XII - L'EMPIRE RUSSE DES ROMANOV

7. YEKATERINA II. / CATHERINE II LA GRANDE (1762 à 1796)

7.2. Le "Joueur d'échecs" de Wolfgang von Kempelen

Kempelen Farkas (1734-1804), génial inventeur hongrois d’automates, dont le célèbre « Turc joueur d’échecs », construit en 1769 à la demande de l’impératrice Marie-Thérèse. L’automate, auquel se mesurèrent Napoléon, Frédéric le Grand et Benjamin Franklin, dissimulait en réalité un homme. Après le décès de Kempelen, le « Turc » fut exploité par le mécanicien allemand Johann Nepomuk Maelzel (1772-1838) avant d’être revendu à Eugène de Beauharnais à Paris, puis racheté et présenté en tournée aux Etats-Unis (où Edgar Allan Poe en fera le sujet d’une nouvelle).
Le roman « Le Joueur d’échecs » d’Henry Dupuy-Mazuel (1926) qui inspira les films de 1927 et 1938 place son intrigue en Pologne occupée par la Russie (cf. Pologne 5) et fait exhiber son automate truqué à la cour de Catherine II à Saint-Pétersbourg. – Nota bene : l’inventeur est souvent confondu avec son frère, le major Johann Nepomuk Ritter von Kempelen de Pázmánd.
1927***Le Joueur d’échecs – 1. Le Chant de l’Indépendance – 2. La Grande Déception (FR) de Raymond Bernard 
LA Société des Films Historiques, 3071 m./133 min. – av. Charles Dullin (le baron Wolfgang von Kempelen), Marcelle Charles Dullin (Catherine II), Pierre Blanchar (Boleslas Worowski), Edith Jehanne (Sophie Novinska), Pierre Hot (Stanislas II Poniatowski, roi de Pologne), James Devesa (Grigori Orloff), Pierre Batcheff (Serge Oblomoff), Camille Bert (major Nicolaïeff), Alexiane (la Folie Olga), Jackie Monnier (Wanda), Fridette Fatton (Pola), Armand Bernard (Roubenko), Albert Préjean (courrier de la tsarine).
Depuis 1772, la Pologne est amputée du tiers de sa population et de son territoire, partagé entre la Russie, l’Autriche et la Prusse. A Vilnius, lors du soulèvement polono-lituanien avorté d’automne 1794 sous Thaddée Kosciuszko (suivi de la prise de Varsovie par le général Souvarov et du partage définitif du pays). Le prince Boleslas Worowski, un patriote polonais, se mesure aux échecs avec le major Nicolaïeff et le bat, déclenchant une première querelle avec l’occupant. Puis il participe à l’ultime et héroïque bataille contre les Russes, tandis que sa fiancée Sophie (fille adoptive du génial baron Kempelen et également courtisée par le lieutenant russe Oblomoff), joue au piano le « Chant de l’Indépendance » en substituant à la réalité de la défaite des images fantasmées de victoire. Après le désastre, blessé et recherché par les Russes, Boleslas se cache à l’intérieur du célèbre automate de Kempelen. La police ne peut que constater son énigmatique disparition. À la demande de Catherine II, le baron de Kempelen est invité à présenter son redoutable « joueur d’échecs » à la cour impériale russe au Palais d’Hiver. Le baron ne peut qu’obéir et, entouré de cosaques, gagne Saint-Pétersbourg avec Sophie et Boleslas toujours terré à l’intérieur de sa machine. Catherine II révèle à Sophie qu’elle est en réalité de sang noble russe et que son combat de Jeanne d’Arc polonaise n’a pas de sens. Quant aux services secrets russes (informés par le major Nicolaïeff, qui a reconnu le jeu de Boleslas en affrontant le robot), ils révèlent le subterfuge à l’impératrice. Lorsque l’automate a l’audace de battre Catherine II aux échecs, celle-ci ordonne de le fusiller. Auparavant, le baron de Kempelen s’est substitué à Boleslas qui peut ainsi s’échapper en France avec sa fiancée. La tsarine contemple le « joueur d’échecs » dont le sang rougit la neige. Entre-temps à Vilnius, le major Nicolaïeff, toujours méfiant, a pénétré dans le laboratoire secret de l’inventeur ; il est encerclé et transpercé par les baïonnettes d’une dizaine de grenadiers mécaniques.
Mise en scène somptueuse, souffle épique et lyrique intense, montage inspiré, variété stupéfiante des cadrages, un sens du détail et une gestion des émotions d’une belle justesse : Bernard réussit son meilleur film muet et un des sommets du cinéma historique de l’Hexagone, du moins pour les années 1920. Son film est d’un faste rarement vu dans le cinéma français d’alors, totalisant sept mois de tournage et des coûts de production de six millions de francs. Il est réalisé au studio des Réservoirs de Joinville et dépendances (décors immenses, parfois expressionnistes de Jean Perrier), dans les studios de Billancourt, au château d'Ermenonville (pour le château Worowski), dans la forêt de Fontainebleau et les neiges de St. Moritz (Suisse), à Varsovie et à Ostroleka avec le concours de quatre régiments de cavalerie polonais pour la furieuse bataille que livre Kosciuszko contre les troupes de Catherine II. Le scénario se base sur un roman d’Henry Dupuy-Mazuel (publié cette même année) qui, reprenant la formule du « Miracle des loups » (1924), mêle habilement combat d’indépendance nationale, amour contrarié par la guerre et une touche semi-fantastique (le cabinet des automates de Kempelen avec ses pièges mortels). Le roman sera adapté pour le théâtre par Marcel Achard et mis en scène par Charles Dullin (qui reprend son rôle du film) au Théâtre de l’Atelier à Paris en avril 1927. Couvert d’éloges, le film est exploité dans plus de vingt-cinq pays et connaîtra un succès tout particulier en Grande-Bretagne.
