II - LE ROYAUME D’ANGLETERRE

15. LES NEUF JOURS DE LADY JANE GREY (1553)

Née en 1537, petite-nièce d’Henry VIII, mariée à Lord Guildford Dudley. Elle a seize ans lorsque son beau-père anglican John Dudley, duc de Northumberland (surnommé « the Wicked Duke »), et Edward VI la font proclamer reine d’Angleterre. C’est une tentative d’usurpation, car c’est la demi-sœur du jeune roi mourant, la catholique Mary Tudor, fille aînée de Henry VIII qui est l’héritière légitime du trône. La fondation de l’Église anglicane a engendré une élite non catholique, enrichie par la dissolution des monastères. Lorsque la nouvelle de la mort prochaine d’Edward VI leur parvient, diverses personnalités de cette nouvelle aristocratie protestante se sentent menacées dans leurs privilèges et leurs toutes récentes richesses. Prudente, Mary se barricade dans son château de Framlingham (Suffolk), puis réussit à mobiliser assez de membres de la noblesse fidèles aux souhaits de Henry VIII pour rentrer à Londres à la tête d’une procession triomphale. Le Parlement est alors contraint de la reconnaître en tant que reine, car Edward VI a transgressé la loi anglaise en la déshéritant. Elle renverse Lady Jane Grey, usurpatrice malgré elle, après un règne de seulement neuf jours (du 10 au 19 juillet 1553), la fait enfermer avec son époux dans les geôles de la Tour de Londres et ordonne l’exécution du duc de Northumberland, instigateur du complot anglican, et ce malgré sa conversion de la dernière heure au catholicisme. En un premier temps, Mary souhaite toutefois épargner la vie de sa jeune cousine (qu’elle sait avoir été manipulée), mais lorsque ses propres fiançailles avec le futur roi d’Espagne, Philippe II, deviennent officielles en janvier 1554, Thomas Wyatt tente d’empêcher le rétablissement de l’autorité de l’Église romaine en Angleterre en levant une armée populaire anglicane favorable à la princesse Elizabeth, rébellion qui est écrasée à London Bridge. En raison de la participation de Henry Grey, duc de Suffolk et père de Jane Grey, à ce soulèvement et de son implication supposée dans un complot, cette dernière est exécutée avec son conjoint en février 1554. Le duc de Suffolk les suit sur le billot une semaine plus tard. Jane Grey est considérée comme une martyre du protestantisme. Prudente, Elizabeth s’est tenue à l’écart de la conspiration de Northumberland comme de l’insurrection de Wyatt. Après deux mois à la Tour de Londres, elle est assignée à résidence à Woodstock Palace (Oxford).
1909The Tower of London (GB) de James A. Williamson
Williamson Kinematograph Company (Brighton & Howe), 1125 ft.
Le 10 juillet 1553, Lady Jane Grey est incarcérée dans la Tour de Londres à l’instigation de Mary Tudor. Pour sauver sa femme et récupérer le trône, l’époux de Lady Jane, Lord Guilford Dudley, organise une rébellion mais son armée est écrasée. Le billot les attend. Un de ses partisans parvient toutefois à fausser compagnie aux geôliers et à épouser la demoiselle d’honneur d’une aristocrate. – Intrigue tirée du roman éponyme de William Harrison Ainsworth (1840), un ami de Charles Dickens.
1911Regina per quindici giorni / La regina dei quindici giorni (IT) de Mario Caserini
Cines, 272 m./env. 15 min. – av. Fernanda Negri-Pouget (Lady Jane Grey), Maria Gasparini (Mary Tudor), Emilio Ghione (le conseiller des Tudors), Gastone Monaldi (un prêtre).
En quelques tableaux, le duc de Northumberland proclame sa belle-fille Jane Grey reine d’Angleterre, Mary Tudor dénonce l’usurpation d’un trône qui lui revient, l’armée anglicane de George Wyatt est défaite et Mary Tudor signe l’arrêt de mort de Lady Jane.
