I - LE ROYAUME DE FRANCE

10 . LA FRANCE DÉCHIRÊE: LES GUERRES DE RELIGION (De la Saint-Barthélemy à Henri IV)

10 .2 . « La Dame de Monsoreau » d’Alexandre Dumas

Paru en 1846, le roman de Dumas (et Auguste Maquet) constitue le deuxième volet de la trilogie « Les Guerres de Religion ». Le troisième volet, jamais filmé à ce jour, est « Les Quarante-Cinq » (1847/48).
Dans la France de 1578, trois clans s’affrontent : celui du roi Henri III de Valois, conseillé et aidé par son bouffon Chicot (au demeurant un redoutable bretteur) et entouré par ses mignons, celui de François d’Alençon, duc d’Anjou, frère cadet du roi et allié aux Guise, et celui du protestant Henri de Navarre, futur Henri IV. Tombé de nuit dans une embuscade des mignons du roi qui le haïssent, le comte Louis Bussy d’Amboise est soigné par une belle inconnue, Diane de Méridor. Jadis, celle-ci fut contrainte d’épouser clandestinement le comte de Monsoreau afin d’échapper aux avances du duc d’Anjou. Le duc de Guise, qui convoite le trône, cherche à gagner le frère du roi à sa cause, avec l’appui de Monsoreau et du pape Grégoire XIII. Mais Anjou et Monsoreau s’affrontent pour Diane, toujours captive et dont Bussy a retrouvé la trace. Informé par son bouffon de la collusion d’Anjou avec les Guise, Henri III exige que son frère soit jugé par la Chambre Ardente. Anjou s’enfuit grâce à la complicité d’Henri de Navarre qui veut affaiblir les Valois. Bussy rejoint Diane, devient son amant et se met au service d’Anjou. La guerre civile entre les frères menace. Fou de jalousie, Monsoreau ramène son épouse à Paris. Bussy s’y fait envoyer comme messager de paix auprès du roi, après médiation de la reine-mère Catherine de Médicis. Chicot confond les Guise qui voulaient obliger le roi à abdiquer, tandis que Bussy, surpris avec Diane à la maison des Tournelles, se bat comme un fauve contre vingt spadassins masqués payés par Monsoreau. Il en tue quatorze, dont Monsoreau lui-même, avant de périr, achevé à l’arquebuse par Anjou qui est venu récupérer sur place un document compromettant. Nullement dupe des trahisons de son frère, Henri III le fait embastiller. Ayant trouvé refuge chez une amie, Diane pleure secrètement son amant assassiné.

Nota bene :
- Pour son héroïne Diane de Méridor, Alexandre Dumas s’est inspiré du personnage de Françoise de Maridor ( ?-1620), épouse du comte Charles de Chambes, comte de Montsoreau (1549-1621, lié à la maison de Guise), dont l’amoureux, le comte Louis de Clermont d’Amboise, seigneur de Bussy (1549-1579), une brute notoire, gouverneur de la province d’Anjou et cousin de Brantôme, fut effectivement attiré dans un guet-apens au château de Coutancière et assassiné par le mari trompé. – Quant au grand duel collectif figurant à la fin du roman, entre les partisans de Guise (Entragues, Ribérac et Schomberg) et trois mignons du roi (Quélus, Maugiron, Livarot), il eut bel et bien lieu à Paris le 27 avril 1578. La douleur d’Henri III à la perte de Maugiron et Quélus fut immense.

- Anjou, c’est-à-dire François de France, duc d’Alençon et d’Anjou (1555-1584), dernier fils de Henri II et de Catherine de Médicis, provoqua bel et bien des troubles en tant que chef de l’opposition (« les Malcontents ») à la cour de son frère Henri III, qu’il jalousait et auquel tout l’opposait ; un de ses mignons était Bussy d’Amboise. Il fut prétendant de la reine Elisabeth Ière d’Angleterre, mais, comme elle, ne se maria jamais. Cherchant la conciliation avec les huguenots, il s’allia à Guillaume d’Orange et fut nommé prince des Pays-Bas (1580) ; il mourut de la tuberculose à l’âge de 29 ans. Henri III demeurant sans descendance, la disparition prématurée d’Anjou permit au protestant Henri de Navarre de devenir l’héritier direct de la couronne de France.

