Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

7. PERSONNALITÉS MARQUANTES DU PREMIER EMPIRE

7.2. Talleyrand, le « diable boiteux »

Personnage le plus célèbre – et le plus controversé – de l’épopée napoléonienne après Napoléon lui-même, le duc Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent par la grâce de l’Empereur, est d’abord chef du clergé constitutionnel, évêque d’Autun, puis député à la Constituante (1789), diplomate puis émigré à Londres (1792), ministre des Relations extérieures du Directoire et de l’Empire (1797 à 1807), grand-chambellan d’Empire (1804) et vice-grand-électeur (1807), ministre des Affaires étrangères sous Louis XVIII (1814), représentant de la France au Congrès de Vienne (il s’y révèle un négociateur de génie), président du Conseil à la Seconde Restauration (1815) et membre de la Chambre des pairs où, défenseur déçu d’une monarchie constitutionnelle, il rejoint peu à peu l’opposition (1816-1830), enfin nommé ambassadeur à Londres par Louis-Philippe, où il signe le traité fondateur de la Belgique (1830 à 1834). En 1815, c’est l’homme le plus riche de France après Fouché. Prêtre apostat, diplomate hors pair mais corrompu et corrupteur, grand seigneur débauché, cynique, brillant et charmeur, assoiffé d’argent et de position sociale (l’incarnation du vice selon Chateaubriand, « l’immoralité personnifiée » selon Napoléon), infirme (pied bot) qui ne compte plus ses conquêtes féminines – Talleyrand a été infidèle à tous les gouvernements dont il jugeait qu’ils trahissaient son idée de la France et de la civilisation : il comptabilise treize « girouettes » sur l’échelle des revirements politiques, un record absolu dans l’histoire nationale. Doté d’une intelligence et d’une lucidité peu commune, il s’oppose secrètement à Napoléon à partir de l’entrevue d’Erfurt en 1808, condamne la guerre d’Espagne (après avoir poussé Napoléon à s’emparer du trône espagnol), rejette le Blocus continental et œuvre à la chute de l’Empire en complotant pour le compte sonnant et trébuchant de Moscou et de Vienne. « Le peuple français est civilisé, son souverain ne l’est pas », explique-t-il au tsar Alexandre. « Le souverain russe est civilisé, son peuple ne l’est pas. C’est donc au souverain de la Russie d’être l’allié du peuple français. » Napoléon le traitera de « m ... dans un bas de soie », mais ne le fera curieusement jamais emprisonner, ni même exiler. Persuadé qu’une restauration était inévitable, Talleyrand pensait que Napoléon « n’était utile que le temps de convertir les Bourbons aux idées libérales et modérées » (P. Gueniffey). Le 13 octobre 1814, il présente au Congrès de Vienne un projet visant à déporter Napoléon (alors sur l’île d’Elbe) aux Açores, aux Antilles ou à Sainte-Hélène. Pendant les Cent-Jours, il fait déclarer « l’usurpateur » hors-la-loi.
1913® Hearts of the First Empire (US) de W. J. Humphrey. – av. William Shea (Talleyrand).
1915® Brigadier Gerard (GB) de Bert Haldane. – av. Fernand Mailly (Talleyrand).
1921® Un drame sous Napoléon (FR) de Gérard Bourgeois. – av. Paul Jorge (Talleyrand).
1923® A Royal Divorce (GB) d’Alexander Butler. – av. Jerrold Robertshaw (Talleyrand).
1925® The Ace of Spades (US) de Henry A. MacRea. – av. John Shanks (Talleyrand).
1927® The Fighting Eagle (US) de Donald Crisp. – av. Sam De Grasse (Talleyrand).
1927® Königin Luise (DE) de Karl Grune. – av. Alfred Gerasch (Talleyrand).
1928® The Lady of Victories (US) de William R. Neill. – av. George Irving (Talleyrand).
1929® Waterloo (DE) de Karl Grune. – av. Helmuth Renar (Talleyrand).