1923Lady Jane Grey, or The Court of Intrigue (Lady Jane Grey – Histoire des enfants d’Henry VIII) (GB) d’Edwin Greenwood
Série « Wonder Women of the World », Edward Godal/British & Colonial Films (London), 780 m./650 m./40 min. – av. Nina Vanna (Lady Jane Grey), Charles Barratt (John Dudley, duc de Northumberland), Forbes Dawson (Edward VI), Charles Dane (Henry Grey, duc de Suffolk), John Reid (Lord Guilford Dudley).
La nouvelle aristocratie anglicane tente de placer Lady Jane Grey sur le trône. Moyen métrage tourné dans studios de Hoe Street à Walthamstow (Londres).
1926The Tower of London / The Princes in the Tower (GB) de Maurice Elvey
Série « Haunted Houses and Castles of Great Britain », Cosmopolitan Productions, 457 m./30 min. – av. Isobel Elsom (Lady Jane Grey), John Stuart.
Reine pendant neuf jours, Lady Jane Grey est déposée et exécutée lorsque Marie Tudor réussit à prendre le pouvoir. Court métrage d’après un scénario de George J. Banfield et tourné à Westminster.
Lady Jane Grey (Nova Pilbeam) victime de la conjuration de John Dudley (Sir Cedric Hardwicke) (« Tudor Rose »).
1936* Tudor Rose. The Story of Lady Jane Grey / Nine Days A Queen / US: Lady Jane Grey (Marie Tudor) (GB) de Robert Stevenson
Michael Balcon, Edward Black, Sidney Gilliat/ Gainsborough Pictures-Gaumont British Picture Corporation Ltd., 78 min. – av. Nova Pilbeam (Lady Jane Grey), Frank Cellier (Henry VIII), John Mills (Lord Guildford Dudley), Sir Cedric Hardwicke (John Dudley, comte de Warwick et duc de Northumberland, son père), Desmond Tester (Edward VI), Gwen Ffrangcon-Davies (Mary Tudor), Felix Aymler (Edward Seymour), Leslie Perrins (Thomas Seymour), Martita Hunt (Lady Frances Brandon Grey, mère de Jane), Miles Malleson (Henry Grey, duc de Suffolk, père de Jane), Sybil Thorndike (Ellen, la nurse de Jane), Arthur Goullet (Sir John Gates), Albert Davies (Barnaby Fitzpatrick), Peter Croft (le confident de Thomas Seymour), J. H. Roberts (Dr. Elmer, tuteur de Jane), John Laurie (John Knox), John Turnbull (Lord Arundel), Roy Emerton (le bourreau), Henry Hallatt (le médecin), Allan Jeayes (le conseiller de Mary Tudor), J. Fisher White (le gardien de la Tour de Londres).
Long métrage de prestige exploité en France, aux États-Unis et même au Brésil, Tudor Rose présente clairement Lady Jane Grey comme une victime candide de la lutte de pouvoir entre ministres protestants. L’intrigue débute avec le décès de Henry VIII – qui meurt en maudissant quiconque trahirait l’un de ses successeurs, Edward, Mary, Elizabeth ou Jane – et englobe les cinq années de règne du jeune Edward VI tissées de trahisons. Ambitieux et sans scrupules, les frères ennemis Edward et Thomas Seymour ainsi que le redoutable John Dudley, comte de Warwick et duc de Northumberland, s’affrontent dans les coulisses. En 1547, Edward l’emporte en un premier temps et devient Lord Protecteur (régent) du roi adolescent, enfant longtemps capricieux, indifférent et égoïste dont la santé est précaire. Pour lui succéder, Edward Seymour parie sur Lady Jane Grey, car des deux héritières directes du trône, Mary Tudor est catholique et Elizabeth est considérée comme illégitime. Entretemps, Thomas Seymour a fait venir la jeune provinciale à la cour pour lui enseigner l’étiquette et se voit déjà son futur régent. Edward déjoue cette conspiration, ordonne l’exécution de son propre frère (oncle chéri du petit roi), s’autoproclame duc de Somerset et gouverne pratiquement seul jusqu’à ce que sa gestion catastrophique lui coûte la tête à son tour. Exit le clan des Seymours (1549).