- Le roman de Dumas et Maquet (dont le schéma de base – une aristocrate mal mariée convoitée par quatre gentilshommes, dont un Valois et un Guise – rappelle lointainement celui de la Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette) fut également adapté au théâtre en 1860, en un drame en cinq actes et dix tableaux, et à l’opéra en 1888, avec une musique de Gaston Salvoyre. La pièce a une fin heureuse pour les amoureux, que Chicot bénit en mourant auprès de Monsoreau.
1909La signora di Monsoreau (La Dame de Monsoreau) (IT) de Mario Caserini
Società Italiana Cines, Roma (« serie d’arte »), 420 m. (env. 30 min.)1p/6 parties. – av. Maria Gasperini (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Amleto Palermi (Louis de Clermont, comte de Bussy d’Amboise), Ida Dolfini. – Mario Caserini et son épouse, la ballerine Maria Gasperini, restent fidèles à Dumas après « I tre moschiettieri », autre succès de la Cines sorti quelques mois plus tôt. Le tournage s’effectue aux studios Cines à la Via Appia Nuova à Rome. Le dénouement diffère du roman : pour se venger de Monsoreau, le duc d’Anjou lui fait parvenir une lettre anonyme révélant l’adultère de son épouse. Monsoreau surprend Bussy avec Diane et le tue. Six ans plus tard, Diane réussit à venger son amant en faisant exécuter Anjou. – GB, US : The Lady de Monsoreau, DE : Die Gräfin von Monsoreau.
1910Chicot (IT) de Giuseppe De Liguoro
Milano Films, 260m. – av. Giuseppe De Liguoro (Chicot), Arturo Padovani (Henri III). – Sujet « héroïco-comique » (?). Bouffon (à son heure) et lieutenant du roi, l’authentique Chicot alias Antoine d’Anglerays ( ?-1592) participa au massacre de la Saint-Barthélemy et à l’expédition de la Rochelle contre les protestants en 1573. Après l’assassinat de Henri III, il resta au service de Henri IV, qu’il accompagna dans toutes ses campagnes. Alexandre Dumas en fait le frère de Diane de Méridor dans La dame de Monsoreau, railleur, toujours insolent, épéiste redoutable : « le fou du roi et l’homme le plus sage du royaume. » C’est lui qui contrecarre les plans de Guise pour s’emparer de la couronne et qui dénonce systématiquement toutes les hypocrisies de la cour.
Chicot présente le comte de Monsoreau au roi Henri III, à dr. : Bussy d’Amboise et Diane de Méridor (1913). ©CNC
1913La Dame de Monsoreau (FR) d’Emile Chautard ou Charles Krauss
Marcel Vandal/Société Française des Films Éclair (Paris) (7 part.), 2200 m. – av. Marie-Louise Derval (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Henri Bosc (Louis de Clermont, comte de Bussy d’Amboise), Paul Guidé (Henri III), Perny (Chicot, le bouffon du roi), Léonce Cargue (François d’Alençon, duc d’Anjou et frère d’Henri III), Emma Bonnet (Gertrude), Albert Bras (le baron de Méridor), Maryse Dauvray (Jeanne de Saint-Luc), Jean Dulac (Charles de Monsoreau), Emile Garandet (Frère Gorenflot), Maurice de Féraudy, Jacques Guilhène, Victor Perny.
Tournée aux studios Éclair à Épinay-sur-Seine et en extérieurs à Chenonceaux, cette production de presque deux heures – « un film de deux kilomètres ! » proclamait, ébahie, la presse de l’époque – réunit deux vedettes du Théâtre Sarah-Bernhardt, Marie-Louise Derval et Paul Guidé (1) ; Marcel Vandal, qui produira aussi le remake de 1923, la qualifie de « théâtre visuel » ; les intertitres décrivent l’action à venir. Dans son dénouement heureux, le film suit la pièce plutôt que le roman : Bussy est piégé dans le château à Anjou et se bat contre les malandrins de Monsoreau. Son valet Rémy est tué par les balles, mais Chicot surgit à la dernière minute et pourfend Monsoreau. Bussy et Diane s’étreignent (sur scène, Chicot rend l’âme en bénissant le couple). – DE : Die Dame von Monsoreau.