1929® Napoleon auf Sankt Helena / Napoléon à Sainte-Hélène (DE/FR) de Lupu Pick. – av. Fritz Staudte (Talleyrand).
1931® Le Congrès s’amuse (DE/FR) d’Erik Charell, Jean Boyer. – av. Jean Dax (Talleyrand).
1931® Alexander Hamilton (US) de John G. Adolfi. – av. John T. Murray (Talleyrand).
1934® So endete eine Liebe (DE) de Karl Hartl. – av. Edwin Jürgensen (Talleyrand).
1934® The House of Rothschild (US) d’Alfred L. Werker. – av. Georges Renavent (Talleyrand).
1935® The Iron Duke (Le Duc de fer) (GB) de Victor Saville. – av. Gibb McLaughlin (Talleyrand).
1935® Campo di Maggio (Les Cent-Jours) (IT) de Giovacchino Forzano. – av. Augusto Marcacci (Talleyrand).
1935® Hundert Tage (DE) de Franz Wenzler. – av. Alfred Gerasch (Talleyrand).
1937® Conquest (Maria Walewska) (US) de Clarence Brown. – av. Reginald Owen (Talleyrand).
1937® Les Perles de la couronne (FR) de Sacha Guitry. av. Robert Pizani (Talleyrand).
1938® A Royal Divorce (GB) de Jack Raymond. – av. Frank Cellier (Talleyrand).
1938® The Romance of Louisiana (US) de Crane Wilbur. – av. Ian Wolfe (Talleyrand).
1939® La sposa dei re (IT) de Duilio Coletti. – av. Achille Majeroni (Talleyrand).
1942® Le Destin fabuleux de Désirée Clary (FR) de Sacha Guitry. – av. Jean Périer (Talleyrand).
1942® The Young Mr. Pitt (GB) de Carol Reed. – av. Albert Lieven (Talleyrand).
1943Δ Un seul amour (FR) de Pierre Blanchar. – av. Jean Périer (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord), Pierre Blanchard (le comte Gérard de Clergue). – Adaptation du roman d’Honoré de Balzac : dans un flash-back, le comte de Clergue, diplomate de la suite de Talleyrand, participe au Congrès de Vienne en 1815.
1948**Le Diable boiteux / Talleyrand (FR) de Sacha Guitry
Jean Mugeli/Union Cinématographique Lyonnaise (UCL), 125 min. – av. Sacha Guitry (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord), Lana Marconi (Catherine Grand, princesse de Talleyrand-Périgord), Georges Spanelly (le comte Casimir de Montrond), éMILE DRAIN (Napoléon et un laquais), Henri Laverne (Louis XVIII et un laquais), Maurice Teynac (Charles X et un laquais), Philippe Richard (Louis-Philippe et un laquais), Georges Grey (gén. Armand Augustin Louis de Caulaincourt), Jeanne Fusier-Gir (Marie-Thérèse Champignon, dite « le Petit Pâtissier »), Renée Devillers (Dorothée, princesse de Courlande-Périgord et duchesse de Dino), Catherine Fonteney (Marie-Françoise, princesse de Chalais), Jacques Varenne (Gilbert du Motier, marquis de La Fayette), Maurice Schutz (Voltaire), Maurice Escande (le prince Clemens von Metternich), Jean Debucourt (le baron Wilhelm von Humboldt), Daniel Ceccaldi (Talleyrand jeune), José Noguéros (Joseph-Michel de Carvajal, duc de San Carlos), Maurice Escande (Randall), Pierre Bertin (le baron Karl Robert von Nesselrode), Roger Gaillard (Robert Stewart, Lord Castelreagh), André Randall (Lord Charles Grey), Howard Vernon (Lord Henry Palmerston, Premier ministre), José Torrès (Don Juan d’Azcona), Pauline Carton (la chiromancienne), Pierre Lecocq (le comte Pierre-Louis de Roederer), Robert Seller (le prince Jules de Polignac), Robert Favart (l’abbé Félix Dupanloup), Anne Campion (Pauline de Dino), Léon Walther (le docteur Jean Cruveilhier), Robert Dartois (le comte Charles de Rémusat), Georges Rivière (le marquis de La Tour de Bournac), Michel Lemoine (le prince des Asturies, futur Ferdinand VII) – et les interprètes du Barbier de Séville de Beaumarchais : Jean Piat (Figaro), Bernard Dhéran (Almaviva), André Brunot (Bartholo), Denis d’Inès (Don Basile).