Le comte de Warwick prend alors la direction du Conseil de Régence. Avec l’assentiment de Lady Frances Grey, mère dominatrice de Jane, il ordonne à cette-dernière d’épouser Guilford Dudley, son propre fils qu’elle ne connaît pas. Jane, qui hait Warwick, s’y refuse et, la garde à ses trousses, tente de fuir le palais ; Guilford la cache, ignorant son identité. Le couple se reconnaît, tombe amoureux, on célèbre le mariage. Mourant, Edward VI refuse de signer l’acte de succession de Jane pour lui épargner un avenir de déceptions et de trahisons, mais Warwick signe le document en son nom et à son insu. Il explique à sa belle-fille qu’il est de son « devoir sacré » de monter sur le trône et, obéissante, elle interrompt sa lune de miel à la campagne avec Guilford pour retourner à Londres. Mary Tudor échappe à un piège des comploteurs et contre-attaque. Warwick a impliqué de force son fils dans le coup d’État, mais leurs troupes sont défaites, les deux sont capturés et condamnés à mort. Mary visite Jane dans sa cellule et lui explique qu’elle se voit contrainte de la sacrifier si elle veut éviter un bain de sang parmi la population. Résignée, Jane est exécutée à Tower Hill peu après son époux et son beau-père, au son assourdissant des roulements de tambour.
C’est de l’ouvrage très soigné et prometteur, arpentant la voie internationale ouverte par le Henry VIII d’Alexander Korda, quoiqu’en plus modeste, sur un mode plus intimiste, L’exécutant en est – réalisation et scénario – un des plus jeunes réalisateurs d’Angleterre (son premier travail en solo) : Robert Stevenson. Solide artisan de mélos et de très populaires bandes d’aventures (King Solomon’s Mines, 1936), Stevenson gagnera Hollywood en 1939 (Back Street, Jane Eyre avec Orson Welles) et finira sa carrière chez Walt Disney (Mary Poppins). À l’affiche, Nova Pilbeam, 16 ans, une actrice qui sait mêler délicatesse et tragédie, surtout connue pour ses deux rôles d’ingénue chez Alfred Hitchcock (la première version de The Man Who Knew Too Much en 1934 et Young and Innocent en 1937). Le jeune premier John Mills à l’aube d’une longue carrière, Sir Cedric Hardwicke (anobli deux ans plus tôt) et Sybil Thorndike, la Sainte Jeanne de G. B. Shaw, complètent la distribution. Le tournage se fait en novembre-décembre 1935 aux studios d’Islington à Londres et sur ses terrains à Northolt. Côté technique, le futur cinéaste Roy Ward Baker fait l’assistant de production tandis que Terence Fisher, maître du cinéma d’horreur dans les années cinquante, débute comme monteur.