(1) – La pièce a été reprise à Paris le 15 mars 1911 au Théâtre Sarah-Bernhardt avec Marie-Louise Derval (Diane), Paul Guidé (Henri III), les deux interprètes du film, et Charles Krauss (Monsoreau). Seuls 59 minutes du film ont été sauvées par le CNC. Jean Mitry attribue erronément cette version à Maurice Tourneur, interprétée selon ses fiches par Maurice de Féraudy, Charles Krauss, Fernande Petit, Pauline Polaire et Henry Roussel.
Diane (Geneviève Félix) maltraitée par son époux Monsoreau (Victor Vina) dans la version colorée de René Le Somptier (1923).
1923*La Dame de Monsoreau (FR) de René Le Somptier
Le Film d'Art (Marcel Vandal & Charles Delac)-Les Films Louis Aubert, 7268m (6 épis.). – av. Geneviève Félix (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Rolla-Norman (Louis de Clermont, comte de Bussy d'Amboise), Gina Manès (Jeanne de Saint-Luc), Raoul Praxy (Henri III), Maurice Lagrange (Henri Ier de Lorraine, duc de Guise), Philippe Richard (François d’Alençon, duc d'Anjou et frère d’Henri III), Jean d’Yd (Chicot, le bouffon du roi), Victor Vina (Charles de Monsoreau), Georges Deneubourg (le baron de Méridor), Madeleine Erickson (Gertrude), Madeleine Rodrigue (Catherine de Guise, duchesse de Montpensier), Pierre Almette (François d’Épinay de Saint-Luc), Robert Guilbert (Nicolas David, avocat de la Ligue), A. Carjol (Frère Gorenflot), Armand Thirard (Rémy Le Haudouin), Pierre Finaly (Charles, duc de Mayenne), Pierre Hot (Cossé-Brissac), Roger San Juana (M. de Quélus, un mignon), Henri Deneyrieu (M. de Schomberg, un mignon), Ralph Royce (M. de Maugiron, un mignon), Jean Mercey (Jean-Louis de Nogaret, duc d’Épernon), Zoula de Boucka (une danseuse de taverne).
Marcel Vandal, un des deux patrons du Film d’Art, a déjà produit la première adaptation française du roman chez Éclair, dix ans auparavant. Ce remake au budget nettement plus important et d’une durée de près de sept heures (en six parties exploitées séparément) est entrepris à l’initiative du distributeur Louis Aubert, qui le co-finance grâce aux rentrées très lucratives de « L’Atlantide » de Jacques Feyder. Les auteurs n’ont à nouveau pas le cœur de faire périr leurs héros à la fin : blessé par les spadassins, mais secouru par les rapières de Chicot et de Saint-Luc, Bussy tue Monsoreau en duel … Jadis la muse de Montmartre, Geneviève Félix a débuté avec Feuillade et Jean Kemm ; en 1923, le réalisateur René Le Somptier lui confie un rôle central dans « La Porteuse de pain », d’après l’inusable mélo populaire de Xavier de Montépin, ce qui lui vaut de décrocher ici celui de Diane.
Le Somptier, un républicain normand de gauche, idéaliste et pamphlétaire, qui a percé dans le cinéma avec un opulent « conte inédit » des mille et une nuits, « La Sultane et l’amour » (1918), tourne son film en intérieurs aux studios du Film d’Art à Neuilly. Dans l’enclos de la rue de Chézy et au parc de la rue Chauveau, domaines de la société, le décorateur Fernand Delattre érige un pan du Vieux Paris comprenant la place Saint-Antoine, la maison des Tournelles et l’abbaye de Sainte-Geneviève. Pour la procession annuelle de la Fête-Dieu, quand Henri III se rend à l’église faire une pieuse retraite, des centaines de figurants animent les rues (pour lesquels le peintre Henri-Gabriel Ibels dessine de somptueux costumes). Les extérieurs sont filmés au Palais des Comtes du Maine au Mans et dans la région de Cherbourg, aux châteaux de Martinvast (Basse-Normandie) et de Nacqueville (Cotentin). Le résultat à l’écran est soigné mais passablement conventionnel, sujet aux lenteurs, à de la belle image et aux postures figées ; l’action ne fait qu’illustrer ce qu’annoncent les intertitres. Le film sera réédité en 1925 dans une version entièrement colorée au pochoir et réduite à 2200 m. (restauration : 1h36). C’est la dernière fois que le grand écran se penche sur l’intrigue très touffue de Dumas-Maquet. – US : Lady of Monsoreau, IT : La signora di Monsoreau.