Synopsis : Quelques images commentées résument l’enfance et la jeunesse de Talleyrand, la maison natale, son infirmité, son ordination, sa bénédiction par Voltaire (« dès lors tout s’explique ... »), son sacre comme évêque, enfin sa solitude foncière face aux pouvoirs qu’il sert et qui l’utilisent... Au somptueux Hôtel de Saint-Florentin à Paris, un quatuor de laquais perruqués au service de Talleyrand se gausse (en l’imitant) de ses tares physiques et morales ; ils se ressaisissent à l’arrivée surprise de leur maître – qui les force tous les quatre à boiter pendant vingt-quatre heures – et lui annoncent la venue de Catherine Grand. Appréhendant l’invasion imminente de l’Angleterre par Napoléon, cette dernière demande conseil au prince pour sauver son argent placé à Londres. Talleyrand la séduit et l’épouse (1802). Il veut démissionner de son poste de Grand Chambellan (1804), mais Napoléon le nomme prince de Bénévent (1806), puis vice-grand-électeur de l’Empire (1807). Un amour de jeunesse du prince, la vieille Marie-Thérèse Champignon, à présent émissaire de Louis XVIII à Londres, cherche à lui tirer les vers du nez ; étant en total désaccord avec la politique de l’Empereur en Espagne, Talleyrand lui laisse quelque espoir pour un retour prochain du roi. Dans son château de Valençay (Indre), il donne en l’honneur des Infants d’Espagne captifs des fêtes somptueuses sur ordre de Napoléon et découvre à cette occasion que sa femme le trompe avec le duc de San Carlos.
En revenant de l’entrevue d’Erfurt en octobre 1808, Talleyrand avise Napoléon qu’il va non le trahir (puisqu’il l’avertit), mais l’abandonner à son destin funeste s’il ne rétablit pas les Bourbons sur le trône d’Espagne et ne tend pas la main à l’Angleterre. Sinon, il entraînera la France dans sa chute. « Je n’ai jamais conspiré dans ma vie qu’aux époques où j’avais la majorité de la France pour complice et où je cherchais avec elle le salut de la Patrie ... », ajoute-t-il, « il n’y a jamais eu de conspirateur dangereux contre vous que vous-même. » Furibond, Napoléon le traite de voleur, de lâche, d’homme sans foi qui ne croit pas en Dieu et vendrait son propre père, enfin de « merde dans un bas de soie ». – « Quel dommage qu’un aussi grand homme ait été aussi mal élevé ! », conclut laconiquement le prince. Talleyrand et sa femme se séparent, Napoléon abdique et part pour l’île d’Elbe (« Si je n’avais pas abandonné l’Empereur, j’aurais trahi la France », se justifie l’ex-prince impérial). Au Congrès de Vienne, il rompt magistralement l’isolement de la France en passant des traités avec l’Autriche et l’Angleterre, devant les quatre ministres médusés qui croyaient pouvoir se partager l’Europe. Après les Cent-Jours et le décès de Louis XVIII, Talleyrand se distancie de Charles X, monarque assoiffé de pouvoir qui rétablit la censure et restaure le droit divin. Louis-Philippe lui succède et nomme Talleyrand ambassadeur à Londres ; le diplomate conclut alors avec les Anglais cette alliance qui a été le vœu le plus ardent de sa vie (1834), base de la future Entente cordiale. Il s’éteint quatre ans plus tard, à 84 ans. Sur son lit de mort, Lord Grey lui fait lecture de l’éloge fait à la Chambre des Lords : « Il n’a pas existé d’homme dont le caractère privé ait été plus honteusement diffamé et le caractère public plus méconnu et plus faussement représenté que le caractère privé et public du prince de Talleyrand. » – Et ce dernier de répondre, la voix brisée par l’émotion : « Eh bien, Messieurs, la moitié de cela, par un Français, m’aurait suffi ! »