Le film prend diverses libertés avec l’Histoire. En vérité, Lady Jane n’était nullement amoureuse de son conjoint, mais très marquée par son éducation rigoureuse, son sens du devoir envers sa famille et son protestantisme. Son mariage avec Guilbert, nigaud déplaisant et infantile, ne fut jamais consommé, elle refusa même de lui donner le titre de roi consort (ils ne partagèrent pas non plus la même cellule en prison). Le portrait d’Edward VI est également faux, présenté comme un enfant gâté de neuf ans, alors qu’il est mort à l’âge de quinze ans, studieux, fervent anglican et passionné de politique. À l’écran, les enjeux religieux, pourtant capitaux, ne sont jamais abordés et il est difficile de dire à quelle confession appartient l’ecclésiastique qui soutient Lady Jane sur le billot. Enfin, Mary Tudor n’a bien sûr jamais rendu visite à Lady Jane dans sa geôle, mais la scène peut se justifier dramatiquement. Stevenson se concentre sur la manipulation d’une jeunesse innocente par des politiciens retors et en particulier sur l’émouvante histoire d’amour entre Jane et Guilford (ou Guildford), deux adolescents forcés à se marier et à périr le lendemain. Les qualités du film résident surtout dans la description sensible de leurs rapports et, pour Jane comme pour Edward VI, le contraste flagrant entre leurs titres de majesté et leur autorité fantôme, leur pathétique manque de pouvoir. Ils sont écrasés par les lourdes portes et les escaliers massifs du palais, le décor souligne leur vulnérabilité, mais ils gardent néanmoins la tête haute. En prison, Jane nourrit les oiseaux à sa fenêtre. Le matin de son exécution, la température est glaciale et Jane demande une fourrure pour qu’on n’attribue pas ses frissonnements à la peur de la mort.
Le producteur Michael Balcon, à l’origine du projet, veut illustrer la fragilité de l’État face à l’intoxication de certains tribuns avides de pouvoir, tel ce Warwick qu’Edward VI démasque comme un individu qui « n’a que faire de l’Angleterre et de sa population » et ne cherche qu’à « assouvir son besoin de puissance ». Lady Jane refuse d’« établir sa grandeur sur les tombes des autres », et le sacrifice des deux innocents est présenté comme nécessaire, en raison de leur collusion, fût-elle inconsciente, avec une intelligentsia corrompue. (Pour éviter des détails trop explicites de l’exécution, on a recours à des images allégoriques, des pigeons qui s’envolent, etc.) Cette vision très bourgeoise – et chaste – de l’ère tudorienne (loin des insolences bouffonnes d’un Alexander Korda) reflète indirectement la mainmise des conservateurs sous le Premier ministre Stanley Baldwin, beaucoup trop timoré face à Hitler, et la crise constitutionnelle suscitée par l’abdication d’Edward VIII (futur duc de Windsor) en 1935/36, soupçonné à raison d’avoir des sympathies pronazies, enfin l’acceptation résignée de George VI, son frère cadet qui sera contraint de lui succéder en décembre 1936. Le spectateur doit comprendre que pour la Nation, tout est préférable à une rupture successorale.
Insensibles aux subtilités et à la tragique délicatesse du mélodrame, plusieurs critiques anglais ironisent à propos de cette « histoire de l’Angleterre destinée à un public américain et colonial », tandis que dans The Spectator, Graham Greene fulmine contre « la vulgarité du scénario » (8.5.36). En revanche, le magazine Film Weekly le déclare deuxième meilleur film britannique de l’année (après The Ghost Goes West de René Clair) et couronne Nova Pilbeam meilleure actrice, tandis que la Biennale de Venise lui décerne le premier prix de la photographie (due au Berlinois Mutz Greenbaum). À redécouvrir. – US: Lady Jane Grey, IT: Destino di sangue, ES: La rosa de los Tudor.
1937® The Prince and the Pauper (US) William Keighley. – av. Helen Valkis (Lady Jane Grey).
1955(tv) The Last Day of an English Queen (Lady Jane Grey executed, February 12, 1554) (US)
Série « You Are There » no. 106, Charles W. Russell/CBS Broadcasting Inc. (CBS 18.9.55), 30 min. – av. Gloria Talbot (Lady Jane Grey), Jeanette Nolan (Mary Tudor), Noel Drayton, Robin Hughes, Walter Cronkite (présentation).
Un reportage-fiction présenté et commenté par Walter Cronkite.
1961® (tv) Le Prince et le Pauvre (FR) de Marcel Cravenne. – av. Brigitte Morisot (Lady Jane Grey).
