1973), The Fortune of War (1979), The Letter of Marque (1988) et principalement The Far Side of the World (1984). Dans ce dernier roman, dont l’action est située pendant la guerre anglo-américaine de 1812, le navire ennemi pris en chasse et à détruire à tout prix près des îles Galápagos, le « USS Norfolk », arbore pavillon américain ; à la demande des producteurs (américains), le bâtiment devient ici français, mais il serait abusif d’y déceler une séquelle de la vague antifrançaise à Hollywood suite à la guerre de Bush contre l’Irak ... comme l’ont fait des âmes susceptibles dans l’Hexagone : la majorité des livres d’O’Brian relate l’affrontement de la Royal Navy contre Napoléon (et les Américains étaient alors alliés des Français). L’écrivain célèbre dans son œuvre l’amitié indéfectible qui lie Aubrey, soldat et homme d’action, au médecin Stephen Maturin, introspectif et homme de science, deux individus que tout semble séparer sauf leur amour commun de la musique, l’un jouant du violon, l’autre du violoncelle (Boccherini, Bach, Mozart, Corelli, Beethoven) pendant leurs longues soirées d’inactivité. Les mains calleuses, épaisses d’Aubrey se métamorphosent au contact d’un instrument délicat et féminin. Weir restitue à la lettre cette émouvante complicité lyrique qui permet à chacun d’exprimer ce qu’il ne saurait dire par des mots. O’Brian a plus d’une fois été comparé à Jane Austen pour son observation du quotidien et la peinture subtile des relations humaines, des facteurs qui interpellent également Weir.
Ayant refusé d’adapter la saga dans son ordre de parution (le film commence en pleine mer), exclu toute scène à terre en Grande-Bretagne, éliminé toute présence féminine, opté pour une intrigue très linéaire, passé sous silence le nom du mystérieux adversaire (un ennemi, pas un « méchant »), il s’affaire à recréer la vie à bord du « Surprise » avec une minutie, un sens du détail authentique et une exactitude dans les moindres accessoires jamais atteints à l’écran ; même les bruitages et effets sonores semblent d’époque. Hormis les interprètes principaux – Russell Crowe (Gladiator) en tête, formidable d’énergie et d’entêtement –, le casting tient compte des physionomies du XVIII e siècle : Weir sélectionne 55 marins polonais, grecs, finlandais, italiens, bengalis, soudanais et sénégalais, des visages « d’un autre temps », des ingénus qui n’ont pas été abîmés par la télévision et n’ont jamais vu une caméra. Ainsi se constitue une microsociété à part entière. Sur le plan spectaculaire, les scènes d’abordage (au début et à la fin) n’ont rien d’hollywoodien, elles traduisent surtout l’effroyable impact des canonnades et la terreur qui s’empare des équipages, captifs dans leur environnement claustrant. Tout est étonnant dans ce film qui réussit à entraîner le spectateur abasourdi dans une épopée intimiste, le voyage initiatique d’un aventurier.
Pareille obsession dans la reconstitution nécessite un budget conséquent de 120 millions de dollars. Il est exclu de tourner en haute mer, trop risqué, trop aléatoire ; Weir utilise le voilier « Rose », réplique exacte d’un ancien bâtiment racheté au Connecticut pour 1,5 million de dollars, pour simuler le « Surprise » dans les plans d’ensemble, mais le gros des prises de vues se fait à bord du superbe trois-mâts construit et ancré sur un cardan aux Fox Baja Studios à Rosarito au Mexique (Basse Californie), dans le tank géant qui servit au Titanic de James Cameron. C’est dans ces réservoirs que l’équipage a pu affronter les éléments déchaînés du Cap Horn. Une partie de l’« Achéron » y est également recréée, tandis que les scènes impliquant les modèles réduits des deux bâtiments sont filmées en Nouvelle-Zélande. Les seuls extérieurs à terre sont tournés – une première au cinéma – aux Galápagos (îles de Pinta et Bartolomé) après de longues tractations avec le gouvernement équatorien, puis à Todos Santos (Mex.). Nominé dix fois à l’Oscar 2004 (film, réalisation, montage, son, maquillage, effets spéciaux, costumes, décors), l’œuvre remporte deux statuettes d’or pour la photo et le montage sonore. Un succès considérable au box-office et une pluie de prix internationaux couronnent ces efforts, notamment l’American Film Institute Award (« Movie of the Year »), les BAFTA Awards (costumes, décors, son, « David Lean Award » pour P. Weir), les London Critics Circle Film Awards (meilleur film, Paul Bettany, scénario), etc. – DE : M.a.C. : Bis ans Ende der Welt, IT : M.a.C. : Sfida ai confini del mare, ES : M.a.C. : Al otro lado del mundo (Capitán de mar y guerra).
2005*(tv) To the Ends of the Earth (GB) de David Attwood
Lynn Horsford/Power Television-BBCtv (BBC2 6.-20.7.05), 3 x 90 min. – av. Benedict Cumberbatch (Lord Edmund Talbot), Jared Harris (cpt. Anderson), Sam Neill (Mr. Prettiman), Jamie Sives (Ltn. Summers), Victoria Hamilton (Miss Granham), Niall MacGregor (ltn. Benêt), Richard McCabe (Brocklebank), Chris Walker (Oldmeadow), Tim Delap (Bowles), Jonathan Slinger (Pike), Tom Fisher (Askew), Denise Black (Mrs. Cumbersham), Danielle Drury (Mrs. East), Damon Berry (Mr. East), Adam Woolf (Phillips), Paula Jennings (Zenobia).
Synopsis : En 1814, Lord Edmund Talbot, un jeune aristocrate imbu de ses privilèges, s’embarque pour l’Australie avec d’autres passagers civils, en essayant d’éviter les vaisseaux de guerre français. Tous les civils sont instruits pour le combat et le maniement des canons. Au cours d’une traversée dramatique (ouragans, icebergs, suicides, viols, début de mutinerie), le microcosme humain à bord du navire apparaît comme le reflet de la société britannique, de ses inégalités, préjugés, brutalités et hypocrisies. D’abord arrogant, vain et égoïste, Talbot mûrit pendant le voyage qui s’achève à Sydney Cove avec l’annonce de l’abdication de Napoléon, exilé sur l’île d’Elbe, et la destruction accidentelle du vaisseau dans un incendie.
Une adaptation réussie de trois romans maritimes de William Golding, Rites of Passage (1980), Close Quarters (1987) et Fire Down Below (1989), tournée en Afrique du Sud (studios de Richards Bay au nord de Durban, KwaZulu-Natal). Chaque épisode porte le titre d’un des romans. Comme la trilogie de best-sellers dont il s’inspire, le film décrit avec acuité les conditions de vie éprouvantes des marins et passagers, l’exiguïté, la claustrophobie, la misère sexuelle et la promiscuité étouffante à bord. Six nominations aux BAFTA Awards 2006 (série, photo, costumes, décors, montage, son), Satellite Award 2006 pour la meilleure série, Nymphe d’Or au festival TV de Monte-Carlo, nominé au FIPA d’Or 2006 à Biarritz (série).