Auprès d'un public averti, cette commémoration historique peut se comprendre comme une justification personnelle de Sacha Guitry, une sorte de plaidoyer pro domo. En 1939, il était le représentant mondialement connu et reconnu de l’esprit parisien, donc de l’esprit français tout court. Pendant l’Occupation, il a eu la naïveté de croire que continuer de maintenir cette réputation était un acte patriotique, une réponse à la présence nazie. Sa gloire s’est retournée contre lui, l’adulation qu’on lui portait s’est muée en haine. À la Libération, en octobre 1944, on reproche à l’artiste ses succès ininterrompus sous Pétain et une prétendue compromission avec les Allemands. Aveuglés, les médias se déchaînent contre le soi-disant « collabo ». Arrêté par des « résistants », il passe deux mois en prison à Drancy et à Fresnes. Mais son dossier est vide ; un juge d’instruction à la recherche de charges implore en vain les témoins potentiels par voie de presse. Tout se termine par un double non-lieu. Guitry, qui a traversé l’orage avec crânerie, en sort blessé pour toujours et les insultes, les humiliations, le séjour en menottes vont épanouir sa misanthropie. Lorsqu’il présente son projet de film sur un personnage aussi controversé que Talleyrand, la censure lui refuse le visa de tournage, prétextant que certaines répliques sont « de nature à provoquer des manifestations ». Guitry transforme alors son scénario en pièce qu'il joue sur scène au théâtre Edouard VII dès le 17 janvier 1948, avec émile Drain et Lana Marconi (Le Diable boiteux. Scènes de la vie de Talleyrand, en 3 actes et 9 tableaux). La générale est houleuse, mais la première un succès, et la pièce tient l’affiche pendant plus de quatre mois. L'interdiction de tournage étant levée, Guitry peut enfin tenter de réhabiliter à l’écran un personnage illustre que son temps a vilipendé et en qui il voit « le plus grand diplomate qui ait sans doute jamais existé ». Il réutilise nombre de déclarations de Talleyrand sur les femmes, les souverains et les nations dans ses propres dialogues.
Le tournage se boucle en 16 jours aux studios Gaumont des Buttes-Chaumont, du 6 au 22 février 1948, simultanément aux représentations sur scène. « Les décors [du théâtre] étaient démontés après chaque représentation et remontés le matin au studio, pour être redémontés en fin de journée de tournage et être remontés pour 20 heures 30 au théâtre », raconte Maurice Teynac. Grâce à ce tour de force, le film est terminé en un temps record. Le duc de Valençay-Périgord, prince de Sagan et descendant de l’illustre personnage, assiste aux prises de vues. La mort de Talleyrand qui figure dans la pièce est filmée par Robert Favart, puis coupée au montage, le récit s’achevant sur l'éloge du grand diplomate prononcé par Lord Holland. Guitry – perruque blanche, visage enfariné, dentelles et bas de soie – se donne l’occasion de présenter une composition physique saisissante, en porte-parole claudiquant de son propre ludisme et de son scepticisme. L’irrésistible Jeanne Fusier-Gir (la seule qui tutoyait Guitry dans la vie) s’agite autour du « diabolique » prince-diplomate comme une fofolle, une manière de lui rappeler que le ridicule ne tue pas. Jean Piat fait ses débuts à l’écran en Figaro dans une représentation du Barbier de Séville donnée à Valençay. La Roumaine Lana Marconi, cinquième et dernière épouse du Maître, hérite du rôle de la princesse de Talleyrand-Périgord ; elle jouera par la suite Marie Walewska dans Napoléon (1955) et Marie-Antoinette dans Si Versailles m’était conté (1954) et Si Paris nous était conté (1956). Signalons que la production a failli se mesurer à concurrence sérieuse : en février 1945, Jacques Feyder annonça un « Talleyrand » interprété par Louis Jouvet, d’après la biographie du diplomate Duff Cooper, vicomte de Norwich (l’ouvrage préféré de John F. Kennedy, paru en 1932). L’alcool et la maladie de Feyder coulèrent le projet.