1962® (tv) The Prince and the Pauper (GB) de Don Chaffey. – av. Jane Asher (Lady Jane Grey).
1971® (tv) Elizabeth R (GB) de Claude Whatham, etc. – av. Sarah Frampton (Lady Jane Grey).
1972® (tv) O Principe e o Mendigo (BR) de Dionisio Azevedo. – av. Nadia Lippi (Lady Jane Grey).
1977® Crossed Swords (US) de Richard Fleischer. – av. Felicity Dean (Lady Jane Grey).
Deux enfants sacrifiés, Lady Jane Grey (Helena Bonham Carter) et Guilford (Cary Elwes) dans « Lady Jane » (1986).
1986* Lady Jane – Under the Shadow of the Axe (Lady Jane) (GB) de Trevor Nunn
Peter Snell, Ted Lloyd/Capital Equipment Leasing-Paramount Pictures-Britannic Film and Television Ltd., 142 min./136 min. – av. Helena Bonham Carter (Lady Jane Grey), Cary Elwes (Lord Guilford Dudley), Warren Saire (Edward VI), Jane Lapotaire (Mary Tudor), John Wood (John Dudley, comte de Warwick et duc de Northumberland), Michael Hordern (John Feckenham, chapelain catholique), Sara Kestelman (Lady Frances Grey, duchesse de Suffolk), Patrick Stewart (Henry Grey, duc de Suffolk), Ian Hogg (Sir John Gates), Joss Ackland (Sir John Bridges), Lee Montague (Simon Renard, ambassadeur d’Espagne), Richard Vernon (William Paulet, marquis de Winchester), David Waller (l’archevêque Thomas Cranmer), Richard Johnson (Henry Fitzalan, comte d’Arundel), Guy Henry (Robert Dudley), Andrew Bicknell (John Dudley), Anna Gilbert (Lady Dudley), Zelah Clarke (Lady Anne Wharton), Adele Anderson (Lady Warwick), Jill Bennett (Mrs. Ellen), Morgan Sheppard (le bourreau), Pip Torrens (Thomas), Gabor Vernon (le joaillier), Clyde Pollitt (chef des paysans en colère).
C’est le premier film d’un homme de théâtre renommé, Trevor Nunn, directeur artistique adjoint de la Royal Shakespeare Company (RSC) et metteur en scène de nombreux musicals à succès, dont le célèbre Cats à Londres et à Broadway (1983). Son casting comporte du reste plusieurs membres de la RSC, en particulier Jane Lapotaire en Mary Tudor, qui fut une mémorable Aliénor d’Aquitaine dans la télésérie The Devil’s Crown en 1978. L’ouvrage est enregistré en octobre-novembre 1984 aux Lee International Studios à Wembley avec, comme c’est la tradition pour ce genre de fresque – 1300 costumes, 1000 figurants – depuis les années soixante, un cumul de sites patrimoniaux « tudoriens » dans le Kent (les douves de Leeds Castle, les châteaux de Hever et de Douvres), le Derbyshire (Haddon Hall à Bakewell, Chatsworth House), l’Oxfordshire (château de Broughton à Banbury, Chastleton House), le Hampshire (château de Winchester), le Cheshire (Little Moreton Hall à Congleton), le Warwickshire (Compton Wynyates), l’East Sussex (Herstmonceux Castle) et le Buckinghamshire (Dorney Court).