1961(tv) La Dame de Monsoreau (FR) d’Alain Boudet
Radio-Télévision Française (RTF) (1e Ch. 3.6.61), 2h. – av. Alain Saury (Louis de Clermont, comte de Bussy d’Amboise), Geneviève Casile (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Renée-Marie Potet (Catherine de Médicis), Jacques Duby (Chicot, le bouffon), Guy Kerner (Charles de Monsoreau), André Charpak (Henri III), Roland Grégoire (François d’Alençon, duc d’Anjou et frère d’Henri III), Bernard Dhéran (Henri de Lorraine, duc de Guise), Pierre Doris (Frère Gorenflot), Michel Nastorg (Charles, duc de Mayenne), Henri Pegay (François d’Épinay de Saint-Luc).
Une dramatique en noir et blanc de la Radiodiffusion-Télévision française enregistrée aux studios des Buttes-Chaumont (1), d’après la pièce, et non le roman de Dumas et Maquet. Sur scène, le bouffon Chicot se révèle être le propre frère de Diane de Méridor. Dans le dernier acte, le prenant pour Bussy auquel il a tendu un piège, Monsoreau l’assaille avec ses assassins. Monsoreau est tué et Chicot, en mourant, remet sa sœur Diane entre les mains de Bussy qui est arrivé à la fin des combats.

(1) – Au même moment, Edmond T. Gréville prépare une « *Dame de Monsoreau » avec Mel Ferrer en Bussy, un long métrage de cinéma coproduit par la France et la Grande-Bretagne dont la réalisation est prévue en avril 1961 sur les rives de la Loire (Paris Elysée Films-Meteer et Woog-Pendennis Prod.). Les préparatifs sont interrompus lorsque Gréville (qui vient de signer « Les Mains d’Orlac » avec Mel Ferrer) doit être hospitalisé à Londres. Un autre projet destiné au grand écran a déjà capoté en 1954, d’origine franco-italienne (Vendôme-Italia Films), à filmer par Jean Dréville aux studios Éclair dans les décors et avec les costumes de « La Reine Margot » du même Dréville (cf. 10.1), d’après un scénario de Louis Chavance et Pierre Léaud.
Bussy d’Amboise (Nicolas Silberg) assailli par les spadassins de Monsoreau dans le feuilleton de Yannick Andréi (1971).
1971**(tv) La Dame de Monsoreau (FR) de Yannick Andréi
ORTF-Télécip (Robert A. Velin, Étienne F. Laroche) (2e Ch. 18.-31.12.71), 7 x 52 min. – av. Karin Petersen (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Nicolas Silberg (Louis de Clermont, comte de Bussy d'Amboise), Denis Manuel (Henri III), François Maiste (Charles de Monsoreau, Grand Veneur du Royaume), Gérard Berner (François d’Alençon, duc d’Anjou et frère d’Henri III), Michel Creton (Chicot, le bouffon), Marco Perrin (Henri de Navarre, futur Henri IV), Maria Meriko (Catherine de Médicis), Jacques Lecarpentier (Henri de Lorraine, duc de Guise), Angelo Bardi (Frère Gorenflot), Maurice Rich (Charles, duc de Mayenne), Sylvia Saurel (Catherine de Guise, duchesse de Montpensier), Frank Estange (Nicolas David, l’avocat de la Ligue), Louis Arbessier (le baron de Méridor), J. L. Broust (François d’Épinay de Saint-Luc), Mireille Audibert (Jeanne de Saint-Luc), Daniel Derval (Rémy), Mario Pilar (Raoul d’Aurilly), Yvan Varco (M. de Maugiron), Erik Kruger (M. de Schomberg), Pierre Massimi (M. de Quélus), Pierre Hatet (Charles de Lorraine), Gilles Béhat (Jean Louis de Nogaret, duc d’Épernon), Angelo Bardi (Frère Gorenflot), Teddy Bilis (Pierre), Antoine Fontaine (Louis des Balbes de Berton de Crillon), Mag Avril (la commère), Pierre Duncan (le boucher), Virginie Vignon (la fille de joie), Abel Jores (le prieur).