Le personnage de cet histrion accompli du Theatrum mundi fascine Guitry depuis toujours et apparaît plusieurs fois dans son œuvre : dans ses pièces Béranger (1920, campé par son père, Lucien Guitry) et Histoires de France (avec Jean Périer, 1929), sous les traits de Robert Piazni et de Jean Périer dans ses films Les Perles de la couronne (1937) et Le Destin fabuleux de Désirée Clary (1942), enfin dans son Napoléon de 1955, où il l’interprète à nouveau lui-même, réorganisant à sa guise un peu mégalomane toute l’histoire de la nation. Comble de lucidité insolente, les quatre acteurs qui interprètent les domestiques de Talleyrand jouent aussi Napoléon, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe – les souverains auxquels le prince obéit, illustrant ainsi l’éternel jeu de rôles qui caractérise le fonctionnement de toute société. Pour la première fois chez Guitry, l’Empereur lui-même est sérieusement écorné : ce n’est qu’un despote entêté qui court à sa perte, à la fois un génie et un dictateur suicidaire. Sa vision est hélas pertinente, comme le fut celle de Talleyrand, qui prônait une politique subtile et conciliante, notamment face à l’Autriche. Le cinéaste réarrange sérieusement la biographie de son boiteux machiavélique (« quant aux erreurs de lieu et de date que j’ai pu faire, qu’on ne prenne pas la peine de les signaler – elles sont voulues », précise-t-il dans la préface de sa pièce). Il néglige ainsi de préciser que Talleyrand avait littéralement saboté l’entrevue d’Erfurt entre le tsar Alexandre et Napoléon, que sa responsabilité dans l’imbroglio espagnol est largement engagée – il poussa l’Empereur à s’emparer du trône à Madrid – et que durant l’absence de ce dernier en Espagne, en novembre 1808, il intrigua au grand jour avec Fouché pour offrir la régence à l’impératrice Joséphine, tout en cherchant l’appui de Murat à Naples. C’est en apprenant cette conjuration que Napoléon aurait abreuvé Talleyrand d’injures pendant trente minutes – sans que celui-ci soit inquiété par la suite (janvier 1809). Guitry bouscule les pitoyables péripéties de la Seconde Restauration (« je porte malheur aux gouvernements qui me négligent », avertit son maître à penser), tout en distribuant au passage quelques soufflets à ces « étrangers de l’intérieur », ces émigrés royalistes qui « depuis trente ans ont tout oublié et n’ont rien appris ». Enfin, pour l’anecdote, c’est sur insistance du Premier Consul que Catherine Grand alias Catherine Noël Worlee/Verlée (1762-1834), créole née près de Pondichéry, épousa en secondes noces Talleyrand, ministre des Relations extérieures dont elle était la maîtresse depuis 1799 ; la chose n’alla pas de soi, car Talleyrand, chargé des délicates négociations du Concordat avec le Vatican, était un prêtre ordonné, ancien titulaire de l’évêché d’Autun, et il fallut détourner un bref du pape Pie VII. Séparés depuis 1809, Talleyrand et Catherine divorcèrent en 1815.