La trame est connue (cf. supra, Tudor Rose en 1936), toutefois servie ici avec quelques variantes non négligeables : En 1552, après l’exécution d’Edward Seymour, le puissant John Dudley, comte de Warwick, duc de Northumberland et Lord président du Conseil, s’arrange avec Lady Frances Brandon, la mère de Jane Grey, pour organiser un mariage avec son fils Guilford, sachant que si tout va comme prévu, ce dernier épousera la future reine d’Angleterre. Jane, perdue dans ses lectures de Platon (en grec), refuse d’abord ce mariage de convenances, mais après avoir goûté du fouet et avoir été consolée par son futur et si gentil mari, elle se laisse amadouer. Les deux jeunes gens finissent par tomber amoureux, une idylle ultraromantique se développe, chacun voulant « fuir loin de ce monde pourri ». L’indignation de Guilford contre les injustices sociales séduit Jane, car leurs pères respectifs ont privé la paysannerie des terres confisquées l’Église romaine et – comme ils le constatent lors d’une promenade en calèche – réduit les malheureux à la mendicité, marqués au feu rouge. (N. B. : la dissolution des monastères par Henry VIII priva effectivement la population la plus démunie d’un soutien vital.) Dudley a fait signer à Edward VI un acte écartant ses deux demi-sœurs du trône. À la mort du petit roi, Jane devient reine et élit domicile à la Tour de Londres, où les monarques séjournent habituellement entre leur accession au pouvoir et leur couronnement. Elle n’est toutefois pas la marionnette qu’espérait Dudley senior : durant ses quelques jours de règne, le couple se prépare à lutter contre la pauvreté en ordonnant la restitution des terres d’anciens monastères aux paysans, à bannir les châtiments corporels envers les enfants, à ordonner la création d’écoles pour tous et à réintroduire une monnaie en argent... Ces rêveries d’adolescents vaguement hippies sont anachroniques et ne correspondent en rien aux préoccupations du XVIe siècle britannique ni à celles des protagonistes du drame ; on peut au mieux y lire, de la part du réalisateur, une critique implicite du néolibéralisme carnassier de Margaret Thatcher. Et peut-être une adéquation scénaristique au tempérament facilement rebelle et excentrique de l’interprète de l’héroïne en titre, Helena Bonham Carter, une brunette farouche (l’authentique Jane Grey était une blonde aux yeux clairs).
Lorsque les troupes protestantes menées par Dudley sont battues, le Conseil privé se range du côté de Mary Tudor, reine légitime, et fait emprisonner Jane et Guilford. L’ambassadeur d’Espagne annonce à Mary que son mariage avec Philippe II ne pourra se concrétiser que si le jeune couple, qui reste une menace pour le trône (« un foyer de discorde »), disparaît. Têtu et rongé par la culpabilité, le duc de Suffolk, père de Jane, organise un soulèvement au nom de sa fille, de concert avec le rebelle protestant Thomas Wyatt (inexact : ce fut au nom de la princesse Elizabeth). La révolte est écrasée à Temple Bar. Jane est perdue, mais Mary Tudor, très émue par la jeune fille, lui offre la vie sauve si elle renonce à la foi protestante. John Fekenham, le chapelain royal, tente de la convertir, mais Jane refuse au nom de ses idéaux (« libérer notre peuple des chaînes des doctrines et des superstitions »). Le couple passe une dernière nuit ensemble, nu à la chaleur d’un feu de cheminée (inexact : les couple ne partageait pas la même cellule et Jane refusa jusqu’au bout de revoir son mari, qu’elle méprisait). Fekenham décrit à Jane les derniers instants de Guilford et parallèlement ceux de Jane apparaissent à l’image, marqués d’un contretemps pathétique : Jane, très digne s’est elle-même attachée le bandeau devant les yeux, mais agenouillée, elle ne trouve plus le billot qui est trop éloigné pour y coucher sa tête, et, prise de panique, elle appelle à l’aide. Les bourreaux, les juges et la soldatesque sont paralysés, Fekenham hésite, puis accourt. Jane meurt en disant le nom de son bien-aimé.