Série en couleurs de près de six heures, « La Dame de Monsoreau » de Yannick Andréi (auquel on doit déjà un bondissant « Chevalier Tempête » en 1967) est considérée à juste titre comme l’apogée du télé-feuilleton historique français, une réussite totale dans le genre. Télécip a investi 3,5 millions de francs dans sa production, engageant 222 comédiens et 500 figurants. Pierre Montazel, l’excellent chef-opérateur de Jacques Becker (« Touchez pas au grisbi ») et de Sacha Guitry (« Si Versailles m’était conté », « Napoléon »), a promené sa caméra dans les châteaux de la Loire, au Mans (le vieux Paris), au Mesnil-Saint-Denis (ferme de Beaurain, Abbaye de Notre-Dame de la Roche) et dans les studios de Saint-Maurice. Bussy est interprété avec beaucoup de prestance par Nicolas Silberg, sociétaire de la Comédie-Française depuis 1970 : très à l’aise dans le costume, on le reverra notamment en 1977 en d’Artagnan (« D’Artagnan amoureux » d’Andréi), en 1979 en duc de Guise (« Le Roi qui vient du sud » de Marcel Camus) et en Charles le Téméraire (« Louis XI » d’Alexandre Astruc). Karin Petersen fait Diane (peut-être le maillon faible : fort jolie mais inexpérimentée) ; comédienne d’origine danoise, elle se suicidera à 37 ans, suite à un viol (1982).
La Danoise Karin Petersen et Nicolas Silberg en grand péril dans le feuilleton turbulent de 1971. ©INA
 Le fleuron du téléfilm historique à la française
L’entrée en matière se fait avec panache, lors d’une chasse qui réunit tous les protagonistes masculins : Tandis qu’un des courtisans, Saint-Luc, constate qu’il est en disgrâce auprès de la couronne pour avoir préféré le mariage à la compagnie des favoris, le maître des cérémonies, Chicot (l’épatant Michel Creton, aperçu dans « La Voie lactée » de Buñuel, 1969), s’est, à l’amusement général, déguisé en double d’Henri III. Quand arrive Bussy, le roi, qui le déteste, le prie d’adresser sa révérence à Chicot. Bussy obtempère en disant à ce dernier : « Pardonnez-moi, Sire, Il y a des rois qui ressemblent tellement à des bouffons que vous m’excuserez d’avoir pris votre bouffon pour un roi ! » Têtes d’Henri III et de ses quatre mignons, auxquels le monarque ordonne de trucider l’insolent dans la soirée. Aux dits mignons, Bussy assène : « Quand je vois des hommes avec des bijoux de filles, j’ai toujours l’impression de m’être trompé d’adresse. » (La télévision de l’Hexagone aborde à travers les mœurs dissolues d’Henri III le sujet alors délicat de l’homosexualité, même si Dumas n’en fait pas mention.) « La scène d’exposition est terminée », annonce enfin Chicot aux spectateurs après avoir fait quelques présentations grinçantes, et « il ne manque qu’une chose, une jolie femme ! » ajoute Bussy. La mise en scène nerveuse et dynamique de Yannick Andréi est au diapason des répliques souvent percutantes que Claude Brûlé, l’adaptateur, a partiellement reprises de Dumas.
Henri III (D. Manuel) écoute les propos moqueurs de son bouffon Chicot (M. Creton), à dr. Karin Petersen.
 Au fil d’une intrigue pleine de bruit et de fureur, Claude Carliez règle les meilleurs duels jamais vus à la télévision. Cascadeur accompli, devenu président de l’Académie d’Armes de France, Carliez a travaillé quinze ans avec Jean Marais ; l’affrontement titanesque de Bussy contre les spadassins masqués de Monsoreau et du mignon d’Épernon à la fin du récit, chorégraphiés avec imagination, dynamisés par un montage saccadé, dure près de quatre éprouvantes minutes. Bussy est grièvement blessé au sol, un long travelling à travers les pièces étroites de la maison des Tournelles détaille les cadavres de ses adversaires pour finir sur les bottes d’Anjou et de Guise. Venus récupérer un document compromettant, les conspirateurs sont arrêtés par Chicot et le roi. « Qu’on emmène le duc d’Anjou », ordonne Henri III sans égards, « le roi n’a pas de frères quand ils sont infâmes ! » Diane s’est étendue auprès de Bussy qui gît à demi inconscient, la chemise baignée de sang. Peut-être survivra-t-il ? « Tous les personnages sont là pour le baisser du rideau, la politique et l’amour » dit pour conclure Chicot à la caméra. « La politique va aller se laver les mains avant de nouveaux mensonges, de nouvelles alliances, de nouvelles saletés. Les histoires d’amour, morbleu, faudrait qu’elles gardent un peu d’espoir, un peu de bonheur ! C’est une idée de fou, je sais, mais je n’en aurai jamais d’autres. » Une fin ouverte, douce-amère.