À première vue, comme le relève Jacques Lourcelles (qui qualifie ce film d’« œuvre de transition »), la mise en scène de Guitry semble inhabituellement rigide, statique, lourde, et la plupart des personnages sont ici de simples faire-valoir de l’auteur. Disparues la légèreté et la fantaisie d’avant-guerre, et la causticité géniale, l’amertume parfois féroce de la décennie à venir n’a pas encore trouvé sa forme. Si le film reste néanmoins prenant, c’est qu’il « vaut essentiellement par la relation qui s’établit entre l’auteur et son personnage, projection mythique de certains aspects de Guitry lui-même. Les tracasseries subies ( ...) trouvent un écho, un exutoire grandiose dans le mépris, l’incompréhension, les calomnies endurées par le grand diplomate tout au long de sa vie. Talleyrand-Guitry s’en console par la conscience de sa propre intelligence, par la certitude de son indéfectible patriotisme » (Dictionnaire du cinéma, Paris, 1992, p. 410). Le Talleyrand de Guitry, la fierté cabotine (et, comme d’habitude, joliment misogyne), joue la comédie de servir plusieurs régimes successifs – fussent-ils opposés – pour mieux servir son pays. Et l’auteur de désigner à tout bout de champ « le rapport étroit qui relie la diplomatie à la comédie » (Noël Simsolo). Car son film n’est pas un travail d’historien mais la représentation d’une vie de spectacle pensée, mise en scène et jouée par un autre homme de spectacle. Le jeu vie-théâtre en est le véritable sujet. La réalisation elle-même s’appuie sur une dramaturgie toute théâtrale, avec une succession d’entrées et de sorties magistralement calculées, à la Lubitsch, où rien dans le cadrage et le placement des personnages n’est laissé au hasard. En se remémorant l’authentique prince de Bénévent (surnommé « le Sphinx »), qui convenait non sans cynisme que les intérêts de la France pouvaient coïncider avec les siens et qui sut, au fil de ses multiples volte-face, amasser une des plus colossales fortunes de son temps, on peut estimer que Guitry se livre sans vraiment le vouloir à une exaltation – certes brillante et très drôle – de l’opportunisme (« Quand M. de Talleyrand ne conspire pas, il trafique », disait Chateaubriand, et Mme de Staël de renchérir : « Il a vendu les Alliés aux Bourbons et les Bourbons aux Alliés »). Aussi ses détracteurs ne le ratent-ils pas à la sortie du film : « Monsieur Sacha Guitry se sent donc si coupable qu’il éprouve à chaque manifestation le besoin de se justifier. Son Talleyrand est une plaidoirie pour le double jeu », écrit Le Populaire. « Comédien, rusé, habile, prétentieux, antipathique, Sacha Guitry boite comme il peut pour tenter d’équilibrer ses opinions » (4.10.48). Au même moment, Guitry est contraint de donner sa démission à l’Académie Goncourt, sur exigence de confrères bienveillants... À défaut de critiques positives, non politisées, le film trouve largement son public. Mais il faudra attendre les années 1980 pour assister à une sérieuse réévaluation du Diable boiteux et de ce cinéaste-auteur complet, dont le narcissisme est à l’aune de son phénoménal talent. – IT : Il diavolo zoppo, DE : Der hinkende Teufel, GB : The Lame Devil.
1953® Louisiana Territory (US) de Harry W. Smith. – av. Leo Zinser (Talleyrand).
1954® Désirée (US) de Henry Koster. – av. John Hoyt (Talleyrand).
1955® Napoléon (FR) de Sacha Guitry. – av. Sacha Guitry (Talleyrand).
1956Δ (tv) The Count of Monte-Cristo – 34. The Talleyrand Affair (GB/US) de Dennis Vance (ATV 25.2.56), 30 min. – av. Malcolm Keen (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord), Finlay Currie (Henry, Lord Palmerston, Premier ministre), Patricia Laffan (duchesse de Maastricht). – Aventure apocryphe du héros d’Alexandre Dumas (George Dolenz), piégé en Angleterre où il doit apporter un message secret de Talleyrand à Lord Palmerston, Premier ministre de la reine Victoria.
1957® Königin Luise (DE) de Wolfgang Liebeneiner. – av. Charles Regnier (Talleyrand).
1958® (tv) L’Exécution du duc d’Enghien (FR) de Stellio Lorenzi. – av. Pierre Asso (Talleyrand).