L’incident cruel du billot rachète bien des passages sucrés dont la joliesse évoque les minauderies d’un Franco Zeffirelli (Romeo and Juliet, 1968, Endless Love/Un amour infini, 1981). Quant au portrait tout en nuances de « Bloody Mary », vieille fille tourmentée, entre larmes furtives, dureté et sourire amer, il laisse mal augurer de son règne et vaut son pesant de vinaigre. Mais c’est incontestablement la toute jeune Helena Bonham Carter, de la graine de star, qui domine l’ensemble de la distribution. Petite-nièce du cinéaste Anthony Asquith et bientôt mariée à Tim Burton, Helena Bonham Carter, 18 ans, est une actrice hispano-anglaise de sang bleu qui a fait ses débuts l’année précédente avec Room with a View de James Ivory et qui enchaînera avec Howard’s End d’Ivory (1992) et Twelfth Night (d’apr. Shakespeare, 1996), à nouveau de Trevor Nunn ; elle sera aussi Anne Boleyn dans la télésérie Henry VIII (2003). Sa présence ne sauve hélas pas le film du désastre financier (produit pour 8,5 millions de dollars, il en rapporte à peine 278'000 aux États-Unis), un échec dû autant à son sujet sordide (et en fin de compte peu connu) qu’à une réalisation honnête mais terne et sans éclat. La fort belle photo de Douglas Slocombe (collaborateur de Cukor, Zinnemann, Huston, Spielberg) ne suffit pas à attirer les badauds. – DE: Lady Jane – Königin für neun Tage, ES: Lady Jane.
1996® (tv) The Prince and the Pauper (GB) d’Andrew Morgan. – av. Sophia Myles (Lady Jane Grey).
2000® (tv) The Prince and the Pauper (US) de Giles Foster. – av. Perdita Weeks (Lady Jane Grey).
2007Lady Jane (GB) de Camilla Robinson
Hadi Hajaig, Caroline Howard/Cave Wall Pictures, 3 min. – av. Lucy Thomson (Lady Jane Grey), Tim Woodward (Sir John Brydges), Tony Wadham (le bourreau), Charlotte Robinson (nurse), Mitzi Thaddeus (dame de compagnie de la reine).
L’exécution de Jane Grey, scène inspirée par le tableau de Paul Delaroche (1833).
2008® (vd) The Twisted Tale of Bloody Mary (GB) de Chris Barnard. – av. Sian Owen (Lady Jane Grey).
2010® (tv) The Sarah Jane Adventures : Lost in Time (GB) de Joss Agnew. – av. Amber Beattie (Lady Jane Grey).
2012(vd) The Forgotten Martyr : Lady Jane Grey (US) de Joe Henline
Jerry Henline/J&J Productions, 15 min. – av. Jerica Henline (Lady Jane Grey), Emily Meinerding (Mrs. Ellen), Jerry Henline (le père Feckenham).
Les derniers jours de Lady Jane Grey à la Tour de Londres, tels que les découvre une étudiante d’aujourd’hui en feuilletant un ouvrage dans une bibliothèque municipale. Du travail d’amateurs filmé à Loveland, Ohio.
2018® (tv) La Guerre des trônes (FR) série d’Alain Brunard et Vanessa Pontet. – av. Mathieu Lagarigue (Henry VIII), Julia Gratens (Anne Boleyn)
2018(tv) England’s Forgotten Queen : The Life and Death of Lady Jane Grey (GB) minisérie de Bill Thomas
Jenny Mauthe, Tim Green, Emily Dalton/Darlow Smithson Productions-BBC (BBC Four 9.-10.-11.1.18), 3 x 60 min. – av. Eilidh Loan (Lady Jane Grey), Ashley Gyngell (Edward VI), Lainy Boyle (Mary Tudor), Michael Adams (John Dudley, duc de Northumberland), Robin Jones (Henry Grey, duc de Suffolk), Roland Stone (Henry Fitzalan, comte d’Arundel), Jamie Footie.
Docu-fiction superficiel et souvent maladroit, présenté et commenté par l’historienne Helen Castor.
2022© (tv) Becoming Elizabeth (GB) de Justin Chadwick, etc. - av. Bella Ramsey (Lady Jane Grey), Leo Bill (Henry Grey).