Diffusée à Noël 1971, le succès à l’audimat de cette série est considérable (rediffusions en 1975 et en 1984). – Episodes: 1. « Les Épées et la dame blonde » – 2. « L’Homme en noir » – 3. « La Nuit du fou » – 4. « La Coupe brisée » – 5. « Les Merlettes de Lorraine » – 6. « Les Fougères de Méridor » – 7. « Le Guet-Apens ». On ne peut que regretter que la suite, « *Les Quarante-Cinq » de Dumas et Maquet, prévue avec la même équipe, n’ait jamais été tournée – sans doute en raison de la profusion des intrigues politiques, mais aussi de l’absence de personnages forts et de situations romanesques. – DE : Die Dame von Monsoreau.
Un feuilleton de la télévision russe privatisée, d’une fidélité à toute épreuve au roman d’Alexandre Dumas (1998).
1998*(tv) Grafinya de Monsoro (La Dame de Monsoreau) (RU) de Vladimir Popkov
Studiya Shans, Odessa (Sergei Zhigunov)-TV Center Company (Inter TV Kiev 5.1.98), 26 x 52 min. – av. Gabriella Mariani (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Aleksandr Domogarov (Louis de Clermont, comte de Bussy d’Amboise), Youri Belyayev (Charles de Monsoreau), Kirill Kozakov (François d’Alençon, duc d’Anjou et frère d’Henri III), Yevgeni Dvorzhetsky (Henri III), Boris Kliuyev (Henri de Lorraine, duc de Guise), Dimitri Pevtsov (Henri de Navarre, futur Henri IV), Yekaterina Vasilyeva (Catherine de Médicis), Yuriy Yakovlev (le baron de Méridor), Yelena Aminova (Catherine de Guise, duchesse de Montpensier), Aleksey Gorbunov (Chicot, le bouffon du roi), Nonna Grishaeva (Gertrude), Vladimir Dolinskiy (Frère Goranflot), Oleg Isayev (Rémy Le Haudouin, un médecin), Dmitriy Maryanov (François d’Épinay de Saint-Luc), Yekaterina Strizhenova (Jeanne de Saint-Luc), Vadim Vilsky (Jérôme), Sergei Vinogradov (M. de Quélus), Irina Bezrukova (Marie).
Ce super-feuilleton en couleurs de la télévision russe privatisée est produit par Sergei Szigunov, de la société Shans à Odessa, qui était déjà responsable en 1996 de « Koroleva Margo (La Reine Margot) », le premier volet du cycle dumasien sur les guerres de Religion (cf. 10.1). On en reprend d’ailleurs une partie de la distribution : Dvorzhetsky en Henri III, Pevtsov en Henri de Navarre, Kliuyev en Guise, l’étonnante Vasilyeva en Catherine de Médicis, etc. L’ensemble est tourné en Crimée (Ukraine) et, pour les extérieurs, en République tchèque, avec le concours du Studio « Ritm » Kinokonsern Mosfilm et du Studio Gorki à Moscou. Il constitue sans doute à ce jour l’adaptation la plus fidèle, la plus scrupuleuse du roman, dont on a l’impression de suivre les péripéties page après page, jusque dans les moindres dialogues – ce qui explique sa durée pharaonique de 22 heures 32 minutes ! Sur le plan de la reconstitution réaliste, des costumes, du casting et de la photographie (très travaillée), cette télésérie n’a de leçons à recevoir de personne. Youri Belyayev, qui campe le sinistre Monsoreau, décroche le prix d’interprétation au festival de Sozvezdie à Arkhangelsk. Si le scénario de Yelena Karavayeshnikova n’affiche pas l’ironie goguenarde et les traits d’esprits du feuilleton français de 1971, il véhicule en revanche une certaine mélancolie qui est à la fois slave et bien dumasienne.