1960® Austerlitz (FR) d’Abel Gance. – av. Jean Mercure (Talleyrand).
1964® (tv) I grandi camaleonti (IT) d’Edmo Fenoglio. – av. Tino Carraro (Talleyrand).
1964® (tv) Une journée de l’Empereur (FR) de Jean Pignol. – av. Jacques Rispal (Talleyrand).
1966® (tv) Metternich (ES) de Cayetano Luca de Tena. – av. Andres Mejuto (Talleyrand).
1966® (tv) Diego de Acevedo (ES) de Ricardo Blasco. – av. Carlos Casaravilla (Talleyrand).
1967® Der Kongress amüsiert sich / Le Congrès s’amuse (DE/AT/FR) de Geza Radvanyi. – av. Paul Meurisse (Talleyrand).
1970® (tv) Der Polizeiminister Joseph Fouché (DE) de Günter Gräwert. – av. Paul Hoffmann (Talleyrand).
1970Δ Komm nach Wien, ich zeig dir was ! (AT) de Rolf Thiele. – av. Tilo von Berlepsch (Talleyrand).
1971® (tv) El primer amor de Desirée (ES) de Manuel Aguado. – av. Pedro Sempson (Talleyrand).
1972® (tv) Les Fossés de Vincennes (FR) de Pierre Cardinal. – av. Alain Nobis (Talleyrand).
1972(tv) Talleyrand ou Le Sphinx incompris (FR) de Jean-Paul Roux
ORTF (TF1 26.8.72), 80 min. – av. Raymond Gérôme (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord), Renaud-Mary (Voltaire), Jean Le Mouel (Mirabeau), Michel Beaune (comte Calonne), Frédérique Meininger (Germaine de Staël), DENIS MANUEL (Napoléon), Louise Roblin (Catherine Noël Worlee, princesse de Talleyrand, dite Mme Grand), Aram Stéphane (Louis XVIII), Jean-Marie Fertey (François-René de Chateaubriand), Jean Renou (Joseph de Villèle), Jacques Danoville (Louis-Philippe), Hélène Vallier (Dorothée de Courlande, duchesse de Dino), Raymond Danjou (Adolphe Fourier de Bacourt), Jacques Couturier (Courtiade, le majordome), Gaëtan Jor (Dr. Gruveihier), Laurence de Monaghan (Pauline de Périgord), Valérie Stroh (Marie-Thérèse de Périgord), Boris Endako (l’abbé Dupanloup), Alexis Dunay (Hélie de Talleyrand-Périgord), Gilberte Moutier (Adélaïde de Souza, comtesse de Flahaut), René Alié (Napoléon-Louis, duc de Valençay), Robert Party (Charles X).
La biographie de Jean Orieux (Prix des Ambassadeurs, 1970), qui n’occulte rien des défauts de l’homme mais nous le montre plus humain, adaptée et dialoguée par Jacques Fayet. Après avoir évoqué la naissance de Talleyrand et son entrée forcée au séminaire, le téléfilm relate les diverses étapes de cet homme caméléon qui fut ministre sous tous les régimes, un ambassadeur brillant et cynique, qui aima la vie, les femmes et l’intrigue et ne servit (du moins selon ses propres dires) qu’un seul maître : son pays.
1974® (tv) Napoleon and Love (GB) de Reginald Collin, etc. – av. Peter Jeffrey (Talleyrand).
1978® (tv) Ein Frieden für die armen Leute (Der Wiener Kongress) (DE/AT) de Walter Davy. – av. Kurt Nachmann (Talleyrand).
1979® (tv) Joséphine ou la comédie des ambitions (FR) de Robert Mazoyer. – av. Robert Rimbaud (Talleyrand).
1983® (tv) Celui qui n’avait rien fait : le duc d’Enghien (FR) de Marcelle Tassencourt, Jean-Roger Cadet. – av. Jacques Ardouin (Talleyrand).
1984® (tv) Marianne, une étoile pour Napoléon (FR) de Marion Sarrault. – av. Bernard Dhéran (Talleyrand).