Catherine II (Françoise Rosay) n’est pas dupe de l’automate de Kempelen (Conrad Veidt) (Jean Dréville, 1938).
1938**Le Joueur d’échecs (FR) de Jean Dréville 
Jacques Schwob d’Hericourt/Société des Films Sirius-Véga, 90 min. – av. Conrad Veidt (baron Wolfgang von Kempelen), Françoise Rosay (Catherine II), Paul Cambo (Boleslas Worowski), Micheline Francey (Sonia Vorowska), Jacques Grétillat (prince Grigori Potemkine), Gaston Modot (major Nicolaïeff), Jean Témerson (Stanislas Poniatowski, roi de Pologne), Bernard Lancret (prince Serge Oblonsky), Edmonde Guy (Wanda Zalewska, la danseuse), Delphin (Yegor, le bouffon).
Remake parlant du film de 1927 (cf. supra), d’après le roman de Henry Dupuy-Mazuel. Ne bénéficiant pas des mêmes moyens que Raymond Bernard, Dréville laisse de côté batailles et enjeux historiques pour se concentrer sur la personnalité de Kempelen. Un tiers de son budget sert à payer les deux vedettes du film, Conrad Veidt et Françoise Rosay. C’est un duel que se livrent l’étrange et génial Kempelen et Catherine II, une impératrice fine politicienne et diplomate, instruite du faux mécanisme du « joueur d’échecs », forcée de sévir en conséquence et néanmoins tentée de fermer un œil. Un face-à-face passionnant qui fait l’intérêt majeur d’un film aux qualités plastiques évidentes, mais souffrant par ailleurs de quelques faiblesses de scénario (Bernard Zimmer a réécrit toutes les scènes de F. Rosay, à sa demande). Les allusions aux appétits sexuels de la souveraine sont constants, de l’obèse Potemkine gigotant en robe de chambre au séduisant Oblonsky, sommé d’intégrer l’alcôve impériale. Dréville aligne une galerie bizarroïde d’automates, leitmotiv visuels tantôt émouvants tantôt inquiétants, et réussit pleinement l’angoissante visite du major Nicolaïeff dans l’antre de Kempelen, suivi de sa mort cauchemardesque, embroché par des soldats robots. Tourné aux studios GFFA (Victorine) à Nice, le film obtient la Coupe du Jury International au festival de Venise 1938 récompensant la meilleure sélection nationale (prix partagé avec cinq autres films français, dont « L e Quai des brumes » de Marcel Carné).
1972(tv) Le Joueur d’échecs / Il giocatore di scacchi (FR/IT/HU/CH/BE) de Christian-Jaque ; série « Les Grandes Évasions historiques / Les Évasions célèbres » no. 5, ORTF-Pathé Cinéma-Hungarofilm (TF1 3.4.72), 55 min. – av. Zoltan Latinovits (baron Johann Wolfgang von Kempelen), Robert Party (col. Glücker), Karoly Mecs (ltn. Woronski), Jacques Castelot (Voltaire), Robert Manuel (Napoléon), Istvan Bujtor (Johann Nepomuk Maelzel), Roger Dumas (Dr. Oslovski). – En janvier 1807 en Pologne. Napoléon, qui a libéré une partie du pays des Prussiens après sa victoire à Iéna décide de passer la nuit à Chelmno, au château du baron Kempelen. Celui-ci est mort en 1804 à Vienne, et c’est le génial mécanicien Maelzel (inventeur du métronome) qui a racheté ses automates. Napoléon est battu aux échecs et exige en toute confidence de connaître le secret du « joueur mécanique ». En 1776, raconte Maelzel, le lieutenant Woronski, un brillant joueur d’échecs, prit la tête du soulèvement manqué contre les Prussiens que dirigeait le cruel colonel Glücker. Woronski fut blessé, Kempelen le cacha à l’intérieur de son automate pour le transporter en Hongrie. Le « Turc » dut d’abord battre Voltaire et Frédéric le Grand aux échecs à Sans-Souci pour obtenir un visa de sortie. Avant de traverser la frontière prusso-hongroise, Woronski étrangla le méfiant Glücker qui avait découvert le subterfuge. A sa mort, Kempelen légua son château à Woronski, que Napoléon découvre stupéfait à l’intérieur de l’automate. Le héros polonais fut jadis amputé de ses deux jambes (ce qui permettait de l’introduire dans la cachette), Kempelen lui en fabriqua de nouvelles. – Un téléfilm sans temps morts tourné en couleurs en Hongrie, dans les studios Mafilm à Budapest.
1981(tv) Le Joueur d’échecs de Maelzel / El jugador de ajedrez (FR/MX) de Juan Luis Buñuel 
série « Histoires extraordinaires » (FR3 7.2.81 / Mex. 22.7.81), 50 min. – av. Jean-Claude Drouot (Johann Nepomuk Maelzel), Diana Bracho, Martin Lasalle (Schlumberger), Julio Lucena (Don Lope), Santanón alias Raphaël Muñoz (le nain Kronstadt), Ely Menz (Isabelle), Eduardo Alcaraz (gouverneur), Pablo Mandoki (Mimo), Alfonso Meza (Luis), Beatriz Sheridan (Eugenie).
Au début du XIXe s., Maelzel exhibe le fameux automate de Kempelen. Tourné à Toluca, au Mexique (photo de Gabriel Figueroa), d’après l’essai « Maelzel’s Chess Player » (1836) et la nouvelle « Von Kempelen and His Discovery » (1849) d’Edgar Allan Poe.