La dernière partie, où Bussy, le pourpoint rouge sang, affronte les tueurs noirs masqués (dont un géant à deux haches) dans l’hôtel sous-éclairé de Monsoreau est haletante, d’une violence et d’une sauvagerie rare. L’hécatombe s’achève quand Bussy, poignardé par un Monsoreau agonisant, contemple le portrait de plus en plus flou de Diane sur la paroi – avant que d’Anjou achève froidement le bretteur d’un coup d’arquebuse. Saint-Luc, l’ami fidèle, a mis Diane en sécurité et dénonce la fourberie d’Anjou à son frère au Louvre. Henri III fait d’abord la sourde oreille, inquiet de connaître le sort de ses mignons (Maugiron, Quélus, Schomberg) censés affronter les compagnons d’armes de Bussy dans l’enclos des Tournelles (le duel se déroule simultanément). En apprenant leur mort de la bouche de Chicot, il hurle de douleur et s’enfouit sous les draps de son immense lit à baldaquin en criant « non ! non ! », tandis que des images mentales des disparus ponctuent la scène. Une lettre de l’abbé Goranflot à Chicot, quelques temps plus tard, mentionne une rumeur selon laquelle Diane, disparue, aurait juré de se venger d’Anjou. Et invite instamment le roi à descendre en Bourgogne, où le vin pacifie les cœurs… Le feuilleton fait un malheur à l’audimat en Russie, mais malgré un courrier intense et les supplications massives des téléspectateurs, la suite, Les Quarante-Cinq, ne verra pas le jour. On peut le regretter.
Diane de Méridor (Esther Nubiola), mêlée aux intrigues politiques de la cour de Henri III (« La Dame de Monsoreau », 2008).
2008*(tv) La Dame de Monsoreau / La dama de Monsoreau (FR/ES) de Michel Hassan
Parties : 1. La Couleur du sang – 2. La Mort d’un juste
Esther Cases-Delphine Claudel-Telfrance-RTL-TVI-BE-Films, Televisió de Catalunya-Institut del Cinema Català (ICC) (RTB 7.12.08, FR2 26.8.09), 1h35 + 1h31 min. – av. Esther Nubiola (Diane de Méridor, comtesse de Monsoreau), Thomas Jouannet (Louis de Clermont, comte de Bussy d’Amboise), Frédéric van den Driessche (Charles de Monsoreau), Frédéric Quiring (François d’Alençon, duc d’Anjou et frère du roi), Patrick Fierry (Henri III), Rosa Novell (Catherine de Médicis), Anne Caillon (Catherine de Guise, duchesse de Montpensier), Albert Goldberg (Henri de Lorraine, duc de Guise, « Le Balafré »), Eric Elmosnino (Chicot, le bouffon), Pierre Mondy (le baron de Méridor), Thierry Godard (Henri de Navarre, futur Henri IV), Marie Denamaud (Gertrude), Charles Schneider (Jeanjean), Roger Coma (Matteo), Joan Massotkleiner (Louis de Guise, cardinal de Lorraine), Valérie Lesage (Louise de Lorraine, reine de France), Dimitri Storoge (Raoul d’Aurilly), Manuel Frendo (M. de Quélus), Julien Petit (Jean Louis de Nogaret, duc d’Épernon), Gilles Masson (Morignac), Pierre-Gilles Girault (Pierre de Gondi, cardinal de Paris), Cesar van den Driessche (Monsoreau jeune), Lucie Brami (Diane enfant).
Ce téléfilm franco-espagnol condense les huit cents pages du roman en trois heures, en prenant toutefois plus de libertés que les adaptations précédentes et en incluant des épisodes de la suite, Les Quarante-Cinq. Mis au goût du jour, les protagonistes sont fonceurs, violents, sadiques, les chocs et rebondissements se succèdent au rythme de « 24 heures chrono » : dans le scénario d’Alexandra Deman, Bussy est un Jack Bauer en pourpoint de brocart, le sauveur in extremis du royaume, justicier protestant et humaniste (?) traquant les terroristes de la Ligue catholique et intervenant directement dans le jeu de pouvoir. Le père de Diane est brûlé vif, sa mère s’est suicidée après avoir été violée par Anjou. Stratège et ange gardien du roi, Chicot est trucidé au début du récit déjà (par Monsoreau) alors qu’il espionne les ligueurs. Le téléaste Michel Hassan voit sa « Dame de Monsoreau » comme un « film de voyous » à l’américaine, romanesque et mafieux. Une modernisation qui se fait toutefois au prix de l’ironie, de l’humour de Dumas.