1987® (tv) Napoleon and Josephine (US) de Richard T. Heffron. – av. Anthony Perkins (Talleyrand).
1989® (tv) Napóleon (HU) d’András Sólyom. – av. Zoltán Papp (Talleyrand).
1989Δ (tv) Histoire de la Révolution (FR) d’Agnès Delarive (A2 1.1.89). – av. Yves Beneyton (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord). – Résumé des grands moments révolutionnaires dans leur chronologie.
1989® (tv) Talleyrand, ou Comment la hargne révolutionnaire vint à un fils de l’aristocratie / Talleyrand ou Les Lions de la revanche (FR) de Vincent de Brus
Série « Les Jupons de la Révolution » no. 1, Monique Annaud/Canal Plus (C+ 14.1.89), 90 min. – av. Stéphane Freiss (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord), Laurent Grévill (Auguste de Choiseul), Ingrid Held (Adélaïde de Souza, comtesse de Flahaut), Daniel Langlet (M. Langlois), Caroline Berg (Dorothée Lusy), Bernard-Pierre Donnadieu (Honoré de Mirabeau), Claire Nadeau (Mme de Brionne).
Boiteux après un accident et inapte à l’armée à laquelle il était destiné, le jeune Talleyrand doit se rabattre sur l’Église. Le 1er avril 1775, il est ordonné prêtre, aboutissement de ses turbulentes études au séminaire de Saint-Sulpice. Il vient juste de quitter le lit de Dorothée Lusy, point de départ de sa vie amoureuse. « On m’a forcé d’être ecclésiastique, on s’en repentira ... », annonce-t-il. De fait, le jeune abbé met moins d’un an à devenir agent général du clergé et à porter la réputation d’abbé le plus dévoyé de France. En un rien de temps, Paris vibre du fracas scandaleux de ses conquêtes féminines. Un Talleyrand inattendu et révolutionnaire sous les traits assez convaincants de Stéphane Freiss, dans ce téléfilm coquin, esthétisant et un peu lent.
1990® (tv) Napoléon et l’Europe (FR/DE/PT/ES) de Pierry Lary, etc. – av. Jean-Claude Durand (Talleyrand).
1992® Le Souper (FE) d’Edouard Molinaro. – av. Claude Rich (Talleyrand).
1995® (tv) Muz v pozadí [= L’Homme de l’ombre] (CZ) de Pavel Hása. – av. Petr Kostka (Talleyrand).
2002® (tv) Napoléon (FR/ED/IT) d’Yves Simoneau. – av. John Malkovich (Talleyrand).
2005® (tv) Adyutantiy lyubi (RU) de Boris Rabeï, etc. – av. Andreï Smolyakov (Talleyrand).
2005® (tv) La Dictée à Daru (FR) de Vincent Lecrocq. – av. Christian Geffroy (Talleyrand).
2005Δ Il ne faut jurer ... de rien ! (FR) d’Eric Civanyan. – av. Henri Garcin (Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, dit « le boiteux »). – Talleyrand apparaît dans cette adaptation de la comédie éponyme d’Alfred de Musset, située à Paris en 1830, après la fuite de Charles X : le diplomate convie l’arriviste Georges van Buck (Gérard Jugnot) à une soirée au Sérail, une maison close où doit être fêtée la proclamation de Louis-Philippe.
2006® (tv) Austerlitz, la victoire en marchant (FR) de Jean-François Delassus. – av. John Dobrynine (Talleyrand).
2006® (tv) Napoleon’s Final Battle (US) de Doug Schulz. – av. Dorin Andone (Talleyrand).
2011® (tv) L’Affaire du duc d’Enghien (FR) de Ghislain Vidal. – av. Laurent Richard (Talleyrand).
2013® (tv) Diplomatische Liebschaften : (DE/AT) de Monika Czernin. – av. Michael König (Talleyrand), Gioia Osthoff (Dorothée de Courlande Talleyrand-Périgord).