Diane (Esther Nubiola) est captive d’un époux fourbe et féroce, le comte de Monsoreau (Frédéric van den Driessche).
 Une Diane vengeresse qui réécrit l’Histoire de France
L’action débute en 1574, deux ans après le massacre de la Saint-Barthélemy, chez le baron de Méridor, en froid avec le duc d’Anjou et les catholiques radicaux. Veneur brutal, follement amoureux de sa fille Diane, Monsoreau arrache au vieillard la promesse de mariage avec elle, puis le tue en incendiant son lit de malade. Mais Diane est enlevée et séquestrée dans un pavillon de chasse par Anjou. Henri III signe un édit pour la réconciliation religieuse des Français. Chef des conspirateurs, Guise fait couronner secrètement Anjou sous le nom de François III …. mais Bussy déjoue un attentat contre le roi à l’abbaye Sainte-Geneviève. À l’instigation de Catherine de Guise, la Ligue produit un document généalogique prouvant que son frère le duc descend de Charlemagne et que ses prétentions au trône sont justifiées. Bussy s’empare du document paraphé par le pape (chez Dumas, c’est le bouffon Chicot qui s’en charge en liquidant Nicolas David, l’avocat) et le remet à Henri III qui éloigne prudemment le duc aux armées en Flandre. Comploteuse et libertine, Catherine de Guise acheta à Anjou la protection de Bussy, son amant, lors de la Saint-Barthélemy, aussi ce dernier ne peut-il se résoudre à la livrer au bourreau. Pourtant, elle a tenté de poignarder Diane, confiée à sa garde. Bussy propose au roi de nommer Henri de Navarre son héritier et se rend auprès de celui-ci. En route, il tombe cependant dans un guet-apens chez Monsoreau ; il tue ce dernier, mais est à son tour achevé à bout portant par une flèche d’arbalète d’Anjou. Henri III fait assassiner le duc de Guise et son frère, le cardinal de Lorraine, puis incarcérer leur sœur. Catherine de Médicis, la reine-mère, a vainement incité Henri à éliminer son propre frère. Diane s’en charge à sa place : elle empoisonne Anjou, vengeant et sa mère et son amoureux (un épisode tiré de Les Quarante-Cinq), puis poursuit elle-même en Gascogne les tractations de succession avec Henri de Navarre, futur Henri IV.
Pour venger l’assassinat de Bussy, Diane (Esther Nubiola) décide d’empoisonner le duc d’Anjou, frère du roi.
 Thomas Jouannet, l’interprète de Bussy, s’est fait remarquer dans le rôle-titre du téléfilm « Henry Dunant » de Dominique Othenin-Girard en 2006 ; sa partenaire, Esther Nubiola, vient de Barcelone, ce pourquoi Diane est ici mi-angévine, mi-espagnole, une femme active, révoltée, capable de manier l’épée. Quant à Frédéric van den Driessche (Monsoreau), la rapière le connaît : il a interprété le duc de Nevers dans « Lagardère » d’Henri Helman (2003). À ses côtés, le duc d’Anjou de Frédéric Quiring est un sommet de veulerie et de fourberie. Après une mise en chantier un peu laborieuse (1), le tournage s’effectue principalement dans les châteaux du Val de Loire (Plessis-Macé pour la demeure de Méridor, Plessis-Bourré pour celle d’Anjou, Brissac-Quincé celle de Monsoreau, Chambord, Blois, Montreuil-Bellay, Brézé, le manoir de Launay et l’Abbaye royale de Fontevraud dans le « rôle » de Sainte-Geneviève). L’éventail de décors naturels hauts en couleurs est un atout non négligeable de ce récit violent et efficace, mené tambour battant, mais qui ne fait à aucun moment oublier les subtilités du feuilleton de 1971.

(1) – Laura Smet (fille de Johnny Halliday), qui devait jouer Diane, et sa mère, Nathalie Baye, déclarent forfait à l’aube du tournage, la première pour des ennuis de santé ; le réalisateur Henri Helman est remplacé par Michel Hassan, les comédiens Thierry Neuvic et Grégori Dérangère disparaissent du générique. Précisons que cette nouvelle version évite pour une fois toute allusion ironique à la prétendue homosexualité d’Henri III, rejetée par les historiens.